Il lui fournit La société même qui devait lui servir de matière ; il lui indiqua ses originaux, et la protégea contre leurs cabales ; il fit amitié avec elle dans la personne du grand poète qui la personnifie. […] Les crimes, si communs dans les temps de faction, firent place aux vices, qui sont de tous les temps, aux travers, encore plus universels que les vices, et qui sont la vraie matière de la comédie. […] Il est vrai que la mort parut choisir, tout exprès, les plus nobles têtes, pour fournir matière à cette éloquence sans exemple dans l’histoire des lettres. […] Le roi, soit par une disposition religieuse de plus en plus forte, soit désir de connaître personnellement de toutes les matières où il y avait lieu de décider, avait pris goût aux ouvrages de théologie. […] Le titre de Siècle de Louis XIV s’entend surtout de la gloire des lettres ; car, pour la politique, outre qu’il y a là matière à contester, l’appréciation en appartient plus à l’histoire qu’à l’instinct populaire.
Il paraît très-persuadé « que notre esprit rampe bien plus facilement qu’il ne s’essore, et que, pour le délivrer de toutes ces chimères, il le faut émanciper, le mettre en pleine et entière possession de son bien, et lui faire exercer son office qui est de croire et respecter l’histoire ecclésiastique, raisonner sur la naturelle, et toujours douter de la civile. » Pour preuve de soumission à l’histoire ecclésiastique, tout aussitôt après ce passage il entame un petit éloge de l’empereur Julien, « de cet empereur, dit-il, autant décrié pour son apostasie que renommé pour plusieurs vertus et perfections qui lui ont été particulières231. » L’histoire ecclésiastique ainsi exceptée, il est évident qu’en toute matière, civile du moins et naturelle, Naudé fait volontiers une double part, l’une de la sottise et de la crédulité des masses, l’autre de la singulière industrie de quelques habiles. […] Mais j’irais trop loin en parlant ainsi ; on ne saurait trop se méfier de ces jugements absolus en telle matière, et l’Apologie renferme sur Zoroastre, Orphée et Pythagore, sur toutes ces belles âmes calomniées, ces génies des lettres, Omnes cœlieolas, omnes supera alla tenentes, des pages élevées, presque éloquentes, qui indiquent chez lui le sentiment ou du moins l’intelligence du Saint plus que je n’aurais cru. […] Son esprit se déclare dans les motifs de ses choix ; il veut qu’on ait en chaque matière controversée le pour et le contre, afin d’entendre toutes les parties234 : ce sont des couples de lutteurs enchaînés qu’on ne sépare pas. […] Pour qui aurait un traité à écrire sur l’un quelconque de ces sujets, le Mascurat fournirait tout aussitôt la matière d’une petite préface des plus érudites ; c’est une mine à fouiller ; c’est, pour parler le langage du lieu, une marmite immense d’où, en plongeant au hasard, l’on rapporte toujours quelque fin morceau. […] En matière religieuse, il ne procède pas autrement, et c’est ici que le mot de sournoiserie s’applique à merveille.
» Il va lui-même au-devant des objections que soulève le didactique en pareille matière, lorsqu’il dit : « En tous les exercices, comme la danse, faire des armes, voltiger, ou monter à cheval, on connoît les excellents maîtres du métier à je ne sais quoi de libre et d’aisé qui plaît toujours, mais qu’on ne peut guère acquérir sans une grande pratique ; ce n’est pas encore assez de s’y être longtemps exercé, à moins que d’en avoir pris les meilleures voies. […] L’auteur-amateur avait fait imprimer dans l’intervalle quelques petites dissertations sur la Justesse, sur l’Esprit, sur la Conversation, sur les Agréments ; tout cela venait trop tard, et l’on conçoit que Dangeau, enregistrant dans son Journal la mort du chevalier, ait dit : « C’étoit un homme de beaucoup d’esprit, qui avoit fait des livres qui ne lui faisoient pas beaucoup d’honneur. » Le goût de ces choses, et surtout de cette manière de les dire, avait passé, et, en matière légère comme bien souvent en matière plus grave, le moment est tout ; on n’en rappelle pas. […] Ce que j’entends par là, ce n’est pas être dégoûté comme un malade, mais juger bien de tout ce qui se présente, par je ne sais quel sentiment qui va plus vite, et quelquefois plus droit que les réflexions. » « Il faut, si l’on m’en croit, aller partout où mène le génie, sans autre division ni distinction que celle du bon sens. » « Celui qui croit que le personnage qu’il joue lui sied mal ne le saurait bien jouer, et qui se défie d’avoir de la grâce ne l’a jamais bonne. » « Pour bien faire une chose, il ne suffit pas de la savoir, il faut s’y plaire, et ne s’en pas ennuyer. » « Ce qui languit ne réjouit pas, et quand on n’est touché de rien, quoiqu’on ne soit pas mort, on fait toujours semblant de l’être. » « La plupart des gens avancés en âge aiment bien à dire qu’ils ne sont plus bons à rien, pour insinuer que leur jeunesse étoit quelque chose de rare. » Cet honnête homme que le chevalier veut former, et qui est comme un idéal qui le fuit (car l’ordre de société que ce soin suppose se dérobait dès lors à chaque instant), lui fournit pourtant une inépuisable matière à des observations nobles, délices, neuves, parfois singulières et philosophiques aussi. […] Ses écrits, surtout ses Lettres et ses Conversations avec le maréchal de Clérembaut, fourniraient matière à une infinité de remarques pour les définitions précises et pour les fines nuances des mots en usage dans le langage poli.
