La reine Marguerite, première femme de Henri, ne l’était plus, en effet, que de nom ; reléguée en Auvergne dans sa résidence d’Usson, il semblait qu’il ne s’agissait que de régler avec elle les formes de son consentement pour délier à l’amiable une union qui avait été si mal assortie et si peu observée des deux parts. […] Elle s’y trouva mal vers la fin de l’office, revint chez Zamet ; son mal augmentant, elle voulut sur l’heure quitter cette maison et être conduite au logis de sa tante, Mme de Sourdis, près du Louvre. […] Sully survenant lui cita les Psaumes et lui parla du doigt de Dieu, dont la sagesse convertit souvent notre mal en bien ; il parlait en cela comme sentaient tous les bons Français, que la mort de cette pauvre femme tirait d’une inquiétude grave. […] [NdA] On a peu de lettres d’elle ; j’en lis deux qui sont imprimées tant bien que mal dans les Voyages aux environs de Paris, par Delort (t.
Une des remarques de cette judicieuse Logique, en effet, c’est que la plupart des erreurs des hommes viennent moins de ce qu’ils raisonnent mal en partant de principes vrais, que de ce qu’ils raisonnent bien en partant de jugements inexacts ou de principes faux. […] Il voudrait le voir s’émanciper enfin, ne plus être soumis toujours ni docile à l’excès et subordonné ; il l’excite à prendre sur lui et à user de toute l’étendue des pouvoirs qu’il a en main, pour le bien du service : « Un prince sérieux, accoutumé à l’application, qui s’est donné à la vertu depuis longtemps, et qui achève sa troisième campagne à l’âge de vingt-sept ans commencés, ne peut être regardé comme étant trop jeune pour décider. » Le duc de Bourgogne lui répond avec calme, avec douceur, peut-être même avec raison sur certains détails, mais sans entrer dans l’esprit du conseil qui lui est donné ; et, quand il a tout expliqué et froidement, un scrupule d’un autre genre le prend, et il dit à Fénelon dans une espèce de post-scriptum : « Je me sers de cette occasion pour vous demander si vous ne croyez pas qu’il soit absolument mal de loger dans une abbaye de filles : c’est le cas où je me trouve. […] Un jour il apprend que le duc de Bourgogne, parlant moins en prince et en fils de roi qu’en pénitent et en homme qui sort de son oratoire, a dit que ce que la France souffrait alors, en 1710 (et elle souffrait, en effet, d’horribles maux), venait de Dieu qui voulait nous faire expier nos fautes passées : « Si ce prince a parlé ainsi, écrit Fénelon au duc de Chevreuse, il n’a pas assez ménagé la réputation du roi : on est blessé d’une dévotion qui se tourne à critiquer son grand-père. » Dans tout ceci, je n’ai d’autre dessein que de rappeler quelques traits de la piété noble, élevée, généreuse, à la fois sociable et royale de Fénelon, sans prétendre en tirer (ce qui serait cruel et presque impie à son égard) aucune conséquence contre l’avenir de son élève chéri, contre cet avenir qu’il n’a point été donné aux hommes de connaître et de voir se développer. […] Dans son exil, et malgré ses restes de relations confidentielles à la Cour, il n’était plus bien informé du fond ; il dit à tout moment qu’il est mal instruit de l’état général des affaires, et il a raison ; il n’en juge que comme le public et, selon qu’il le dit, par les morceaux du gouvernement qu’il entrevoit sur sa frontière. […] [NdA] Je ne dois pas, en écrivant, tout à fait oublier que Le Moniteur s’affiche au coin des rues ; voici toute la citation trop vraie ; je l’offre à ceux qui lisent dans la chambre : « Quand on est destiné à gouverner les hommes, il faut les aimer pour l’amour de Dieu, sans attendre d’être aimé d’eux, et se sacrifier pour leur faire du bien, quoiqu’on sache qu’ils disent du mal de celui qui les conduit avec bonté et modération. »
Jaloux, de mon bonheur si bien persuadés, Voyez si vos soupçons ne sont pas mal fondés, Si l’on peut m’accuser de la moindre licence, Et si jamais Amour fut si plein d’innocence. […] Mlle de Joyeuse devint la marquise de Brosses, et Maucroix, soit à Paris où il était allé se distraire, soit de retour à Reims où il retrouva l’objet de son mal, gardait un beau reste d’attache et de sentiment. […] Après des années, un jour qu’il était accusé d’être volage et peu profond dans ses sentiments, Maucroix en convient d’assez bonne grâce : À propos, écrivait-il à une femme d’esprit qui l’attaquait là-dessus, vous me reprochez que bien souvent ç’ont été les sens qui ont emporté mon cœur ; pour cette fois-là (Il parle d’une liaison nouvelle), vous ne devinez pas trop mal, ma chère ; quand il y a un peu d’amour en campagne, cela arrive assez souvent : car, quoi ! […] Ici le nonchaloir et la philosophie sembleraient aller jusqu’à une égoïste indifférence pour les maux de tous : avec un peu de travail, Maucroix aurait rendu sa pensée sans prêter à ce reproche. Je continue : Il rit de ces prudents qui, par trop de sagesse, S’en vont dans l’avenir chercher de la tristesse Et des soucis cuisants : Le futur incertain jamais ne l’inquiète, Et son esprit content, toujours en même assiette, Ne peut être ébranlé, même des maux présents.
