Je me suis rappelé Ménilmontant, le château donné par le duc d’Orléans à une danseuse d’Opéra, devenu une propriété de famille, et habité par mon oncle et ma tante de Courmont, M. et Mme Armand Lefebvre, et ma mère entre l’amitié des deux femmes. Je revoyais l’ancienne salle de spectacle, le petit bois plein de terreur, où étaient enterrés le père et la mère de ma tante, l’espèce de temple grec où les femmes attendaient le retour de leurs maris, de la Cour des comptes et du ministère des affaires étrangères ; enfin je me rappelais Germain, ce vieux brutal de jardinier, qui vous jetait son râteau dans les reins, quand il vous surprenait à voler du raisin. […] En chemin, il ne put me cacher la surprise qu’il éprouvait de le trouver si bien, d’après tout ce que lui faisaient craindre les lettres de sa mère, et confiants dans cette heure de résurrection, nous avons eu dans la bouche les mots de convalescence, de guérison. […] Ma mère, sur votre lit de mort, vous m’avez mis la main de votre enfant chéri et préféré dans la mienne, en me recommandant cet enfant avec un regard qu’on n’oublie pas, êtes-vous contente de moi ? […] comme je lui aurais tout caché, tout voilé, tout adouci, et comme je me serais appliqué à faire de la fin de sa vie, ce qu’aurait su en faire l’imagination d’une affection de mère — toute bête.
Il y a, entre autres, une mémorable scène, c’est quand Bernier, le loyal vassal, qui a retrouvé sa mère religieuse dans un couvent de ce même pays du Vermandois qu’on va ravager, est tout d’un coup surpris par l’incendie de l’abbaye, à laquelle Raoul, le fougueux baron, avait pourtant la veille accordé la paix ; mais un incident survenu a retourné soudainement sa volonté aveugle et enflammé sa colère ; il a commandé qu’on mit le feu, et il a été trop bien obéi : Brûlent les cellules, s’effondrent les planchers ; Les vins s’épandent, s’enfoncent les celliers ; Les jambons brûlent et tombent les lardiers ; Le sain-doux fait le grand feu redoubler ; Il (le feu) s’attache aux tours et au maître-clocher : Force est bien aux couvertures de trébucher ; Entre deux murs est si grand le brasier, Que toutes cent (les nonnains) brûlent écrasées ; Marcens y brûle, qui fut mère à Bernier, Et Clamados, la fille au duc Renier… De pitié pleurent les hardis chevaliers. […] Bernier regarde tout près d’un pilier ; Là vit sa mère étendue et couchée, Sa tendre face étendue et couchée ; Sur sa poitrine vit brûler son psautier. […] douce mère, vous me baisâtes hier En moi avez très-mauvais héritier, Je ne vous puis secourir ni aider, etc. […] Cette mère qui avait obtenu merci, la veille, et promesse de sauvegarde pour son abbaye ; ce serment violé ; ce double sacrilège commis par un féroce baron sur des nonnes innocentes ; ce fils pieux enchaîné par l’honneur à son seigneur indigne ; approuvé, la veille encore, pour son effort de loyauté, par sa mère, et qui voit brûler cette mère qu’il vient seulement de retrouver, d’embrasser, — qui arrive trop tard pour la sauver, et qui, pour consommation dernière, voit son psautier brûler sur sa poitrine ; image admirable et sainte ! le livre de prières d’une mère !
Ils ont vécu, ce Raoul qui, se faisant adjuger par le roi Louis l’héritage de Herbert de Vermandois, envahit le pays qu’il veut posséder, saccage et brûle, un vendredi saint, la ville d’Origny, avec son monastère et ses nonnes, qu’il promettait tout à l’heure d’épargner, qui, tout échauffé de cette atroce exécution, tout joyeux et de grand appétit, n’ose manger de la viande, quand son sénéchal en se signant lui remémore qu’« il est carême » ; ce Bernier, écuyer de Raoul, fils d’un des quatre fils de Herbert, qui, fidèle à la loi féodale, suit son maître contre son frère et ses oncles, voit sa mère brûlée sous ses yeux dans le monastère où elle s’est retirée, et renonce seulement son hommage quand Raoul, échauffe par le vin, l’a à demi assommé pour avoir trop haut regretté l’incendie de son pays et la mort de sa mère. […] Et jamais la force de l’honneur et du serinent féodal n’a plus fortement apparu qu’en ce Bernier : quand, sa mère morte, blessé lui-même, il a renoncé l’hommage, si, dans le premier moment de colère, il refuse la réparation que Raoul offre une fois revenu à lui, jamais cependant il n’aura le cœur en paix : il combattra Raoul de tout son courage, il le tuera, mais toujours l’idée de son serment violé le tourmentera : toujours il rappellera ses griefs, sa mère « arse », sa tête cassée ; il maintiendra « son droit », mais il sera inquiet. […] C’est par hasard que Jean Bodel trouve un vers d’une sensibilité délicate, faisant parler une mère qui donne son fils à l’empereur Charles pour la guerre saxonne : Il sera en pleurant de sa mère attendu28. […] Dans un poème du xiiie siècle, une mère, forcée de donner son fils, pour sauver son mari, prononce une plainte d’un accent juste et pénétrant29. […] , III, 209, une autre scène d’amour maternel ; Renaud est reconnu par sa mère à une cicatrice qu’il porte au front ; la scène est plus sèche, plus fruste, d’un beau sentiment encore et sans verbiage ; elle a bien l’air de remonter aux temps épiques.
