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1294. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Une Université est proprement un corps composé de gens gradués en plusieurs facultés ; de professeurs qui enseignent dans les écoles publiques, de précepteurs ou maîtres particuliers, et d’étudiants qui prennent des leçons et aspirent à parvenir aux mêmes degrés ; au lieu qu’une Académie n’est point destinée à enseigner ou professer aucun art, quel qu’il soit, mais à en procurer la perfection ; elle n’est point composée d’écoliers que de plus habiles qu’eux instruisent, mais de personnes d’une capacité distinguée, qui se communiquent leurs lumières et se font part de leurs découvertes pour leur avantage mutuel. […] en roi…Qu’il mourût… Dieu dit : que la lumière se fasse, et elle se fit… et tant d’autres morceaux sans nombre seront toujours sublimes dans toutes les langues : l’expression pourra être plus ou moins vive, plus précise selon le génie de la langue ; mais la grandeur de l’idée subsistera tout entière. […] Mais ce verbiage, prétendu nécessaire, deviendra évidemment inutile, si on a soin de ranger les idées dans l’ordre convenable ; il résultera de leur disposition naturelle, une lumière qui frappera infailliblement et également tous les esprits, parce que l’art de raisonner est un, et qu’il n’y a pas plus deux logiques que deux géométries. […] Les réflexions philosophiques doivent surtout être l’âme de ces sortes d’écrits ; elles seront tantôt mêlées au récit avec art et brièveté, tantôt rassemblées et développées dans des morceaux particuliers, où elles formeront comme des masses de lumière qui serviront à éclairer le reste. Ces réflexions, séparées des faits ou entremêlées avec eux, auront pour objet le caractère d’esprit de l’auteur, l’espèce et le degré de ses talents, de ses lumières et de ses connaissances, le contraste ou l’accord de ses écrits et de ses mœurs, de son cœur et de son esprit, et surtout le caractère de ses ouvrages, leur degré de mérite, ce qu’ils renferment de neuf ou de singulier, le point de perfection ou l’académicien avait trouvé la matière qu’il a traitée, et le point de perfection où il l’a laissée ; en un mot, l’analyse raisonnée des écrits ; car c’est aux ouvrages qu’il faut principalement s’attacher dans un éloge académique : se borner à peindre la personne, même avec les couleurs les plus avantageuses, ce serait faire une satire indirecte de l’auteur et de sa compagnie ; ce serait supposer que l’académicien était sans talents, et qu’il n’a été reçu qu’à titre d’honnête homme, titre très estimable pour la société, mais insuffisant pour une compagnie littéraire.

1295. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

C’est ce qui pourrait faire douter que la raison de l’homme profite réellement de ce qu’on appelle les nouvelles lumières. […] Depuis que nous sentons à quel point l’existence de chaque citoyen tient à celle du gouvernement (grande vérité totalement oubliée en France pendant une longue prospérité de plus de cent cinquante ans), les derniers siècles de la république romaine, et son passage de l’aristocratie à l’unité de chef, sont devenus pour nous des torrents de lumière : on n’avait cessé de déraisonner dans les livres et dans les assemblées, sur cette histoire fameuse, trop défigurée par les diatribes des ignorants. […] Corneille tient les cœurs dans sa main ; il nous rend presque démagogues dans les premières scènes ; mais bientôt il dissipe lui-même le prestige par l’éclat d’une lumière plus pure ; il nous montre les dangers et la sottise de ce même enthousiasme dont il vient d’échauffer nos esprits. […] Le caractère même de Calderon répugne à toute idée d’imitation ; ses conceptions portent l’empreinte d’une originalité grossière et sauvage ; on n’y reconnaît aucune espèce d’art, de règle ni de frein : quelques traits sublimes y jettent une vive lumière au milieu des plus épaisses ténèbres de l’ignorance et de la folie.

