C’est l’aristocratie des mains gantées640.
Au premier acte, couchée sur son lit, la mitre au front et un grand lis à la main, elle ressemble aux reines fantastiques de Gustave Moreau, à ces figures de rêve, tour à tour hiératiques et serpentines, d’un attrait mystique et sensuel.
Elle laisse tomber sa parole comme un plomb, elle lance sa jambe en équerre, elle jette et présente la main avec des circuits caressants de pattes de homard, et tout cède à des manières si distinguées !
Il ne lui faut qu’installer dans les bureaux de la Morgue un petit employé placide, écrivant de sa plus belle main sur un grand registre, pendant que ses pommes mijotent sur le poêle : « Félicie Rameau, brunisseuse, dix-sept ans85. » — Ou bien ce sont les derniers communards buvant et chantant avec des filles dans les chapelles funéraires du Père-Lachaise86.
Et puis, n’oubliez pas que les gens du dix-septième siècle ne mangeaient pas fort proprement : ils prenaient la plupart des viandes avec leurs doigts, s’essuyaient les mains à la nappe, jetaient les os par-dessus leur épaule.
Nous l’avons vu expansif, bon garçon, bavard intarissable, racontant au premier venu, devant un bock, ses projets d’art, ses songes, ses émotions, ses amours, galvaudant tout ce que l’homme bien né garde pour lui ou de très rares intimes, étalant son intérieur comme son extérieur : en réalité, sous cette bonhomie ripailleuse, très dénigreur, rongé d’envie, se sachant impuissant, mais retenu dans un monde de ratés par une énorme vanité qui est encore du bourgeoisisme exaspéré, la vanité de serrer des mains célèbres, de figurer parmi les gens de lettres, et de passer pour un martyr de l’idéal.
Il passait dans la rue, le tournesol légendaire à la main ; ornait sa boutonnière d’un œillet vert ; affectait des allures déplaisantes et outrancières ; affichait les vices mêmes qu’il n’avait pas.
Un tel classique a pu être un moment révolutionnaire, il a pu le paraître du moins, mais il ne l’est pas ; il n’a fait main basse d’abord autour de lui, il n’a renversé ce qui le gênait que pour rétablir bien vite l’équilibre au profit de l’ordre et du beau.
Il l’embrassa et lui envoya, peu de jours après, son portrait : « Le duc de Reichstadt, dit M. de Montbel, y est représenté à mi-corps, assis vis-à-vis du buste de son père, ayant l’air d’écouter avec beaucoup d’intérêt en dehors du tableau. » Au bas, il avait écrit de sa main les vers d’Hippolyte à Théramène : Attaché près de moi par un zèle sincère, Tu me contais alors l’histoire de mon père.