I Littérature ! Peut-on dire que l’Innocent III du comte de Gasparin soit réellement de la littérature ? […] Son Innocent III, pour lequel on cherche un nom convenable sans le trouver, a tous les défauts de la Conférence, ce genre abaissé de littérature, et ces défauts-là sont nombreux et grands. […] La parole se substituant à l’écriture a, dans tous les temps, été le symptôme des littératures qui vont mourir. […] Telle la Conférence, qui, présentement, est en train de détrôner le livre et de noyer dans la salive humaine la littérature.
Mais (pour nommer les plus acceptés et les plus célèbres) Sainte-Beuve, par exemple, ce sondeur, qui avait gardé pour la littérature son ancienne sonde de carabin ; — mais Gustave Planche, cet esprit difficile et dégoûté ; — mais le bon Janin, qui, dans ses plus jolies gaîtés, avait à l’œil, perlant de son eau bête, la larme éternelle d’un Prudhomme attendri sur les honnêtes gens et la littérature honnête ! […] La Manon de l’abbé Prévost a pondu les autres Manons dont regorge la littérature actuelle. […] Elle a enfin inauguré l’avènement de la fille, qui jusque-là n’avait régné que dans l’histoire de la prostitution humaine, et daté son ère dans la littérature et dans la préoccupation des écrivains. […] Et, d’ailleurs, il ne s’agit ici ni de guérison ni de description : il s’agit uniquement et exclusivement de critique, — et d’une critique qui, pour être complète, pour mériter ce nom de critique, doit être tout à la fois esthétique et morale, parce que toute œuvre de littérature ou d’art s’adresse nécessairement, et du même coup, à l’intelligence et au cœur.
On en est venu, tous les morceaux principaux de l’ancienne littérature ayant déjà trouvé maître, à s’attacher aux moindres miettes, aux moindres noms. […] Il semble qu’une loi fatale asservisse les talents des diverses littératures aux mêmes phases. […] Qu’on ose un peu essayer par la pensée, dans une littérature moderne, des effets analogues à ceux de la grande catastrophe qui a sévi sur l’antiquité et qui l’a plus que décimée, on s’arrêtera avec effroi. […] Et je me demandais (toujours dans mon songe), par un retour sur nos époques paisibles et sûres d’elles-mêmes, si de telles vicissitudes étaient à jamais loin de nous ; si, en accordant un laps suffisant d’années, les révolutions inévitables des mœurs et du goût, sans parler des autres chances plus funestes, n’infligeraient pas aux littératures modernes quelque chose au fond de plus semblable qu’on n’ose de près se l’imaginer.
Intrépide analyste, travailleur infatigable, grand remueur d’idées, il a créé la critique d’érudition, et c’est l’homme de France qui connaît le mieux son histoire de la littérature. […] Etrange Cours de littérature — et M. […] Cela ne prouve rien, et nous sortons de la question, puisque nous sortons de la littérature. […] Travail, assimilation, imitation, manuscrits, refontes, il a tout passé sous silence, sans songer qu’il dédaignait ainsi le témoignage, la tradition et l’autorité de plusieurs siècles de littérature.
Tel est le genre de phrases et d’odieux baragouin qu’on peut cueillir à pleines plates-bandes dans la partie de cette Correspondance où Madame Sand n’est que l’obscure Aurore Dudevant, et où, comme elle le dit avec une originalité si puissante, elle ne s’est pas encore « embarquée sur la mer orageuse de la littérature ». […] Cette inspirée, comme elle se donne, cette spontanée, cette inconsciente, fit spontanément ou inconsciemment le calcul que la littérature, entendue comme elle projetait de l’entendre, pourrait lui rapporter un argent que la préoccupation littérale ne lui a jamais fait oublier, et son calcul inconscient d’argent était juste, car toute sa vie elle en a abondamment gagné. Elle ne se sentait ni n’avait assez de talent pour mourir de faim avec grandeur dans une civilisation mortelle souvent au génie, mais elle en avait assez peu pour que cette civilisation lui fût généreuse… Dès son début comme depuis, Madame Sand n’eut de conception plus haute de la littérature et de sa destinée à elle-même que l’indépendance du bohème et le sac d’écus, l’objectif du bourgeois rangé, qu’il appelle son magot. […] C’est le magot qui s’est toujours imperturbablement dessiné sur tous les horizons de sa rêverie, comme le profil aimé se dessine sur l’horizon des amoureux… Le bohème qu’elle se dit être à un ordre très étonnant pour un bohème et une prudente sagesse de bonne ménagère qu’on ne s’attendait pas à trouver dans cette ignorante, — qui n’a jamais su faire la plus petite addition, nous dit-elle, mais qui savait pourtant le prix de l’argent comme si elle l’avait exactement compté, — dans cette inconsciente en chiffres comme en littérature, et si phénoménalement positive dans tous les deux !
