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1001. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Et de même que les tendances formelles dominantes, que nous devons analyser, aboutissent l’une à des redites profuses, l’autre à une obscurité sentencieuse, la pratique constante de l’antithèse semble avoir laissé des traces nocives en une des tendances caractéristiques de M.  […] Se mire dans la Loire à l’endroit où le fleuve… Le soir à la campagne, on sort, on se promène… Et l’on peut joindre à ce groupe de poèmes nuls, une bonne partie des Orientales, des premières Contemplations, et presque toutes les Odes et Ballades, auxquelles il faut ajouter ces développements oiseux à un point stupéfiant, qui tout à coup, dans les œuvres en prose, laissent entre deux chapitres, un vide nébuleux. […] Que l’on prenne Napoléon II, le sultan Zimzizimi, dans les Contemplations, Claire, et ce chef-d’œuvre Pleurs dans la nuit ; ces pièces énormes, tristes de la farouche ironie des prophètes juifs, tintant le glas de toutes les grandeurs mortelles, donneront la mesure extrême d’une forme grandiose, et d’une idée banale, d’un thème adventice, pris n’importe où, laissé tel quel, sans addition originale, mais mis en splendides images, développé en impérieuses redites, violemment heurté par le choc des antithèses, déployé en larges rhythmes, manié et remanié par une élocution prodigieuse. […] Ici son imagination, laissée libre par la réalité, profitant des interstices que la science et l’expérience laissent dans le réseau de leurs notions, usant des terreurs héréditaires que les grands spectacles nuisibles ont déposées dans les âmes, pousse ses plus étranges et ses plus luxuriantes végétations. […] Hugo, laissée sans limites et sans résistance, se meut et se déploie à l’infini, comme s’épand un gaz infiniment élastique, laissé sans pression.

1002. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Si je le laisse vivant et conscient, à plus forte raison si je fais de lui un physicien comme Pierre, par là même je suppose qu’il se prend lui-même comme système de référence, par là même je l’immobilise. […] Mais, encore une fois, si le physicien prenait réellement ce système pour système de référence, il s’y placerait, il l’immobiliserait ; du moment qu’il reste en S″ et qu’il laisse le système S en mouvement, il se borne à se représenter un observateur qui prendrait S pour système de référence. […] On nous dit qu’un physicien, parti du point O avec une horloge et la promenant sur le disque, s’apercevrait, une fois revenu au centre, qu’elle retarde maintenant sur l’horloge, auparavant synchrone, laissée au point O. […] Tant que notre physicien le laisse en mouvement, tant qu’il en fait simplement, représentés dans sa pensée à lui, des systèmes de référence éventuels, le seul véritable système de référence est le système S″ où il est placé lui-même, d’où il mesure effectivement le Temps, et d’où il se représente alors en mouvement ces systèmes qui ne sont que virtuellement référants. […] Nous laissons maintenant de côté la considération, qui nous avait occupés jusqu’à présent, du retard que l’horloge prendrait du seul fait de quitter son siège et d’y revenir.

1003. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

Lorsqu’il renonça trop tôt (1813) à ce rôle d’informateur et de critique littéraire de l’Antiquité, emploi qu’il avait plutôt effleuré que rempli, et dans lequel aucun grand incident de polémique ni aucun grand fait d’exposition n’avaient signalé son passage, il laissa cependant des regrets et de vifs souvenirs. […] Boissonade dans lès aveux et les témoignages qu’il a pris soin de laisser sur lui-même, et qui sont un peu brusques et rudes en effet. […] Il ne s’y laissa pas prendre deux fois et garda depuis un silence obstiné. […] Lorsque l’esprit est entièrement libre et qu’on le laisse se diriger la bride sur le cou du côté qu’il veut, il choisit naturellement ce qu’il aime. […] « Il ne faut donc faire aucun scrupule de laisser plusieurs monosyllabes ensemble quand ils se rencontrent.