À celle nouvelle, il éprouva une impression soudaine et qu’il a rendue bien énergiquement ; tout son sang se glaça, en écoutant le gentilhomme qui lui faisait ce récit : « S’il m’eût donné, dit-il, deux coups de dague, je crois que je n’eusse point saigné ; car le cœur me serra et fit mal d’ouïr ces nouvelles ; et demeurai plus de trois nuits en cette peur, m’éveillant sur le songe de la perte. » Il se représentait la scène du conseil, sa promesse solennelle de la victoire, la conséquence incalculable dont une défaite eût été pour la France, et dans ce prompt tableau que son imagination frappée lui développa tout d’un coup, cet homme intrépide retrouva la peur à laquelle il était fermé par tout autre côté. […] Le roi pourtant eut son avis, à lui, et démêla les qualités essentielles de son brave serviteur sous les défauts dont on le chargeait : « Le roi répondit qu’il avait toujours vu et connu que la colère et bizarrerie qui était en moi n’était sinon pour soutenir son service, lorsque je voyais qu’on le servait mal : or, jamais il n’avait ouï dire que j’eusse pris querelle avec personne pour mon particulier. » M. de Guise, favorable à Montluc, fit aussi cette remarque devant le roi, que le maréchal de Brissac se contredisait dans sa lettre, en déniant d’une part à Montluc l’ordre de talents nécessaires pour commander au nom du roi, et d’autre part en le louant si fort pour des qualités qui sont pourtant les principales en un homme de commandement, telles que d’être homme de grande police et de grande justice, et de savoir animer les soldats en toute entreprise : « Qui a jamais vu, ajoutait M. de Guise, qu’un homme doué de toutes ces bonnes parties n’eût avec lui de la colère ? Ceux qui ne se soucient guère que les choses aillent mal ou bien, ceux-là peuvent être sans colère. » Il fut donc décidé que Montluc s’en irait lieutenant du roi à Sienne ; le courrier qui lui portait sa nomination le trouva à Agen, où il était pour lors bien malade. […] Il leur donna toutes les instructions essentielles pour pourvoir sur l’heure à la garde des portes, à la rentrée des blés, farines et vivres du dehors, et aux autres soins de la défense : pour lui, dévoré de la fièvre, il dut se retirer en son logis après cette harangue, et, son mal empirant, il fut quelques jours en danger de mort. […] Transporté dans une place voisine, à Montalsin, et sachant Montluc presque à l’extrémité, il dépêcha à Rome pour faire venir un autre gouverneur, M. de Lansac ; mais celui-ci ne sut point s’y prendre et se laissa tomber aux mains des ennemis en essayant d’arriver à Sienne : « S’il fût venu, dit naïvement Montluc, je crois que je fusse mort, car je n’eusse eu rien à faire ; j’avais l’esprit tant occupé à ce qui me faisait besoin, que je n’avais loisir de songer à mon mal. » Après avoir été trois jours regardé comme mort, et avoir reçu la visite de Strozzi guéri plus tôt que lui, Montluc revint peu à peu à une santé suffisante pour vaquer à ses devoirs.
L’on dort souvent plus mal parmi les délices sur de bons matelas, que sur des gabions ; et n’y a de pareil repos que celui qui s’acquiert avec beaucoup de peine. […] La France était si heureuse durant sa vie, que depuis douze cents ans elle n’avait joui d’une pareille félicité. » Rohan prévoit tous les maux qui vont recommencer, toutes les ambitions qui s’aiguisent déjà : En sa vie, il (Henri IV) contenait par son autorité les méchants : en sa mort, toute crainte de mal faire est ôtée, et semble que toute liberté soit permise aux méchants. […] Ceux qui ont vu le règne de Charles IXe, avec la suite des maux que la France a soufferts depuis, jugeront facilement le danger où elle est. […] Mais cette paix, obtenue ainsi en marchandant, fut mal observée.