[Cours familier de littérature (entretien IX) (1856-1868).] […] [Cours familier de littérature (1856-1868).] […] [Littérature et philosophie mêlées (1864).]
Mais un dédommagement s’offre à nous ; c’est le tableau d’une société d’élite, qui s’éleva, avec le xviie siècle, au sein de la capitale ; unit les deux sexes par de nouveaux liens, par de nouvelles affections ; mêla les hommes distingués de la cour et de la ville, les gens du monde poli et les gens de lettres ; créa des mœurs délicates et nobles, au milieu de la plus dégoûtante dissolution ; réforma et enrichit la langue, prépara l’essor d’une nouvelle littérature, éleva les esprits au sentiment et au besoin de jouissances ignorées du vulgaire. […] La même méprise, qui fait imputer à l’hôtel de Rambouillet la préciosité des manières et du langage, fait méconnaître les services qu’il a rendus aux mœurs, à la langue même et à la littérature, et lui dérobe une gloire qui lui appartient. […] La vérité est que madame de Sévigné, dont pas une locution n’a vieilli, Descartes, Pélisson, Pascal, Malherbe, Régnier, Corneille, avaient écrit longtemps avant qu’aucun des écrivains du siècle de Louis XIV eut paru dans la littérature, même avant le règne de ce prince.
L’intérêt d’une mort prématurée — et même poétique — ne doit pas faire oublier à la Critique impartiale et sévère qu’elle s’adresse à ceux qui survivent, et que la seule question qu’il y ait pour elle n’est jamais qu’une question de littérature. […] Dupe, ou, pour dire un mot moins dur, victime du génie de Cooper, Ferry a cru qu’on pouvait reprendre la création achevée d’un immense artiste, et il ne s’est pas aperçu que dans Fenimore Cooper le véritable personnage, le vrai héros des poèmes que nous avons sous les yeux, c’est l’Amérique elle-même, la mer, la plaine, le ciel, la terre, la poussière enfin de ce pays qui n’a pas fait son peuple et qui est émietté par lui… Il n’a pas vu qu’en ôtant Bas-de-Cuir lui-même des romans de Fenimore, — cette figure que Balzac, qui avait le sens de la critique autant que le sens de l’invention, a trop grandie en la comparant à la figure épique de Gurth dans Ivanhoe et qui n’est guères que le reflet du colossal Robinson de Daniel de Foe, — il n’a pas vu qu’il n’y avait plus dans les récits du grand américain qu’une magnifique interprétation de la nature, que l’individualisation, audacieuse et réussie, de tout un hémisphère, mais que là justement étaient le mérite, la profondeur, l’incomparable originalité d’une œuvre qui n’a d’analogue dans aucune littérature. […] pas renouvelé la face de la littérature, et rien ne nous fait présumer dans ce qu’il nous laisse qu’il fût destiné à raviver plus tard les vieilles sources du roman ou du conte, plus taries encore que celles du roman.
C’est un écrivain qui, nous l’espérons pour l’honneur de son diamant futur, est encore tout entier dans sa gangue, et pour lequel nous serons obligé d’être sévère parce que nous lui croyons du talent en germe, et que l’esprit de ce système qui perd tout dans les arts et dans la littérature pourrait étouffer ce talent que nous tenons à voir s’épanouir. […] Le xviiie siècle a si souvent été décrit, vanté, retourné par les écrivains ennuyés du xixe qui voulaient s’amuser un peu, et qui, dans leur maussade époque, n’en avaient jamais l’occasion, que l’imagination s’est blasée et qu’il est bien difficile de faire renaître un intérêt quelconque pour une société dans les entrailles de laquelle tous les chiffonniers de la littérature contemporaine, ces chercheurs souvent sans lanterne, ont donné leur coup de crochet. […] Littérature étrangère.