1004. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Il laisse deux millions de biens à sa fille unique, mariée au président Gilbert… » Il me semble que l’épithète d’illustre, appliquée à Dongois, commence à s’expliquer ; il y a greffier et greffier. […] Bayle, célibataire et sans enfants, n’avait laissé après lui qu’un neveu qui ne lui ressemblait en rien, libertin, dévot et même affilié aux Jésuites : si, par hasard, ce neveu avait eu aussi bien liaison avec des Jansénistes, c’en était fait du Bayle posthume, tous les papiers étaient perdus. Les Jésuites furent plus coulants et laissèrent faire. […] Des branches entières de la production littéraire et même de ce savoir humain que chaque matin nous préconisons seront comme des vaisseaux échoués, laissés à sec par le reflux, et la marée montante ne reviendra pas. […] — Dans la seconde édition qui aura quatre volumes, j’ai été plus explicite encore sur cette femme, etc. » Ce qui reste vrai, c’est que, dans la première édition, la part faite à Gabrielle par le sévère historien laissait sans doute à désirer ; si cette femme paraît, elle paraît bien peu.

1005. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Mais ces fluctuations ne lui sont ni insupportables ni désagréables, il s’y laisse bercer, il comprend le pour et le contre. […] L’esquisse rapide qu’il fait d’une tragédie d’Alexandre telle qu’il l’aurait souhaitée, d’un Porus doué d’une grandeur d’âme « qui nous fût plus étrangère » ; ce tableau qu’il conçoit d’un appareil de guerre tout extraordinaire, monstrueux et merveilleux, et qui, dans ces contrées nouvelles, au passage de ces fleuves inconnus, l’Hydaspe et l’Indus, épouvantait les Macédoniens eux-mêmes ; ces idées qu’il laisse entrevoir, si propres à élever l’imagination et à tirer le poëte des habitudes doucereuses, nous prouvent combien Saint-Évremond aurait eu peu à faire pour être un critique éclairé et avancé. […] Une des pièces les plus intéressantes qu’il nous ait laissées et des plus délicates (pour employer une de ses expressions favorites), la principale peut-être aux yeux du biographe et comme offrant l’expression entière de sa nature, c’est sa lettre à l’un de ses anciens amis restés des plus affectionnés et des plus fidèles, le maréchal de Créqui, qui lui avait demandé en quelle situation était son esprit, et ce qu’il pensait de toutes choses dans sa vieillesse. […] Saint-Évremond, écrivant de Londres à l’un de ses amis de France, n’aurait pu s’exprimer plus clairement, même quand il aurait eu plus à dire, et il y a dans ses dernières phrases un je ne sais quoi d’enveloppé et de manqué à la fois qui ne laisse pas d’être significatif. « Dans tout ce que je viens de dire de Saint-Évremond, je suis heureux de me trouver d’accord avec M.  […] Saint-Évremond nous représente toute une race de voluptueux distingués et disparus, qui n’ont laissé qu’un nom : M. de Cramail, Mitton, M. de Tréville… ; mais il est plus complet que pas un, et c’est pourquoi il est resté.

1006. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

A tel ou tel de ses confrères célèbres, il a laissé le droit de déraison ; lui, s’il se jette dans l’excès de crudité, c’est qu’il l’a voulu. […] Sans se faire reflet ni écho de personne en particulier, il s’est laissé couramment inspirer des divers essais et des vogues d’alentour, et en a rendu quelque chose à sa manière. […] Ce Wolf est un original qui, s’étant laissé aller un soir d’ivresse à faire une confidence indiscrète à un ami qu’il n’avait jamais vu jusque-là, va le forcer le lendemain matin à se couper la gorge avec lui pour que le secret ne soit plus partagé. […] Les lettres de ce dernier nous ont laissé des renseignements prochains et des impressions fidèles sur les camisards et Jean Cavalier. […] Je trouve pourtant que le gentilhomme Du Serre est par trop machiavélique dans ses procédés de fascination : du moins l’auteur a trop cherché à nous expliquer, par des moyens physiques et physiologiques, et même à l’aide de l’opium, ce qu’il eût été mieux de laisser à demi flottant sous le mystère.