Descîaux de Mesplées, évêque de Lescar ; il vivait tantôt bien, tantôt mal, avec le procureur général. […] Il y est dit, entre autres griefs, que Foucault se servait, pour la conversion du menu peuple, d’un homme de néant nommé Archambaud, que cet Archambaud menait des gens de sa sorte au cabaret et trouvait le moyen de les enivrer ; que le lendemain, lorsqu’ils étaient revenus à eux-mêmes, il leur allait dire, ou qu’ils avaient promis d’aller à la messe, et que s’ils prétendaient s’en dédire, il les ferait traiter comme des relaps ; ou qu’ils avaient mal parlé du gouvernement et des mystères catholiques, et que le seul moyen de se racheter d’une sévère punition était de se ranger à la religion romaine ; que l’affaire, ainsi amorcée et entamée sur des gens du commun, se poursuivit ensuite sur ceux d’une condition supérieure ; qu’en général l’artifice de l’intendant était de faire faire aux réformés, sous quelque prétexte, un premier acte extérieur qui pût être interprété pour une adhésion à la communion romaine, comme d’assister à un sermon, par curiosité ou par intimidation, et qu’ensuite, moyennant la peur d’être déclarés relaps et traités comme tels, il avait raison de son monde ; que, sans avoir eu besoin de demander des troupes, il s’était servi de celles qu’on faisait filer alors sur la frontière de l’Espagne et que commandait le marquis de Boufflers, et qu’il avait été commis par ces troupes, lui les dirigeant et les conduisant de ville en ville, de village en village, de véritables horreurs et cruautés. […] De rigueurs, il n’en fut un moment question que pour en rejeter aussitôt l’idée, et Foucault se fit fort d’arriver au but par une tout autre méthode que celle de son prédécesseur, laquelle avait si mal réussi. […] Il eut l’honneur, en juillet 1690, de recevoir et de régaler à son passage le roi Jacques détrôné et fugitif, qui avait pris sa route par Caen : il fut très-frappé de l’air indifférent, passif, de ce roi opiniâtre,« qui paraissait aussi insensible au mauvais état de ses affaires que si elles ne le regardaient point ; qui racontait ce qu’il en savait en riant et sans aucune altération. » Le roi Jacques se flattait à cette date, que « le peuple anglais était entièrement dans ses intérêts » ; et il imputait tout le mal au prince d’Orange et aux troupes étrangères que l’usurpateur avait fait passer en Angleterre. […] Il avait vendu tout cela avant sa mort à différentes personnes, parce qu’il a été mécontent de son fils qui a été obligé de se retirer en Espagne pour une impertinence faite chez Mme la duchesse de Berry… Le Père a toujours été mal depuis ce temps là et s’est défait de toutes ses curiosités.
Les effets en furent lents, il est vrai, et deux siècles se passèrent avant qu’on se ressentît et qu’on s’aperçût des résultats : « Mais alors arriva le Génie du mal, Richelieu ; il commença l’application de ces édits, application malheureusement continuée par Louis XIV. […] faut-il que nous lui préparions encore tout ce que les testateurs futurs peuvent y ajouter de maux par leurs dernières volontés, trop souvent bizarres, dénaturées même ? […] « C’est dans cette impassibilité devant le mal, unie à un esprit ardent de prosélytisme, que consiste essentiellement la tolérance. » — Oh ! […] Cette grande qualité sociale, ainsi composée et combinée de deux contraires, quand on a le bonheur de l’avoir conquise et de la bien pratiquer, donne à la concurrence des esprits et au jeu des forces libres toute leur activité et toute leur vie, en conjurant les dangers qui naissent du refoulement et de la compression : « Elle permet, il est vrai, la propagation du mal, mais elle donne à celle du bien une force incomparable. […] Les sceptiques ont beau jeu, et les pessimistes aussi ; ils peuvent élever bien des objections et arguer de l’inutilité de pareils efforts, de l’impuissance de semblables remèdes palliatifs, quand une fois un principe dominant s’est emparé de la société : il semble alors qu’il faille que ce principe sorte tous ses effets et se produise, bon gré, mal gré, jusqu’au bout ; on ne le déjoue pas.
