. — Histoire générale des langues sémitiques. — Averroës , etc. […] De tout temps le génie français a penché vers la gaieté, la légèreté, le bon sens prompt, mais pétulant, imprudent, frondeur et railleur, la satire, la malice et, j’ajouterai, la gaudriole ; si cet élément unique dominait et l’emportait, que deviendrait le caractère de notre langue, de notre littérature ? […] Considérez notre littérature depuis le Moyen-Age, rappelez-vous l’esprit et la licence des fabliaux, l’audace satirique et cynique du Roman de Renart, du Roman de la Rose dans sa seconde partie, la poésie si mêlée de cet enfant des ruisseaux de Paris, Villon, la farce friponne de Patelin, les gausseries de Louis XI, les saletés splendides de Rabelais, les aveux effrontément naïfs de Régnier ; écoutez dans le déshabillé Henri IV, ce roi si français (et vous aurez bientôt un Journal de médecin domestique, qui vous le rendra tout entier, ce diable à quatre, dans son libertinage habituel) ; lisez La Fontaine dans une moitié de son œuvre ; à tout cela je dis qu’il a fallu pour pendant et contrepoids, pour former au complet la langue, le génie et la littérature que nous savons, l’héroïsme trop tôt perdu de certains grands poëmes chevaleresques, Villehardouin, le premier historien épique, la veine et l’orgueil du sang français qui court et se transmet en vaillants récits de Roland à Du Guesclin, la grandeur de cœur qui a inspiré le Combat des Trente ; il a fallu bien plus tard que Malherbe contrebalançât par la noblesse et la fierté de ses odes sa propre gaudriole à lui-même et le grivois de ses propos journaliers, que Corneille nous apprît la magnanimité romaine et l’emphase espagnole et les naturalisât dans son siècle, que Bossuet nous donnât dans son œuvre épiscopale majestueuse, et pourtant si française, la contrepartie de La Fontaine ; et si nous descendons le fleuve au siècle suivant, le même parallélisme, le même antagonisme nécessaire s’y dessine dans toute la longueur de son cours : nous opposons, nous avons besoin d’opposer à Chaulieu Montesquieu, à Piron Buffon, à Voltaire Jean-Jacques ; si nous osions fouiller jusque dans la Terreur, nous aurions en face de Camille Desmoulins, qui badine et gambade jusque sous la lanterne et sous le couteau, Saint-Just, lui, qui ne rit jamais ; nous avons contre Béranger Lamartine et Royer-Collard, deux contre un ; et croyez que ce n’est pas trop, à tout instant, de tous ces contrepoids pour corriger en France et pour tempérer l’esprit gaulois dont tout le monde est si aisément complice ; sans quoi nous verserions, nous abonderions dans un seul sens, nous nous abandonnerions à cœur-joie, nous nous gaudirions ; nous serions, selon les temps et les moments, selon les degrés et les qualités des esprits (car il y a des degrés), nous serions tour à tour — et ne l’avons-nous pas été en effet ?
Si vous lisez ce chapitre de Madame André vous pourrez voir que j’ai d’abord relevé les symptômes du début : Les frissons, l’élévation de température, la langue tuméfiée, le gargouillement de la fosse iliaque droite se manifestant à la palpation ; puis la céphalalgie, qui vous étreint comme un étau ou vous taraude comme une vrille et qui vous met vraiment du plomb dans la tête ; je n’ai pas oublié les tranchées intestinales, ni le saignement de nez si fréquent au cours de l’affection dans la première période. […] L’état de la bouche, béante comme un trou, des dents “déchaussées et jaunies par un tartre fuligineux”, de la langue, sèche, coupée de crevasses, noirâtre et tremblante ainsi qu’une “langue de perroquet” de même la coloration violette des gencives, sont reproduits d’après l’observation directe, et je n’ai rien enjolivé, ou plutôt… enlaidi.
Ceux-ci sont les plus nombreux et les plus usités dans toute mémoire humaine ; il y en a trente ou quarante mille dans une langue, et ils forment à eux seuls tout le dictionnaire. […] À chaque instant, nous voyons ces tendances opérer dans les enfants, et contre la langue, en sorte qu’on est obligé de rectifier leur œuvre spontanée et trop prompte. — Une petite fille de deux ans et demi avait au cou une médaille bénite ; on lui avait dit : « C’est le bon Dieu », et elle répétait : « C’est le bo Du. » Un jour, assise sur les genoux de son oncle, elle lui prend son lorgnon et dit : « C’est le bo Du de mon oncle. » Il est clair qu’involontairement et naturellement elle avait fabriqué une classe d’individus pour laquelle nous n’avons pas de nom, celle des petits objets ronds, munis d’une queue, percés d’un trou et attachés au col par un cordon, qu’une tendance distincte, correspondante à ces quatre caractères généraux et que nous n’éprouvons point, s’était formée et agissait en elle. — Un an plus tard, la même enfant, à qui l’on faisait nommer toutes les parties du visage, disait, après un peu d’hésitation, en touchant ses paupières : « Ça, c’est les toiles des yeux. » — Un petit garçon d’un an avait voyagé plusieurs fois en chemin de fer. […] La différence est analogue si l’on compare les synonymes de deux langues.
