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1089. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Il n’est pas une des phrases de son livre qui ne traduise une des plaies secrètes de son âme, l’une des plus tourmentées de notre âge. […] C’est le rôle du psychologue de discerner ce qu’il y a de force positive et créatrice dans l’une et dans l’autre, et de diriger, s’il est possible, cette force. […] L’une, qui eût été celle de Flaubert, consistait à reconstituer dans sa réalité probable la psychologie de ce meurtrier sacré, de ses dévots et de toute sa race. […] L’une et l’autre disposition est innée chez l’homme. […] Ce sont les deux visions qui doivent sans cesse se corriger et se compléter l’une par l’autre.

1090. (1876) Romanciers contemporains

Dans l’une, l’auteur a, par un ingénieux procédé, laissé son action inachevée, et le lecteur est ravi d’avoir à la compléter lui-même. […] Seul le livre Hélène et Suzanne ne comportait pas l’introduction de cet interprète spécial de l’auteur, car ce roman est l’histoire de deux amies dont l’une demeure à Paris et dont l’autre, plus heureuse, habite la campagne. […] Ces colonnes s’écartent l’une de l’autre comme si une main invisible les rangeait dans l’espace pour construire un magique propylée. […]l’une proteste à grands cris contre la cruauté de la loi, ici on souffre avec plus de résignation et moins de fracas. Où l’une se révolte indignée et est éloquente jusque dans son silence farouche, l’autre se replie en elle-même et a la pudeur de dissimuler sa blessure saignante et mortelle.

1091. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

La satire est sœur de l’élégie : si l’une plaide pour les opprimés, l’autre combat contre les oppresseurs. […] Il a chassé sa fille, qu’il croit complice de sa femme ; il défend qu’on s’occupe de l’une ni de l’autre ; il impose silence à sa sœur et à ses amis ; il reçoit ses hôtes du même ton et avec la même froideur. […] L’une et l’autre furent apportées de Germanie et composent la littérature qui vécut avant la conquête.

1092. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Le troisième étage se composait de quatre chambres, dont deux étaient louées, l’une par une vieille fille nommée mademoiselle Michonneau ; l’autre, par un ancien fabricant de vermicelles, de pâtes d’Italie et d’amidon, qui se laissait nommer le père Goriot. […] « Vers la fin de cette première semaine du mois de décembre, Rastignac reçut deux lettres, l’une de sa mère, l’autre de sa sœur aînée. […] Cette préparation, si prisée par quelques gourmets, paraît rarement à Tours sur les tables aristocratiques ; si j’en entendis parler avant d’être mis en pension, je n’avais jamais eu le bonheur de voir étendre pour moi cette brune confiture sur une tartine de pain ; mais elle n’aurait pas été de mode à la pension, mon envie n’en eût pas été moins vive, car elle était devenue comme une idée fixe, semblable au désir qu’inspiraient à l’une des plus élégantes duchesses de Paris les ragoûts cuisinés par les portières, et qu’en sa qualité de femme, elle satisfit.

1093. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Vous y verrez ce qui se cache sous l’une des pratiques les plus exposées aux moqueries des incrédules, sous les mômeries des bonnes femmes dévotes et sous le commerce des scapulaires, des cierges et des affreuses petites images de sainteté… « Vous avez une pointe de panthéisme, dit le pieux écrivain au symbolique Coquelet. […] Malgré l’impartialité qu’il étale, le noble pair n’a pu prendre sur lui de déguiser cette passion qu’il éprouve au même degré que nos ministres en exercice, cette passion gouvernementale et doctrinaire qui ne veut pas que les évêques s’occupent des affaires de l’Église et s’en occupent publiquement d’une autre façon que le pouvoir ne le désire. » Et, trente ans plus tard (car, là-dessus, Veuillot n’a jamais varié) : « Nous n’ignorons pas que, selon la doctrine catholique libérale, la politique est une chose et la religion en est une autre, et que tout homme a le droit de faire ou l’une ou l’autre de ces deux choses, ou de faire l’une et l’autre à part, et même contradictoirement, mais n’a jamais le droit de les confondre.