1007. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Il laissait après lui l’ordre au-dedans, la paix au-dehors ; il n’avait combattu que pour la rétablir ou pour la maintenir partout. […] Il ne laissa qu’un fils illégitime, qui fut le célèbre cardinal Hippolyte de Médicis. […] pendant le traitement pour ses douleurs, une fièvre se déclara, et la plus perfide de toutes ; elle se glissa peu à peu, et finit par envahir non pas seulement, comme il arrive souvent, les artères et les veines, mais les membres, les viscères, les nerfs, les os et leur moelle. — Subtile, latente et d’abord peu sensible, elle se montra bientôt ouvertement ; comme elle n’avait pas été traitée avec les soins et la promptitude qu’elle réclamait, elle affaiblit et abattit tellement le malade, que non seulement ses forces, mais son corps lui-même semblaient se fondre : c’est pourquoi la veille du jour où il paya son tribut à la nature, malade et couché dans la villa Careggi, il fut tellement frappé tout à coup, qu’il ne laissa aucun espoir de salut. […] Mais il les laissa peu à peu, insensiblement, et comme en dissimulant, comme pour venir en aide à mes larmes. […] Mais ce qu’il y eut de plus beau dans une circonstance si triste, ce fut le tableau de ce père qui, de son côté ne voulait pas, par sa tristesse, aggraver la tristesse de son fils, se faisait un autre visage, contenait ses larmes dans ses yeux, et ne laissait aucunement paraître son âme brisée, tant que son fils était sous son regard : ainsi, tous deux faisaient violence à leur affection et s’efforçaient de rentrer leurs larmes, l’un par piété filiale et l’autre par piété paternelle.

1008. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Un autre mit en roman le siège de Troie, non d’après Homère sans doute, ce témoin mal informé : mais il lisait les mémoires du Crétois Dictys, un des assiégeants, ceux surtout du Phrygien Darès, qui fut dans la ville assiégée ; et c’était là de bons témoins, qui n’ignoraient rien et ne laissaient rien ignorer. […] Etrangère à la conception juridique et politique du christianisme romain, l’Eglise celtique laissa l’âme de la race façonner une religion nationale à son image. […] Mais le roi reprend sa femme, et Tristan s’en va errant aux pays lointains : les années passent, il aime encore, mais il doute, il se croit dupe et trahi, il se laisse persuader d’épouser une autre femme : le cœur tout navré de doux souvenirs, il prend comme une image de la bien-aimée une Yseult comme elle, et blonde comme elle. […] Il fait asseoir ses chevaliers à la Table ronde, où il n’y a ni premier ni dernier : et retenu comme un autre grand et galant roi, par sa grandeur, il les laisse remplir tous les poèmes de leur vaillance et de leurs faits merveilleux. […] Enfin il réalisa dans sa plus précise et révoltante forme le type du parfait chevalier, qui laisse pays et femme pour courir le monde, et par folle vaillance s’acquérir un fol honneur : le ressort, au fond, qui le meut, c’est la vanité.

1009. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Sénèque lui laisse de son nerf, Plutarque (celui d’Amvot) de sa vive bonhomie ; Lucrèce l’élève à quelque magnificence vigoureuse : mais c’est toujours Montaigne. […] Car ce scepticisme laisse subsister au moins une affirmation : qu’il est bon, qu’il est légitime de vivre à l’aise. […] Il aurait mieux valu ne pas faire la Réforme : puisqu’elle s’est faite, qu’on lui laisse sa place au soleil. Et ne vaudrait-il pas mieux laisser les sauvages à leur idolâtrie, que de leur porter nos vices, nos maladies, les tortures et la mort, avec la vraie foi ? […] Surtout il n’est pas chrétien, et la décence de son adhésion à la religion établie dissimule mal en lui la négation de l’essence même du christianisme : ainsi le courant d’esprit antichrétien, ou simplement non chrétien, qui se laisse distinguer dans le siècle classique, et qui passe par Molière ou par Descartes pour arriver à Voltaire, prend sa source en lui ; le rationalisme, épicurien ou cartésien, est impliqué dans les Essais.

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