Il y ajoute des mots populaires ou des mots spéciaux empruntés à la langue des divers métiers. […] Le poète affecte d’entrer dans leur peau, qui est une sale peau, et parle leur argot, qui est une langue infâme, dont les mots puent et grimacent, dont les syllabes ont des traînements gras et font des bruits de gargouille. […] Jean Richepin a (surtout dans ses vers, fort supérieurs à sa prose) la sonorité, la plénitude, la couleur franche, le dessin précis, une langue excellente, vraiment classique par la qualité ; et il est le dernier de nos poètes qui ait, quand il le veut, le souffle, l’ampleur, le grand flot lyrique.
Cet espoir de Commynes que son livre pourra être mis en langue latine, ressemble presque à une plaisanterie, et peut passer pour une simple politesse. […] Avec Commynes, cela se marque même dans la langue, le règne de la chevalerie est passé, celui de la bourgeoisie commence. […] Il disait avec une grâce parfaite, car son propos se retrouvait charmant dès qu’il le voulait : « Ma langue m’a porté grand dommage, aussi m’a-t-elle fait beaucoup de plaisir : c’est raison que je paie l’amende. » Si l’on ne se tenait sur ses gardes en lisant Commynes, on se prendrait par instants, non seulement à excuser et à goûter Louis XI, mais à l’aimer pour tant de bonne grâce et de finesse.
La langue de ses Mémoires n’est pas une exception à opposer à la manière et au goût de son temps, ce n’en est qu’un plus heureux emploi. […] Sa langue est volontiers métaphorique et s’égaie de poésie. […] Ce qu’il faut rappeler à l’honneur de la reine Marguerite, c’est son esprit, c’est son talent de bien dire, c’est ce qu’on lit à son sujet dans les Mémoires du cardinal de Richelieu : « Elle était le refuge des hommes de lettres, aimait à les entendre parler ; sa table en était toujours environnée, et elle apprit tant en leur conversation qu’elle parlait mieux que femme de son temps, et écrivit plus élégamment que la condition ordinaire de son sexe ne portait. » C’est par là, c’est par quelques pages exquises qui sont une date de la langue, qu’elle est entrée à son tour dans l’histoire littéraire, ce noble refuge de tant de naufrages, et qu’un rayon dernier et durable s’attache à son nom.
Je pourrais multiplier les citations, si celles de ce genre étaient ici convenables et s’il ne fallait renvoyer cette lecture à la méditation solitaire des lecteurs ; je recommande, au nombre des pages les plus belles et les plus suaves dont puissent s’honorer la langue et la littérature religieuse, toute la fin du chapitre viii. […] On sait le mot de Bossuet, d’après Tertullien, lorsque parlant du cadavre de l’homme : « Il devient un je ne sais quoi, s’écrie-t-il qui n’a plus de nom dans aucune langue. » L’admirable page qu’on va lire de l’abbé Gerbet est comme le développement et le commentaire du mot de Bossuet dans cette première station aux Catacombes, il s’attache d’abord à étudier le néant de la vie, « le travail, je ne dis pas de la mort, mais de ce qui est au-delà de la mort » ; l’idée de réveil et de vie future viendra après. […] Vous ne comprendrez pas tout ce que je vais vous dire : je ne peux vous parler de ces choses que dans la langue nouvelle que le christianisme a faite ; mais vous en comprendrez toujours assez.
J’ai ouï-dire que sitôt le fascicule paru, le samedi de chaque semaine, un jeune Parnassien se saisissait d’un numéro qu’il portait chez François Coppée et qu’on se réunissait à dix, jeunes gens et hommes mûrs, autour de cet exemplaire unique pour se gaudir d’abord, puis alterner les lamentations sur la décadence de la langue française et le toupet inouï de ces jeunes barbares qui démantelaient l’ancien alexandrin, tendre chez Racine, épique chez Victor Hugo, sourcilleux chez Leconte de Lisle et devenu sous l’archet de nos railleurs si tranquille et un peu valétudinaire. […] Cette poétique possède sa valeur et la conserve en tant que cas particulier de la nouvelle comme celle-ci est destinée à n’être plus tard qu’un cas particulier d’une poétique plus générale ; l’ancienne poésie différait de la prose par une certaine ordonnance ; la nouvelle voudrait s’en différencier par la musique, il se peut très bien qu’en une poésie libre on trouve des alexandrins et des strophes en alexandrins, mais alors ils sont en leur place sans exclusion de rythmes plus complexes… » Nous avons bien en français un accent tonique ; mais il est faible et cela tient à l’amalgame que fit Paris des prononciations excessives et différentes des provinces, les usant pour en constituer une langue modérée, calme, juste milieu, quant au retentissement des consonnes et au chant des voyelles, neutre de préférence à bariolée. […] En tout cas, ne nous dissimulons pas qu’elle serait fort difficile à faire, car les cas de rythmique, choisis déjà dans la langue par les vers-libristes, sont nombreux, il en est de ténus, de délicats, il en est d’éphémères.
Elle a traduit en Italien la Conjuration de Valstein, &, dans notre langue, le Temple de la Renommée de Pope.