Elle était née sans aucune mémoire, sans aucune imagination, disait-elle, et de plus parfaitement incapable de discourir avec l’entendement ; mais la Prière, la Prière plus forte que toutes les sécheresses, lui donna toutes les facultés qui lui manquaient ; car la Prière a fait Térèse, plus que sa mère elle-même : « Je suis en tout de la plus grande faiblesse, — dit-elle, — mais, appuyée à la colonne de l’Oraison, j’en partage la force. » Malade, pendant de longues années, de maladies entremêlées et terribles qui étonnent la science par la singularité des symptômes et par l’acuité suraiguë des douleurs, Térèse, le mal vivant, le tétanos qui dure, a vécu soixante-sept ans de l’existence la plus pleine, la plus active, la plus féconde, découvrant des horizons inconnus dans le ciel de la mysticité, et, sur le terrain des réalités de ce monde, fondant, visitant et dirigeant trente monastères : quatorze d’hommes et seize de filles. […] C’est une Blanche de Castille au cloître, mais supérieure à la mère de saint Louis par cela seul qu’elle est restée vierge et n’en fut pas moins mère, — la mère de tous ceux qu’elle enfanta à la vie religieuse et qu’elle éleva pour les cieux !
La bave qui coulait de sa bouche avait donné la gale à sa mère. […] Et la vieille a dit à celui-ci : « Quand tu ne vas plus nous voir, si tu préfères rester avec ta mère, tu n’as qu’à te mettre à pleurer.
Le père de sa mère avait trois filles ; un vieillard, gouverneur de sa province, lui en demanda une pour épouse. […] Sa vertueuse mère résolut de rester veuve pour se livrer sans distraction à l’éducation de ce fils. […] À dix-sept ans, sa mère le contraignit à quitter à regret l’école du philosophe, et à entrer dans les affaires comme mandarin de la dernière classe. […] Son seul délassement, disent-ils, était son instrument de musique, sur lequel il s’exerçait quelquefois pour exhaler ses lamentations ou ses invocations à l’âme de sa mère. […] Le souverain est le père et la mère de l’empire.
L’ami contristé s’éloigna ; mais la mère, encore jeune, de Goethe l’arrêta, à l’insu de son mari, dans l’antichambre, lui redemanda le volume et le lut en secret comme un objet d’édification de ses enfants. […] « Il ne peut être impie, dit-elle, celui qui a si galamment apporté cette cassette ici. » La mère fait venir un prêtre : il leur promet toutes les joies du paradis et les laisse tout édifiées. — « Et Gretchen ? […] Cependant nous pourrions, ma mère et moi, nous donner moins de tracas ; mon père a laissé en mourant un joli petit avoir, une maisonnette et un jardin hors de la ville. […] Elle était née après la mort de mon père ; le chagrin avait tari le sein de ma mère ; vous comprenez qu’elle ne pouvait penser à allaiter le pauvre petit vermisseau. […] Encore si je dormais seule, je laisserais bien volontiers pour toi les verrous ouverts ce soir ; mais ma mère a le sommeil léger, et, si elle nous surprenait, j’en mourrais sur la place.
lui demande une mère. — Peu importe, répond Rousseau, pourvu qu’il ne soit point dur. […] Mais la meilleure nourrice, c’est la mère. […] Il avait institué des prix pour les mères qui se passeraient de nourrices. […] On ne consultait ni la force de la mère ni le tempérament de l’enfant. […] L’usage est que la mère prépare sa fille au changement d’état par lequel elle va passer ; une mère seule peut trouver dans sa tendresse et son respect pour son enfant la chasteté de langage qui sied à de telles confidences.
. — Une petite fille de dix-huit mois rit de tout son cœur quand sa mère et sa bonne jouent à se cacher derrière un fauteuil ou une porte et disent : « Coucou. » En même temps, quand sa soupe est trop chaude, quand elle s’approche du feu, quand elle avance ses mains vers la bougie, quand on lui met son chapeau dans le jardin parce que le soleil est brûlant, on lui dit : « Ça brûle. » Voilà deux mots notables et qui pour elle désignent des choses du premier ordre, la plus forte de ses sensations douloureuses, la plus forte de ses sensations agréables. […] La figure de la bonne ou de la mère disparaissant derrière un meuble, le soleil disparaissant derrière la colline forment l’autre classe. […] De même que, dans le fœtus, on voit tour à tour la tête disproportionnée se réduire à sa juste mesure, les fontanelles du crâne se boucher, les cartilages se changer en os, les vaisseaux rudimentaires se clore et se ramifier, la communication de la mère et de l’enfant se fermer, de même, dans le langage enfantin, on voit tour à tour les deux ou trois noms dominants perdre leur prépondérance absolue, les mots généraux limiter leur sens trop vaste, préciser leur sens trop vague, s’aboucher entre eux, acquérir des attaches et des sutures, se compléter par l’incorporation d’autres tendances, ordonner sous eux des noms de classes plus étroites, former un système correspondant à l’ordre des choses, et enfin agir par eux seuls et d’eux-mêmes sans l’aide des nomenclateurs environnants. — Un enfant a vu sa mère mettre pour une soirée une robe blanche ; il a retenu ce mot, et désormais, sitôt qu’une femme est en toilette, que sa robe soit rose ou bleue, il lui dit de sa voix chantante, étonnée, heureuse : « Tu as mis ta robe blanche ? » Blanc est un mot trop large ; il faut que désormais il le réduise à une seule couleur. — Le même enfant entend sa mère qui lui dit : « Tu balances trop ta tête ; ta tête va frapper la table. » Il répond d’un air curieux et surpris : « Ta tête va frapper la table ?