1296. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Moréas et Adam les chefs de l’école symboliste, c’était pour cette raison seule, qu’ignorant tout à fait du symbolisme, comme de toute autre matière littéraire, il en était réduit à se fier aux lumières des personnes qui prenaient la peine de l’aller voir. […] « Il faut une mèche au flambeau, et quelque grossier que soit en lui-même ce procédé de la lumière, ne devient-il pas absolument admirable lorsque la lumière se produit… Le génie n’a point pour mission de créer mais d’éclaircir ce qui, sans lui, serait condamné aux ténèbres. […] Accomplis-toi dans ta lumière astrale, surgis, moissonne, monte. […] Cela s’apaise en clarté pure et naïve comme cela s’est ouvert, et c’est une pure goutte de lumière embrasée de mille douces transparences qu’a laissé là tomber de sa plume Gabriel Vicaire. […] Mais bien bas, comme une prière, Repliés vers cette lumière Du ciel rouvert.

1297. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

En second lieu, comme tous, ou presque tous, furent de grands peintres de la vie humaine, raison pour laquelle ils survivent et survivront autant que survivra l’humanité, ce sera une occasion pour nous de nous étudier nous-mêmes à leur lumière. […] Ce que nous étudions, ce que nous aimons, chez les maîtres, ce n’est pas seulement le style, c’est la lumière dont ils éclairent les sentiments éternels de l’humanité ; c’est la vie saisie au passage en sa mobilité fuyante, et peinte d’une touche enflammée, ou d’un trait léger et impérissable. […] Un tel sonnet, rapproché d’une telle dédicace, fait un contraste douloureux qui éclaire d’une désolante lumière la situation extrêmement pénible où se trouvait le grand poète sourdement persécuté par son tout-puissant rival. […] La question morale du mensonge est laissée dans l’ombre à dessein pendant la plus grande partie de la pièce, comme n’étant pas propre à l’égayer ; elle ne vient en lumière qu’à la fin, par la grande scène du père. […] Un tel éclairage aidait peu à la couleur, pour imiter la lumière des cieux.

1298. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Non pas que les choses entrevues seulement n’aient aussi leur charme, comme le vague a ses séductions ; mais les réelles beautés savent sortir aussi bien victorieuses du mystère de la pénombre que de l’éclat de la lumière, et la Vénus de Milo, par exemple, est aussi merveilleuse par la netteté de ses contours, sous le choc d’un rayon de soleil, que sous les ombres enveloppantes du crépuscule. […] On a observé que les poissons privés de lumière devenaient aveugles ; et j’ai vu, dans le Valais, des pâtres qui, ne se nourrissant que de lait caillé, perdent leurs dents de bonne heure ; quelques-uns d’entre eux n’en ont jamais eu. […] Quand ce fut fini, le vieux logis gothique, biscornu, plein de mystère et de recoins sombres, où nichaient les toiles d’araignée et les fantômes, se trouva transformé en une agréable maison moderne, spacieuse et claire, où jouait l’air pur, où riait la lumière de Dieu. […] Est-ce vraiment un bien pour ceux chez qui ils portent leurs lumières ? […] Je ne dis pas qu’il faille un autre Jéhovah pour classer, mettre dans la lumière, tout ce que contient l’Astre noir, le livre que vient de faire paraître M. 

1299. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Le milieu est nettement indiqué, afin que les personnages y viennent prendre leur place comme d’eux-mêmes et afin qu’ils y baignent dans leur lumière naturelle. […] Ces nuits étaient pâmées de chaleur, pleines de phosphore, et toute cette immensité éteinte couvait de la lumière, et toutes ces eaux enfermaient de la vie latente à l’état rudimentaire, comme jadis les eaux mornes du monde primitif23. […] Mais c’était une lumière pâle, pâle, qui ne ressemblait à rien ; elle traînait sur les choses, comme des reflets de soleil mort. […] Lavisse a-t-il d’ailleurs apporté des lumières très nouvelles ? […] Le Christ est la lumière nécessaire au monde moral, de même que les rayons du soleil sont la lumière nécessaire au monde matériel.