1094. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Et tous ces changements, sans aucun des développements intermédiaires qui devraient expliquer ces rapidités d’action et ces péripéties, s’agitent et se précipitent en des scènes qui sautent ici et là, car il n’en est pas deux qui tiennent l’une à l’autre. […] Lisez, en effet, son recueil de Poésie et Vérité (qui, par parenthèse, n’est ni l’une ni l’autre), et vous verrez s’il ne ramassait pas des inspirations partout, avec son crochet d’érudit, et s’il était autre chose qu’un chiffonnier poétique… Comme l’idée de son Divan lui vint après une lecture d’Hafiz traduit par de Hammer, il se prit de goût pour les fables indiennes dans les Voyages de Dapper, — ce qui ne m’étonne point, car il y avait de l’Indou dans Gœthe, ainsi que je le montrerai tout à l’heure. […] L’une sur le bruit d’un cor qui s’élevait d’un vallon « comme une vapeur embaumée  », et l’autre sur une jeune fille qui était plus charmante à la promenade qu’à la maison et qui semblait « rapporter au logis le lumineux éther dans lequel on eût dit qu’elle nageait toujours  ».

1095. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

De deux choses l’une, alors : ou le son houppe éveille dans l’esprit la seule idée d’une aigrette fabriquée ; il n’est plus qu’un signe arbitraire, et il possède toutes les qualités de ce genre de signes ; ou bien il éveille, avec l’idée de l’aigrette fabriquée, celle de l’oiseau huppe, dont l’esprit n’a que faire pour le moment ; dans ce dernier cas, le signe est un instrument de confusion ou même d’erreur. […] Etant admis que l’indépendance est le caractère du signe en général, nous nous expliquons facilement comment l’impartialité est le caractère du signe parfait : l’impartialité est, en effet, pour l’image qui sert de signe à une idée générale, la condition d’une parfaite indépendance ; dans une idée phénoménale, il n’y a qu’une image de chaque espèce ; si l’une d’elles est favorisée par la conscience ou l’attention, ce privilège ne peut s’étendre à aucune autre ; mais, dans une idée générale, il y a presque toujours un certain nombre d’images de même ordre, plus ou moins analogues entre elles ; dès lors, l’image saillante attire et fait sortir des rangs celles qui lui ressemblent ; elle ne peut concentrer sur soi toute la lumière qui lui est destinée ; fatalement, quelques rayons s’égarent sur les images analogues ; par là, les proportions de l’idée se trouvent dénaturées, et, en même temps, le signe, mélangé d’éléments parasites empruntés à tort à l’idée, n’est plus indépendant de l’idée tout entière. […] Deux explications nous paraissent propres à lever la difficulté ; si l’une des deux était rejetée, l’autre pourrait suffire ; mais nous croyons que toutes deux contribuent à rendre possible et réel le fait étrange que nous venons de signaler. […] Quand donc nous dirons que deux idées semblables pour l’observation psychologique peuvent être différentes pour l’esprit, nous entendons par là qu’indiscernables, si on les considère en elles-mêmes, elles se distinguent par leurs effets : l’une fait la paix dans l’âme et l’invite à suivre librement la série de ses conceptions ; l’autre engendre le trouble et l’inquiétude ; à cause d’elle, l’esprit s’arrête dans sa marche spéculative et revient en arrière pour tenter dans la même direction un nouvel effort297; tandis que la première est approuvée et reconnue, parce qu’elle est en bons rapports logiques avec les idées qui la précèdent ou l’accompagnent, la seconde paraît une intruse, parce qu’elle est en désaccord avec les mêmes faits, ses antécédents et concomitants.