Il y aurait alors pure succession, simple déroulement d’une série : dans le jugement, il y a perception de rapports, liaison logique entre tous les termes de cette série « Donc l’association des idées est l’occasion du jugement ; elle lui fournit une matière pour s’exercer, mais elle n’a en elle-même rien de commun avec le jugement103 ». — La conclusion dépasse énormément les prémisses : toute association n’est pas par elle-même un jugement, mais en résulte-t-il que le jugement n’ait rien de commun avec l’association ? […] Selon nous, il faut : 1° faire ici une part plus grande au dynamisme des idées ; 2° expliquer mieux l’universalité virtuelle des images et des mots, qui sont réellement particuliers ; 3° distinguer mieux la matière et le sujet de la connaissance. […] On a donc raison, en un certain sens, de dire que la généralité n’est pas dans la matière même de la pensée, dans quelque objet général que la pensée saisirait ou concevrait, car il n’y a rien de général, conséquemment d’indéterminé, ni dans les sens, ni dans l’imagination, ni dans la pensée même, pas plus que dans la nature. […] Il en résulte que, si la généralité n’est pas dans la matière de la pensée, elle existe cependant d’une certaine manière dans le sujet pensant. […] Le principe de ce qu’on nomme improprement, l’inertie de la matière et qui n’est, à vrai dire, que la continuation de son activité ou de son mouvement, est donc analogue au principe dynamique du raisonnement.
Comment dans un état de civilisation aussi avancé que le nôtre, lorsque les esprits ont acquis par l’usage des langues, de l’écriture et du calcul, une habitude invincible d’abstraction, nous replacer dans l’imagination de ces premiers hommes plongés tout entiers dans les sens, et comme ensevelis dans la matière ? […] « Celle du second conduit à reconnaître pour principe physique l’idée éternelle qui tire d’elle-même et crée la matière. […] Plusieurs de ses adversaires comptaient bien qu’il vanterait longuement ses services envers l’université ; plusieurs espéraient qu’il s’en tiendrait à l’érudition vulgaire des principaux auteurs qui avaient traité la matière ; d’autres, qu’il se jetterait sur ses principes du droit universel. […] De là les erreurs où je suis tombé dans certaines matières... — Dans la première édition de la Science nouvelle, j’errais, sinon dans la matière, au moins dans l’ordre que je suivais.
On saisira mieux les applications que je ferai des textes, en connaissant le plan de l’ouvrage et les matières dont il traite. […] Mais c’est là aussi la règle pour bien écrire en quelque matière que ce soit. […] Les plaisanteries sont aisées en ces matières. […] Imaginez-vous un de ces salons qui faisaient la loi en matière littéraire. […] Toujours, toujours des pelletées de mêmes matières froides et terreuses, qui comblent les colonnes des journaux et les pages des livres.
Ne fournissent-ils pas une matière de peu de poids aux volumes, si plaisants soient-ils, où ils sont mis en pièces, et malmenés comme des rats que secoue un terrier. […] Quels que soient cependant ceux dont il fait la matière de ses anecdotes, il déchaîne le rire. […] À leur exemple, s’il étudie la matière vivante, il la réduit d’abord en une sorte de préparation anatomique, puis il la glisse sous son microscope de psychologue. […] Les inventions gracieuses ou badines qu’enfante sa riche fantaisie ne lui ont pas encore fourni la matière d’une œuvre ample et humaine : M. […] Elles sont d’une moindre matière.
II En effet, il n’y a pas de plus grand spectacle que son œuvre ; dans aucun siècle et chez aucune nation de la terre, on n’a, je crois, ainsi manié et utilisé la matière. […] De Greenwich à Londres, les deux rives sont un quai continu : toujours des marchandises qu’on empile, des sacs qu’on hisse, des navires qu’on amarre ; toujours de nouveaux magasins pour le cuivre, la bière, les agrès, le goudron, les matières chimiques. […] Les vieilles forêts antédiluviennes, en accumulant ici les aliments du feu, y ont emmagasiné la puissance qui remue la matière, et la mer fournit le vrai chemin sur lequel la matière peut être transportée.
Bossuet crut devoir expliquer plus amplement la matière, et composer l’instruction sur les États d’oraison, dont le manuscrit fut communiqué à Fénelon. […] Oeuvres diverses de Bossuet Comme précepteur du Dauphin, connue évêque, Bossuet a déployé une prodigieuse activité, et l’on se demande comment il a trouvé le temps d’expliquer, à plus forte raison d’étudier tant de matières, vastes et difficiles. […] Il divisait, subdivisait, multipliait les énumérations d’idées à développer, les récapitulations d’idées développées : mais tout cela n’avait rien de factice ni de pédant ; c’étaient des moyens de distribuer la matière, d’aider l’auditoire à suivre, à se rappeler ; c’était l’art d’un professeur qui sait qu’une exposition méthodique seule a chance de se graver dans la mémoire, et que l’on ne peut trop multiplier les points de repère. […] Cet ancien professeur de rhétorique avait une vraie foi, une émotion sincère, et de là une forte éloquence qui éclatait parfois : mais à l’ordinaire il ne pouvait se tenir d’amplifier sa matière, avec force hyperboles et grands mouvements.