Mais il ne faudrait pas en faire un petit… Il y aurait, dans un pareil ouvrage, un regard profond et détaillé à porter sur les travaux d’ensemble de cette corporation littéraire à qui on avait donné la langue à garder, et sur le mérite de chacun des esprits qui à toute époque la composèrent. […] Malgré le fléchissement des mœurs, l’abbé d’Olivet reste toujours, il est vrai, autant que Pélisson, l’homme de sa corporation littéraire, parlant d’elle devant elle, ce qui rappelle le mot si comique de Vernet dans le Père de la Débutante : « Ma fille, dites donc quelque chose de Monsieur à Monsieur ! […] Hors ces noms, qui importent vraiment, il n’y a, dans l’histoire littéraire comme dans l’autre histoire, que des babioles de talent et de renommées, à la mode aujourd’hui, au rebut demain ! […] Les patients, les pécheurs à la ligne de l’érudition maniaque, les curieux qui préfèrent les petites choses aux grandes, probablement parce qu’on les voit moins bien, s’acharnent quelquefois à tirer de l’oubli dans lequel ils gisent pour l’éternité tous ces morts littéraires ensevelis, et les histoires publiées par Livet sont particulièrement adressées à ces déterreurs.
Dépendant également de la Raison et de l’imagination, l’Histoire tombe alternativement sous la seule et absolue domination de l’une ou de l’autre, tantôt fiction, tantôt théorie, souvent toutes les deux. » Nous en demandons bien pardon à Macaulay, mais si la difficulté de la composition historique ne venait que de l’accord qu’il faut savoir établir entre l’imagination et la Raison, elle ne serait que celle de tous les genres de composition littéraire, qui n’existent pas plus que l’Histoire sans la fusion harmonieuse de ces deux grandes facultés. […] Il est de ces esprits, impuissants et nerveux tout ensemble, pour qui le perfectionnement littéraire consiste à s’effacer jusqu’au néant, à éteindre la chaleur, à diminuer le relief, à soutirer la passion, et pour qui toute page vivement écrite ou âprement pensée produit l’effet de l’écarlate sur le taureau. […] Mais il paraît que le bœuf aussi a la même horreur pour ce qui brille… Aux yeux de ces sortes d’esprits, Léopold Ranke, passant de l’état d’historien qui sent, se passionne et peint sa pensée, à l’état d’historien systématique et décoloré, est un grand esprit qui s’élève ; et si, à cette suppression de sentiment ou de mouvement, à cette recherche amoureuse sans amour de l’expression abstraite, à cette généralisation vague quand elle n’est pas fausse et fausse dès qu’elle s’avise de préciser, on ajoute la gravité, ce masque des têtes vides qui cache si bien, dans tant de livres contemporains, la platitude de la niaiserie sous l’imposance du sérieux, vous avez un de ces historiens composés de qualités négatives tels que les rationalistes philosophiques et littéraires conçoivent leur historien — leur caput mortuum — et l’ont souvent réalisé. […] Historiquement et religieusement, trop de choses nous séparent de l’historien allemand pour que nous puissions mêler une critique historique ou religieuse à notre critique littéraire, sans en diminuer la largeur.
On allait jusqu’à dire que, le jour de son baptême, et pendant la cérémonie, il avait annoncé par ses cris son caractère irascible, et présagé son goût pour les futurs vacarmes littéraires. […] La vie ou la légende littéraire de notre auteur, brodée par ses ennemis, est semée de ces à-propos et de ces enjolivements. […] Nos mœurs littéraires (sans être excellentes) sont devenues, j’aime à le remarquer, plus convenables et plus dignes. […] On le vit se multiplier en ces années orageuses, retrouver au Lycée, aux Écoles normales où il avait été nommé professeur, quelques-unes de ces inspirations littéraires faciles et lucides, et à la fois se disperser et s’exalter de plus en plus dans la politique des journaux. […] Il y avait pourtant quelque chose qui tenait plus avant au cœur de La Harpe converti que l’amour des belles dames et que le goût de la bonne chère, c’était la passion littéraire proprement dite, la démangeaison du critique, et il n’y put jamais résister.
La sorte de style qui nous occupe serait donc une des formes de l’amnésie verbale élevée à la puissance littéraire. […] Comme il y a toujours eu des écrivains privés de la mémoire visuelle, et que la mémoire verbale est un des signes les plus apparents de la vocation littéraire, l’usage des phrases toutes faites se retrouve à toutes les époques ; tout auteur célèbre traîne après lui un cortège équivoque qui répète ses mots et ses gestes. […] Il faut très longtemps pour que L’oeuvre ainsi tuée par une sorte d’envoûtement renaisse à la vie littéraire ; il faut que toute la littérature intermédiaire et imitatrice disparaisse dans l’oubli ; alors l’œuvre primitive, lavée et réhabilitée, s’offre à nouveau dans sa grâce première. […] Il est plus commode d’imaginer ces incohérences que d’aller en rechercher de véritables dans la littérature des imbéciles ; car là, il y a imbécillité, il y a absence de toute sensibilité littéraire. […] A Lyon, m.dcc.lix. — Ce livre a été refait récemment et, le croira-t-on, pour guider dans les sentiers de la vertu littéraire les jeunes disciples de l’Apollon noir.