1300. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

D’une époque à une autre, s’il aperçoit bien quelques différences, il ne les impute qu’à la lenteur du « progrès des lumières ». […] Quelque désordre de composition que l’on aperçoive dans son livre, et quelque bizarrerie dans cette variété de lois qui en fait la matière, nous n’avons qu’à rapporter la variété de ces lois au « bien de la société » pour en voir les raisons apparaître, et en même temps son livre s’éclairer d’une lumière nouvelle. […] Aussi la tradition, en littérature, comme en tout, n’est-elle à leur égard qu’un empêchement superstitieux qui gêne également leur liberté de penser, la « diffusion des lumières », et le progrès de la raison. […] que la vérité ne brille pas toujours de sa propre lumière, et que de très bonnes causes ont eu cruellement à souffrir d’être mal défendues ? […] « C’est à ce moment même, écrit Garat, qu’une voix qui n’était pas jeune et qui était pourtant tout à fait inconnue, s’éleva, non du fond des déserts et des forêts, mais du sein même de ces sociétés, de ces académies et de cette philosophie où tant de lumières faisaient naître et nourrissaient tant d’espérances… et au nom de la vérité, c’est une accusation qu’elle intente, devant le genre humain, contre les lettres, les arts, les sciences et la société même » [Cf. 

1301. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

D’abord il était de toute importance d’avoir sa figure à soi dans l’ombre et celle de son partner dans la lumière, aussi son fauteuil est-il arrangé de manière qu’en faisant demi-tour à droite, quand quelqu’un entre dans son cabinet, il tourne le dos à la fenêtre. […] Une heureuse jeunesse appartenant tout entière au bonheur sensuel de vivre, en cette contrée de lumière, d’amour et de vin du Château des Papes, et où, dans la cervelle du romancier futur, ne s’était point encore glissé le souci littéraire. […] C’est mieux que « l’Allée de châtaigniers » de Théodore Rousseau, ces allées de platanes avec les tons blanchâtres de leurs troncs, le contournement architectural de leurs branches, les zigzags de soleil jouant dans le vert pâle de la feuille, avec enfin, la population aux couleurs voyantes, éclaboussée de lumière, qui marche sous la voûte doucement ombreuse. […] Des cours profondes comme des puits, des corridors interminables, des escaliers dont on ne peut compter les marches, puis soudain, des peintures ingénues et barbares, imparfaitement entrevues en un angle de plafond, soudain encore, un trou de lumière : une fenêtre avec son banc de pierre s’ouvrant au-dessus d’une ville de clochers roses sur un ciel mauve — et dans la trouble rêverie de votre esprit entre ces murs, revenant le souvenir du massacre, de la sanguinaire tuerie de 93.

1302. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Jeudi 19 janvier Je ne sais comment, aujourd’hui, mes mains se sont portées sur une petite glace de toilette de ma mère, en ont fait glisser le couvercle, et la glace entrouverte, devant sa lumière comme usée, et d’un autre monde, j’ai pensé à la nouvelle délicatement fantastique, qu’on pourrait faire d’un être nerveux, qui dans de certaines dispositions d’âme, aurait l’illusion de retrouver dans une glace, au sortir de sa nuit, la vision, pendant une seconde, de l’image reflétée du visage aimé, restée fixée dans l’obscurité. […] La lumière me fait mal, et me force à passer des journées, couché dans une chambre à demi obscurée… Alors la pensée noire de ne pas pouvoir finir mon travail, pour l’impression, et devoir interrompre la publication de ce Journal, dont je ne puis confier le manuscrit à personne, — et au fond le hantement de l’idée fixe de devenir aveugle, ce que je crains depuis vingt ans, oui, de devenir aveugle, moi, dont tous les bonheurs qui me restent sur la terre, viennent uniquement de la vue. […] C’est en face de la tour Eiffel, du haut en bas du Trocadéro, une multitude noire, s’étageant debout ou assise, et au milieu de laquelle, s’élèvent les enveloppes de toile des magnolias, semblables à des tentes arabes, avec un horizon de lanternes rouges sur un ciel d’un bleu noir, où fulgure, par moments, un jet de lumière électrique, partant de l’établissement des phares. […] Et ç’a été vraiment un féerique spectacle ; quand la messe finie et la porte de l’église ouverte, un coup de soleil y est entré, et enveloppant la mariée dans la blancheur transparente de son voile, l’a donnée à voir, une seconde, dans la lumière électrique d’un coup de théâtre.

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