1096. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Les peuplades de la Grèce ont donc pu aisément se préserver de la conquête et subsister l’une à côté de l’autre en petits Etats indépendants. […] Quoi de plus différent que deux vies, l’une au niveau du sol avec toutes les portes ouvertes sur la campagne, l’autre juchée et enfermée dans les compartiments étroits d’une haute maison moderne ? […] Deux sortes de culture les forment en tout temps et en tout pays : la culture religieuse et la culture laïque, et l’une et l’autre opèrent dans le même sens alors pour les garder simples, aujourd’hui pour les rendre compliqués. […] » — Ainsi par-delà le tombeau, c’est encore la vie présente qui le préoccupe. « L’âme du rapide Achille s’éloigne alors marchant à grands pas dans la prairie d’asphodèles, joyeuse parce que je lui avais dit que son fils était illustre et brave. » A toutes les époques de la civilisation grecque reparaît avec diverses nuances le même sentiment ; leur monde est celui que le soleil éclaire ; le mourant a pour espoir et consolation la survivance en pleine lumière de ses fils, de sa gloire, de son tombeau, de sa patrie. « Le plus heureux homme que j’aie connu », disait Solon à Crésus, c’est Tellus d’Athènes ; car, sa cité étant prospère, il a eu des enfants beaux et bons qui ont eu tous des enfants et conservé leurs biens, lui vivant ; ayant ainsi prospéré dans vie, sa fin a été glorieuse ; car les Athéniens ayant combattu contre leurs voisins d’Eleusis, il a porté aide, et il est mort en faisant fuir les ennemis, et les Athéniens l’ont enseveli aux frais de l’État à l’endroit où il est tombé, et ils l’ont honoré grandement. » Aux temps de Platon, Hippias, interprète de l’opinion populaire, dit de même : « Ce qu’il y a de plus beau en tout temps, pour tout homme et en tout lieu, c’est d’avoir des richesses, de la santé, de la considération parmi les Grecs, de parvenir ainsi à la vieillesse, et, après avoir rendu honorablement les derniers devoirs à ses parents, d’être conduit soi-même au tombeau par ses descendants avec la même magnificence. » Lorsque la réflexion philosophique vient à s’appesantir sur l’au-delà, il ne paraît point terrible, infini, disproportionné à la vie présente, aussi indubitable qu’elle, inépuisable en supplices ou en délices, comme un gouffre épouvantable ou comme une gloire angélique. « De deux » choses la mort est l’une, disait Socrate à ses juges ; ou bien celui qui est mort n’est plus rien et n’a aucune sensation d’aucune chose, quelle qu’elle soit ; ou bien, comme on le dit, la mort se trouve être un changement, le passage de l’âme qui va de ce lieu-ci en un autre lieu. […] Il n’y avait pas de distance chez eux entre la langue des faits sensibles et la langue du pur raisonnement, entre la langue que parle le peuple et la langue que parlent les gens doctes ; l’une continuait l’autre ; il n’y a pas un terme dans un dialogue de Platon que ne sache un adolescent qui sort de son gymnase ; il n’y a pas une phrase dans une harangue de Démosthènes qui ne trouve pour se loger une case toute prête dans le cerveau d’un forgeron ou d’un paysan d’Athènes.

1097. (1940) Quatre études pp. -154

La nature et l’art sont deux choses, sans quoi l’une ou l’autre n’existerait pas. […] Rien ne compte, sinon le Dieu qui abat et qui suscite, maître de la douleur, maître de la joie… De sorte que les plus fortes expressions du lyrisme romantique italien à son apparition seront mises au service, l’une de la patrie, l’autre de la religion. Il faudra bien du temps à Leopardi, bien des douleurs accumulées, pour qu’il arrive à les nier l’une et l’autre ; et dans ses négations même, on trouvera encore leur présence : le pire tourment du poète sera d’être obligé, comme malgré lui, de les abandonner. […] La poésie y était réduite à l’éloquence ; et c’était fort bien fait, puisqu’il n’y avait entre l’une et l’autre nulle différence marquée, la poésie n’étant après tout qu’une éloquence qui voulait s’embarrasser et se compliquer à plaisir, comme pour provoquer les honnêtes gens. […] Les hommes, expliquait Helvétius, sont naturellement paresseux ; ils gravitent vers le repos, comme les corps vers un centre ; ils s’y tiendraient fixement attachés, s’ils n’en étaient à chaque instant repoussés par deux forces qui contrebalancent en eux celles de la paresse et de l’inertie, et qui leur sont communiquées l’une par les passions fortes, l’autre par la haine de l’ennui.

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