Elle a gagné le domaine littéraire après l’action politique. […] L’anarchie littéraire a été préparée par ceux-là mêmes qui sont, depuis, revenus aux méthodes sévères d’un art classique. […] Quinze ans plus tard, on assiste à ce spectacle curieux, d’anciens libertaires, — nous parlerons au sens littéraire, — redevenus les gardiens de la tradition, tandis que le public commence à admettre des innovations désormais caduques. […] Louis Blanc écrivait en février 1839 dans la Revue du Progrès : « On a essayé de faire frémir à la fois toutes les cordes de l’âme humaine, faute de pouvoir en faire résonner assez puissamment une seule », et envisageant l’avenir littéraire, il prévoyait les désastres du romantisme. […] Il n’y a plus de revue qui soit l’organe d’un groupement d’idées littéraires.
Edward Sansot-Orland C’est là un curieux recueil d’un caractère étrange autant par son aspect typographique que par son contenu littéraire. […] L’orthodoxie d’une œuvre n’est point pour la recommander à mes yeux, car je ne saurais m’inquiéter que de sa valeur littéraire.
Ces sortes d’amnisties ont surtout leur charme en affaires littéraires, et l’esprit, dont le propre est de comprendre, jouit du plaisir singulier de se rendre compte, après-coup, de ce qu’il avait d’abord nié, et de ce qu’il a, autant qu’il l’a pu, détruit. […] Ses strophes à Le Franc, insérées dans l’Année littéraire (1758), suivirent probablement cette visite à Louis Racine, de qui il avait appris que Le Franc traduisait Virgile comme lui. […] Mais la disproportion entre cette gloire si littéraire, si mondaine, et ces thèmes qu’il dictait encore, devenait trop criante, et l’amitié de M. […] Le premier réveil de l’attention littéraire s’occupait à son sujet. […] Geoffroy, quoique du même parti politique que Delille, s’est montré beaucoup plus sévère dans la nouvelle Année littéraire qu’il essaya alors, et il ménagea moins l’aimable auteur que l’ancienne Année littéraire ne l’avait fait.
Pour Béranger, les passions en jeu étaient autrement vivaces ; toutes les anciennes rancunes ont profité de cette impatience du public (je ne dis pas du peuple, qui lui est resté fidèle) et se sont réveillées : rancunes légitimistes, rancunes religieuses, rancunes littéraires, et celles-ci très-vives, de la part des raffinés, qui méprisent sur toute chose le bourgeois et les succès qu’il consacre. […] Il y aura lieu pour la critique, dans quelques années, d’en faire un agréable chapitre d’histoire littéraire. […] Les éloges de Chateaubriand, qui sont ce qui l’a le plus flatté au monde, le touchent, mais ne l’enivrent pas ; il se connaît : « J’ai pris ma mesure il y a longtemps, dit-il ; j’ai au moins le mérite d’avoir utilisé mon petit talent, et c’est bien quelque chose. » Le voilà dans son orgueil littéraire, mais rien de plus. […] Chansonnier plus tard par calcul, par choix littéraire, il avait commencé bien sincèrement par l’être d’instinct et de vocation. […] Sa théorie de l’utilité de l’art, et d’un but public et politique à lui donner, laisse bien à dire ; elle distingue essentiellement Béranger des artistes proprement dits et marquera plus tard sa séparation d’avec la nouvelle école littéraire.
La tentative est la plus hardie qu’on ait encore faite dans cet ordre d’histoire littéraire, et l’on ne saurait s’étonner qu’elle ait soulevé tant d’objections et de résistances chez des esprits prévenus et accoutumés à des manières de voir antérieures. […] Mais, en abordant directement et de front l’histoire des œuvres littéraires et des auteurs, sa méthode scientifique non ménagée a effarouché les timides et les a fait trembler. […] Taine aura fait avancer grandement l’analyse littéraire, et celui qui après lui étudiera un grand écrivain étranger, ne s’y prendra plus désormais de la même manière ni aussi à son aise qu’il l’aurait fait à la veille de son livre. […] A ce rude métier, il devint ce qu’il est surtout et au fond, un savant, l’homme d’une conception générale, d’un système exact, catégorique, enchaîné, qu’il applique à tout et qui le dirige jusque dans ses plus lointaines excursions littéraires. […] Cet homme qu’on croirait si absolu quand on le lit est le plus doux, le plus aimable et le plus tolérant dans les rapports de la vie, même de la vie littéraire, celui de tous les auteurs qui accepte le mieux la contradiction directe et à bout portant, je parle de celle qui est loyale et non hypocrite.