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962. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Il se piquait d’avoir une manière d’envisager les choses qui lui était propre, et il l’avait en effet, il ne voyait pas comme un autre. […] Après le dîner, et le café pris, l’abbé s’assied dans un fauteuil, ses jambes croisées en tailleur, c’était sa manière ; et, comme il faisait chaud, il prend sa perruque d’une main, et gesticulant de l’autre, il commence à peu près ainsi : « Je suppose, messieurs, celui d’entre vous qui est le plus convaincu que le monde est l’ouvrage du hasard, jouant aux trois dés, je ne dis pas dans un tripot, mais dans la meilleure maison de Paris, et son antagoniste amenant une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, enfin constamment, rafle de six. […] En religion, en morale, on sent où une telle manière de voir le mène. […] Galiani lui-même ne semble pas du tout récuser cette manière de voir à son sujet, et il ne craint pas de dire couramment et sans y prendre garde : Montesquieu et moi .

963. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Elle n’y pouvait paraître sans que le Sylvain de Châtenay, la Nymphe d’Aulnay, lui vinssent rendre hommage en personne ; et il n’était pas jusqu’au Plessis-Piquet qui n’eût sa manière de divinité champêtre. […] — qui se rapportaient à la manière trop habituelle et très incomplète dont l’abbé Genest, en ses jours de distraction, attachait le vêtement que les Anglais n’osent nommer ; ce sont des plaisanteries de nature à n’avoir place que dans Le Lutrin vivant. […] Elle nous a rendu à merveille le talent de bien dire, qui était particulier à la duchesse du Maine, et qui tout d’abord attira son attention : Je la lui donnais tout entière et sans effort, a dit Mlle de Launay ; car personne n’a jamais parlé avec plus de justesse, de netteté et de rapidité, ni d’une manière plus noble et plus naturelle. […] Elle croit en elle de la même manière qu’elle croit en Dieu et en Descartes, sans examen et sans discussion.

964. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

C’était surtout aussi une manière de s’exercer sur un beau thème et de lutter avec un maître. […] Ses amis (car il en eut) assurent qu’en s’emparant ainsi du sceptre, il n’en était nullement orgueilleux au fond : « Ne se considérant que comme une combinaison heureuse de la nature, convaincu qu’il devait bien plus à son organisation qu’à l’étude ou au travail, il ne s’estimait que comme un métal plus rare et plus fin. » C’était sa manière de modestie. […] Il fait voir d’une manière très sensible comment les questions changèrent bien vite de caractère dans cette mobilité, une fois soulevée, des esprits : « Ceux qui élèvent des questions publiques devraient considérer combien elles se dénaturent en chemin. […] Je parle de Manette parce que c’est une manière discrète d’indiquer comment Rivarol n’avait point dans ses mœurs toute la gravité qui convient à ceux qui défendent si hautement les principes primordiaux de la société et le lien religieux des empires.

965. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

» Il est à regretter qu’il ait ainsi négligé la seule manière de rendre profitable à la postérité, à l’histoire, cette carrière si éparse et si brisée, et d’en faire absoudre les inconstances et les fautes mêmes par l’instruction ou l’agrément qui en jaillirait. […] Il tenait du duc d’Orléans, futur régent, du marquis de La Fare, de Chaulieu et des habitués du Temple, du grand prieur de Vendôme chez qui, plus tard, Voltaire jeune le rencontrera au passage : il lui suffisait, en tout état de cause, de rester digne de ce qu’il appelait la société des honnêtes gens, mais ce mot commençait à devenir bien vague ; et Saint-Simon, plus sévère et qui pressait de plus près les choses, disait de lui : « C’était un cadet de fort bonne maison, avec beaucoup de talents pour la guerre, et beaucoup d’esprit fort orné de lecture, bien disant, éloquent, avec du tour et de la grâce, fort gueux, fort dépensier, extrêmement débauché (je supprime encore quelques autres qualifications) et fort pillard. » Ce qui s’entrevoit très bien dans le peu qu’on sait du rôle du chevalier de Bonneval dans ces guerres d’Italie, c’est qu’il n’était pas seulement né soldat, mais général : il avait des inspirations sur le terrain, des plans de campagne sous la tente, de ces manières de voir qui tirent un homme du pair, et le prince Eugène dans les rangs opposés l’avait remarqué avec estime. […] Bonneval exposa l’affaire à sa manière et ne put se tenir de dire en terminant : Je ne croyais pas qu’une dépense, faite avec le consentement et l’approbation de Monseigneur le duc de Vendôme, fût sujette à la révision des gens de plume, et plutôt que de m’y soumettre, je la paierai moi-même. […] Au lieu de revenir en France, après ses exploits de Hongrie, Bonneval continua de séjourner à Vienne, où il occupait un haut rang, mais où le ton et l’étiquette régnante devaient, tôt ou tard, amener des désaccords avec sa manière d’être et de vivre.

966. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Je voudrais présenter d’une manière claire et incontestable pour tout le monde la vraie situation de Carrel au National, dès l’origine en janvier 1830, et les diverses gradations d’idées, de sentiments et de passions par lesquels il arriva à la polémique ardente et extrême qui a gravé son image dans les souvenirs. […] Vandamme avait commencé par être un chef de compagnie franche, et Carrel remarque finement « qu’il y a toujours eu dans la manière dont il faisait la guerre, aussi bien sous la République que sous l’Empire, du chef de compagnie franche ». […] Guizot, me dit un témoin digne de foi, louer avec chaleur la manière dont Carrel s’était acquitté de sa tâche et les rapports qu’il avait reçus de lui à cette occasion. » Au retour de sa mission, Carrel apprit qu’il était nommé préfet du Cantal : il refusa à l’instant (29 août). […] « D’un autre côté, si l’on s’imagine que les événements de Juillet n’ont fait autre chose que mettre un nom propre à la place d’un nom propre, une famille à la place d’une autre, … on se trompe d’une manière déplorable. » Ce n’est point là non plus sa solution.

967. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Mais, si l’on exprime par le mot de volonté ce fait que, dans tout état de conscience, même le plus élémentaire, la phase sensitive est inséparable d’une phase émotionnelle et celle-ci d’une phase appétitive ou réactive ; si l’on veut dire encore que, dès le début du processus psychologique, il y a déjà un appétit modifié par une sensation d’une manière plus ou moins agréable ou pénible, que c’est là le fait primitif, le fait irréductible de la psychologie, exprimable en abrégé par les mots de passion et de réaction, ne peut-on alors, par l’observation et le raisonnement, établir l’existence de la volonté ? […] En un mot, l’être qui jouit ou souffre n’est pas, dans sa totalité, indifférent à la jouissance qu’il reçoit ou à la peine qu’il reçoit ; il ne se borne pas à pâtir de telle manière, à répéter pour ainsi dire continuellement : je pâtis, donc je pâtis ; il dit : je pâtis, donc je veux continuer ou cesser de pâtir. […] On ne pourra plus affirmer alors que la réaction psychique soit un ensemble de sensations passives qui, combinées, donnent l’illusion de l’agir et du vouloir ; aucune combinaison de passivités n’explique d’une manière intelligible le sentiment d’activité, et le vouloir-vivre est aussi clair en nous que la sensation même. […] Nous ne pouvons contracter à volonté nos intestins ; c’est que nous n’avons aucune image-souvenir de la manière dont la contraction se fait.

968. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Quand il n’y a ni beautés, ni défauts dans une œuvre, qu’au lieu de médiocre, elle est nulle, quand l’artiste n’a pas su lutter avec les difficultés de son sujet et qu’il a été accablé et anéanti par elles, la critique refait à sa manière… elle devient inventive, elle crée15… » Notre époque, où manquent trop les esprits d’ensemble, dans le mépris où l’on tient les idées générales, nous donne, chaque jour, une définition nouvelle de la critique. […] Il ne transformera en aucune façon la « manière » de cet auteur pour peu qu’elle soit personnelle, et l’auteur continuera à entretenir avec soin ses qualités et surtout ses défauts qui constituent sa « marque »18. […] Ce radical est nationaliste à sa manière. […] Mais il y a « la manière » et la sienne pleine de rouerie n’est point la plus indulgente bien qu’on en ait dit.

969. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

……………………………………………………………………………………………… Mais, mes frères, ce n’est pas à moi de publier ces merveilles, pendant que le Saint-Esprit nous représente si vivement la joie triomphante de la céleste Jérusalem par la bouche du prophète Isaïe. « Je créerai, dit le Seigneur, un nouveau ciel et une nouvelle terre, et toutes les angoisses seront oubliées, et ne reviendront jamais : mais vous vous réjouirez, et votre âme nagera dans la joie durant toute l’éternité dans les choses que je crée pour votre bonheur : car je ferai que Jérusalem sera toute transportée d’allégresse, et que son peuple sera dans le ravissement : et moi-même je me réjouirai en Jérusalem, et je triompherai de joie dans la félicité de mon peuple219. » Voilà de quelle manière le Saint-Esprit nous représente les joies de ses enfants bienheureux. […] » Trois choses contribuent ordinairement à rendre un orateur agréable et efficace : la personne de celui qui parle, la beauté des choses qu’il traite, la manière ingénieuse dont il les explique : et la raison en est évidente ; car l’estime de l’orateur prépare une attention favorable, les belles choses nourrissent l’esprit, et l’adresse de les expliquer d’une manière qui plaise, les fait doucement entrer dans le cœur ; mais de la manière que se représente le prédicateur dont je parle, il est bien aisé de juger qu’il n’a aucun de ces avantages.

970. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Et ce n’est pas d’une seule manière et d’une seule fois que Cassagnac a dégradé la Révolution française, mais c’est à toutes les reprises, et de toutes les manières dont il soit possible de déshonorer une chose jusque-là respectée par les hommes. […] La démocratie, de 1786 à 1789, c’est Louis XVII C’est le faible Louis XVI, comme on dit, qui a intronisé cette manière de gouverner que pratiqua la Convention, et qui consiste à vouloir réaliser de haute lutte un système de choses antipathiques aux populations, à leurs préjugés, à leurs mœurs. […] Grâce à Dieu, l’auteur de l’Histoire des Causes a senti que de telles manières de procéder n’étaient que des méthodes d’erreur pour soi et de mensonge pour les autres.

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