Zeller en résume ainsi les préceptes, qui tiennent à la fois de la culture ou de l’hygiène locale et de la morale universelle : « Entretenir avec un soin religieux le feu, chose sacrée, dans le temple et au foyer domestique ; respecter l’eau qui coule et qu’on ne doit jamais souiller par un contact impur, surtout celui d’un cadavre ; couvrir, purifier, embellir la terre en multipliant, par le travail et les arrosages, la moisson jaunissante, la forêt qui tamise les rayons du soleil, et les arbres qui portent les doux fruits ; élever, nourrir les animaux nobles et faire une guerre sans relâche aux impurs, voilà comme le sectateur de Zoroastre combat le mal physique dans la nature. […] Notre fondateur Romulus, bien plus sage, a vu la plupart des peuples voisins, en un seul jour ennemis de Rome et ses « concitoyens. » Le programme de Romulus (si Romulus il y a) fut celui de toute la République et de tout l’Empire ; il fut appliqué et pratiqué, bon gré, mal gré, à chaque période, et dans des proportions de plus en plus larges, jusqu’au jour où parut enfin ce décret impérial dont on fait honneur à Caracalla, et en vertu duquel tous les hommes libres, sans distinction, répandus sur toute la surface de l’Empire, se trouvèrent avoir acquis officiellement le droit de cité romaine. […] Il pense avec Dion Cassius « que tant que la République fut petite et son territoire médiocre, la forme républicaine pouvait suffire et qu’elle fut un bien, mais que, sitôt que Rome, se jetant au dehors de l’Italie et traversant les mers, eut rempli de sa puissance les continents et les îles lointaines, la République n’était plus qu’un mal. » Voyez Rome, en effet, au temps de César et avant qu’il mette la main à l’Empire, avant qu’il soit revenu des Gaules pour passer le Rubicon : quelle confusion ! […] La Constitution de l’État sous Auguste et ses successeurs reste mal définie ; elle est élastique. […] L’antidote doit être proportionné au mal.
Il est vrai que c’est par ses douleurs physiques et par les aiguillons de ses maux qu’il semble surtout amené à la contrition morale. […] on n’a rien de mieux à faire alors que de lui donner audience : Mais aux jours les plus beaux de la saison nouvelle, Que Zéphire en ses rets surprend Flore la belle, Que dans l’air les oiseaux, les poissons en la mer, Se plaignent doucement du mal qui vient d’aymer, Ou bien lorsque Cérès de fourment se couronne, Ou que Bacchus soupire amoureux de Pomone, Ou lorsque le safran, la dernière des fleurs, Dore le Scorpion de ses belles couleurs ; C’est alors que la verve insolemment m’outrage, Que la raison forcée obéit à la rage. […] C’est alors qu’un soir, après avoir assez mal dîné à Covent-Garden, dans Hood’s tavern, comme il était de trop bonne heure pour se présenter en aucune société, il se mit, au milieu du fracas, à écrire, dans une prose forte et simple, tout ce qui se passait en son âme : qu’il s’ennuyait, qu’il souffrait, et d’une souffrance pleine d’amertume et d’humiliation ; que la solitude, si chère aux malheureux, est pour eux un grand mal encore plus qu’un grand plaisir ; car ils s’y exaspèrent, ils y ruminent leur fiel, ou, s’ils finissent par se résigner, c’est découragement et faiblesse, c’est impuissance d’en appeler des injustes institutions humaines à la sainte nature primitive ; c’est, en un mot, à la façon des morts qui s’accoutument à porter la pierre de leur tombe, parce qu’ils ne peuvent la soulever ;— que cette fatale résignation rend dur, farouche, sourd aux consolations des amis, et qu’il prie le Ciel de l’en préserver. […] Or j’ai soigneusement recherché dans ses œuvres les traces de ces premières et profondes souffrances ; je n’y ai trouvé d’abord que dix vers datés également de Londres, et du même temps que le morceau de prose ; puis, en regardant de plus près, l’idylle intitulée Liberté m’est revenue à la pensée, et j’ai compris que ce berger aux noirs cheveux épars, à l’œil farouche sous d’épais sourcils, qui traîne après lui, dans les âpres sentiers et aux bords des torrents pierreux, ses brebis maigres et affamées ; qui brise sa flûte, abhorre les chants, les danses et les sacrifices ; qui repousse la plainte du blond chevrier et maudit toute consolation, parce qu’il est esclave ; j’ai compris que ce berger-là n’était autre que la poétique et idéale personnification du souvenir de Londres, et de l’espèce de servitude qu’y avait subie André ; et je me suis demandé alors, tout en admirant du profond de mon cœur cette idylle énergique et sublime, s’il n’eût pas encore mieux valu que le poète se fût mis franchement en scène ; qu’il eût osé en vers ce qui ne l’avait pas effrayé dans sa prose naïve ; qu’il se fût montré à nous dans cette taverne enfumée, entouré de mangeurs et d’indifférents, accoudé sur sa table, et rêvant, — rêvant à la patrie absente, aux parents, aux amis, aux amantes, à ce qu’il y a de plus jeune et de plus frais dans les sentiments humains ; rêvant aux maux de la solitude, à l’aigreur qu’elle engendre, à l’abattement où elle nous prosterne, à toute cette haute métaphysique de la souffrance ; — pourquoi non ?