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350. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

En même temps que des chroniques et des mémoires sans nombre jettent chaque jour des clartés nouvelles sur notre histoire passée ou contemporaine, notre curiosité, dont les besoins s’accroissent, se transporte au-delà des mers vers des nations encore mal connues, et s’enquiert aux voyageurs de ces grandes contrées du monde, réclamant d’eux du vrai et du nouveau, et accueillant avidement leurs récits. […] Or, le petit-fils de Zombé étant allé visiter les ruines de Palmarès,  revient et dit à son père Juan : « Je suis allé dans la vallée, et j’ai été m’asseoir au milieu des palmiers qui sont étendus sur le sable ; tes récits sont revenus à ma mémoire. […] On recueillit à grands frais dans toutes les bibliothèques de l’Europe les détails épars d’une vie qui fut à la fois si malheureuse et si obscure, et après des années de recherches, à la tête des œuvres du poète, reproduites dans tout l’éclat du luxe typographique, l’illustre éditeur put enfin placer l’histoire complète de cette vie tant méditée, magnifique et pieux monument élevé à la mémoire du génie.

351. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Toute sorte de plans politiques l’occupent, il envoie mémoires sur mémoires aux ministres, sans oublier les mémoires de ses services et de ses droits, se fâche des gratifications pécuniaires qu’on lui accorde, et les empoche après s’être fâché.

352. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’insurrection normande en 1793 »

— et ils ne sont pas des Mémoires non plus. Ils ne sont pas de ces Mémoires si chers en tout temps à la vanité française, mais plus que jamais à une époque d’importance personnelle où chaque circonférence se croit centre et où l’amour-propre vous prend familièrement le genou en vous disant : « Écoutez-moi !  […] Quant au mouvement insurrectionnel dont Vaultier nous fait le récit en l’opposant au récit des Mémoires de Louvet et de Wimpfen, le général équivoque des forces armées du Calvados, il se borna, ce formidable mouvement, à la ridicule affaire de Brécourt, que des historiens à microscope, dès qu’il s’agit de la Révolution, ont exagérée.

353. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

» (Mémoires.) […] Les Mémoires ont là-dessus des réticences très claires. […] Les Mémoires rétablissent les faits et en aggravent les conséquentes. […] Le don de créer n’est-il qu’une évocation, et l’imagination seulement de la mémoire ? […] Flaubert avait une mémoire qui le dispensait de prendre des notes.

354. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — I. Sur M. Viennet »

Viennet, j’ai deux béquilles qui me soutiendront pour aller à la postérité, mes Fables et mes Mémoires.” Les Mémoires, on ne les connaît pas encore ; les Fables, on les sait par cœur.

355. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

On lit dans les Mémoires du cardinal, à propos de cette prison de Nantes (1653) et des visites divertissantes qu’il y recevait : « Mme de La Vergne, qui avait épousé en secondes noces M. le chevalier de Sévigné, et qui demeuroit en Anjou avec son mari, m’y vint voir et y amena Mlle de La Vergne, sa fille, qui est présentement Mme de La Fayette. […] La cour de Madame pour l’esprit, pour les intrigues, pour les vices aussi, n’était pas sans rapport avec celle des Valois, et l’histoire qu’en a essayée Mme de La Fayette rappelle plus d’une fois les Mémoires de cette reine si aimable en son temps, qu’il ne faut pourtant pas croire toujours. […] Les Mémoires de la Cour de France pour les années 1688 et 1689 se font remarquer par la suite, la précision et le dégagé du récit : aucune divagation, presque aucune réflexion ; un narré vif, empressé, attentif ; une intelligence continuelle. […] Petitot, dans sa notice érudite sur Mme de La Fayette (Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, seconde série, tome LXIV), a fait commencer l’étroite liaison dix ans trop tôt, à ce qu’il me semble. […] Voir Huet sur Boileau dans ses Mémoires latins.

356. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Encore, presque toujours, dans la vie ordinaire, je ne lui en laisse pas le temps ; il me faudrait insister, chercher dans ma mémoire. […] Il faut ensuite que, grâce aux abréviations de la mémoire, les particularités de nos événements s’effacent, qu’un caractère commun à tous les éléments de la file prédomine, se dégage, s’isole et soit érigé par un substantif en substance. […] — Bien entendu, nous n’entreprenons point ici de démontrer la véracité de la mémoire ; la chose est impossible. […] Voilà le fait brut ; pour se l’expliquer, il suffit de se reporter aux opérations de la mémoire. — Il y a deux sensations qui n’ont jamais manqué de se succéder en nous : d’un côté, celle d’une obscurité de plusieurs heures ; de l’autre côté, celle d’un globe lumineux surgissant au bord oriental du ciel. […] De cette façon, notre prévision est la fille de notre mémoire.

357. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Mais c’est une erreur de s’imaginer que Goethe ne relève que de son pays : le développement de Goethe appartient à la France comme à l’Allemagne, Il suffit de jeter les yeux sur ses Mémoires pour en être convaincu. […] Goethe, dans ses Mémoires, s’est attaché avec un soin minutieux à expliquer comment il fit Werther avec sa propre vie, avec ses amours, avec ses douleurs, avec son sang pour ainsi dire. On dirait, tant il sentait que toute son œuvre était là en germe, qu’il n’a songé à écrire ses Mémoires que pour cette explication, par laquelle il termine une confession qu’il n’a jamais continuée au-delà. […] Les Mémoires de Goethe ont prouvé combien madame de Staël se trompait sur sur ce point. […] Mais ce n’est pas là exprimer sa vie ; ce n’est là qu’une œuvre de mémoire, pour ainsi dire, et d’érudition.

358. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Adieux, retours, départs pour de lointaines rives, Mémoire qui revient pendant les nuits pensives À ce foyer des cœurs, univers des absents ! […] Toi qui fis la mémoire, est-ce pour qu’on oublie ? […] Mais cette première impression toute sensuelle épuisée, je glissai bien vite dans les impressions plus intimes et plus pénétrantes de la mémoire et du cœur ; elles me poignirent, et je ne pus les supporter à visage découvert, bien qu’il n’y eût là, et bien loin tout alentour, que mes chiens, ma jument, les arbres, les herbes, le ciel, le soleil et le vent : c’était trop encore pour que je leur dévoilasse sans ombre l’abîme de pensées, de mémoires, d’images, de délices et de mélancolie, de vie et de mort dans lequel la vue de cette vallée et de cette demeure submergeait mon front. […] Il y a bien longtemps de cela ; mais, voyez-vous, la mémoire dans les cœurs d’enfants, c’est comme la braise du foyer éteint pendant le jour dans la maison : cela tient la cendre chaude, et, quand la nuit vient, cela se rallume dès qu’on la remue !  […] De chaque site, de chaque toit, de chaque arbre, de chaque repli du sol, de chaque golfe de verdure, de chaque clairière illuminée par les rayons rasants du soleil couchant, un éclair, une mémoire, un bonheur, un regret, une figure, jaillissaient de mes yeux et de mon cœur, comme s’ils eussent jailli du pays lui-même.

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