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418. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

L’abbé de Rancé le connaissait très bien sur sa réputation et avant les visites que Santeul lui fit plus tard à la Trappe ; il le jugeait d’ailleurs personnellement sans trop de sévérité ; il faisait cas de ses hymnes et en écrivait à l’abbé Nicaise, le 9 décembre 1683 : « J’ai vu les hymnes pour le jour de saint Bernard, de M. de Santeul. […] Le père de Santeul a une veine pure, aisée ; il n’appartient guère à un homme comme moi d’en juger, je veux dire à un homme destiné à la retraite et à des lectures toutes sérieuses ; cependant on ne laisse pas d’en remarquer les traits. […] Le père Commire, alors, jugea qu’il était temps de frapper le grand coup, et pour en finir de tout ce pour et ce contre, lui qui s’était tenu jusque-là en réserve comme le corps d’élite, il donna brusquement par sa pièce de vers intitulée Linguarium (Le Bâillon de Santeul).

419. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Le père Griffet, auteur d’une si estimable histoire de Louis XIII, où l’on trouve tant de choses singulières et curieuses que de plus bruyants et de plus habiles se sont mis à découvrir depuis, le père Griffet a très bien jugé de ce point comme de beaucoup d’autres. […] Il n’y en peut avoir autre raison, sinon qu’il craignait qu’on ne se saisît de sa personne ; c’était sa conscience qui le jugeait. D’alléguer qu’on lui avait mandé de Paris qu’on le voulait arrêter, c’était un dire, lequel, s’il était public, n’était pas vrai ; s’il était secret, il ne l’avait pu savoir… Bref, c’était lui-même qui se jugeait coupable ; ce que nous avons marqué pour fautes passaient pour crimes d’État en son opinion, qui, ayant de très grandes lumières des choses du monde, savait assez connaître ce qui était bien ou mal.

420. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Persuadé de la durée de la monarchie qu’il avait sous les yeux, le duc de Luynes croyait laisser à ses petits-fils un trésor de précédents : il s’est trompé, et nous en jugeons aujourd’hui à notre aise. […] M. d’Ormesson ne jugea pas à propos de quitter Paris ; il fut même choisi par le duc de Mayenne pour être du fameux conseil, de si mauvais renom, les Seize ; mais il en fut comme M. de Villeroy, comme le président Jeannin, pour modérer, s’il était possible ; il était de plus capitaine de son quartier. […] Laissons donc évaporer en liberté la malice des esprits ignorants ou passionnés, puisque l’opposition ne servirait qu’à l’irriter davantage, et consolons-nous par les sentiments qu’ont de sa vertu les étrangers, qui en jugent sans passion et avec lumière.

421. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Maintenant qu’on est à une juste distance de ces tombes prématurément ouvertes, je voudrais, pour Rigault du moins, examiner avec équité et impartialité les titres de l’écrivain, du littérateur, et, tout en m’en rapportant à ses amis sur bien des choses disparues qu’ils savent à son sujet mieux que moi, ne m’en rapporter qu’à moi-même sur ce que je lis et sur ce que je puis juger comme tout le monde. […] En argumentant contre lui, Rigault l’amena peu à peu sur le terrain qu’il jugeait commode, et tout d’un coup il lui demanda à brûle-pourpoint de vouloir bien conjuguer, dans ses différentes formes, le verbe grec, κλέπτω, je dérobe. […] Je ne sais trop, mais il est bien mort, et quand il s’est agide le juger à son décès académique, il était depuis longtemps enterré.

422. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

« Monsieur, lui dit M. de Girardin, je refuse le secours que vous m’offrez, ou du moins c’est au Gouvernement de faire ce qu’il jugera à propos, cela ne me regarde en rien. […] On l'a arrêté pour lui fermer la bouche. » M. de Girardin, à qui l'on a quelquefois reproché de l’orgueil, eut tout lieu vraiment d’en concevoir en cette circonstance ; on l’avait jugé un homme. […] Il y a mieux : ce parfait état de société, cet ordre idéal et simple que M. de Girardin a en vue, je le suppose acquis et obtenu, je l’admets tout formé comme par miracle : on a un pouvoir qui réalise le vœu du théoricien ; qui ne se charge que de ce que l’individu lui laisse et de ce que lui seul peut faire : l’armée n’est plus qu’une force publique pour la bonne police ; l’impôt n’est qu’une assurance consentie, réclamée par l’assuré ; l’individu est libre de se développer en tous sens, d’oser, de tenter, de se réunir par groupes et pelotons, de s’associer sous toutes les formes, de se cotiser, d’imprimer, de se choisir des juges pour le juger (ainsi que cela se pratique pour les tribunaux de commerce), d’élire et d’entretenir des ministres du culte pour l’évangéliser ou le mormoniser… ; enfin, on est plus Américain en Europe que la libre Amérique elle-même, on peut être blanc ou noir impunément.

423. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Ces mêmes historiens de la langue et qui l’admirent surtout aux xiie et xiiie  siècles, dans sa première fleur de jeunesse et sa simplicité, sont portés à proscrire, à juger sévèrement toute l’œuvre de la Renaissance, comme si elle n’était pas légitime à son moment et comme si elle ne formait pas, elle aussi, un des âges, une des saisons de la langue. […] Si l’on cherchait des autorités, on aurait ici celle de Fénelon, si favorable à l’introduction des termes nouveaux dès qu’ils sont jugés nécessaires. […] le xixe  siècle, à en juger du moins par la tête de la société et de la littérature, est bien peu le fils de son père le xviiie .

424. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

Selon que nous les jugeons, en effet, ces variations, à l’âge des espérances indéfinies ou à celui déjà des méfiances croissantes, nous sommes tentés de les qualifier de noms différents. […] … Que les hommes ne jugent pas avec trop de confiance, comme celui qui compte sur les blés aux champs avant qu’ils soient mûrs ; car j’ai vu le buisson, à demi mort et tout glacé pendant l’hiver, se couronner de roses au printemps ; et j’ai vu le vaisseau, qui avait traversé rapidement la mer durant tout le voyage, périr à la fin, juste à l’entrée du port… Celui-là peut se relever, celui-ci peut tomber. » À regarder d’un coup d’œil général le talent et l’œuvre de M. de Lamartine, il semble que le plus haut point de son développement lyrique se trouve dans ses Harmonies. […] Sujets, style, composition et détail, il a raison peut-être de tout lâcher ainsi au courant de l’onde, satisfait de son flot puissant ; car la génération qui nous jugera n’est pas la génération qui déjà finit : ceux qui auront le dernier mot sur nos œuvres auront appris à lire dans nos fautes ; ils brouilleront un peu tout cela, et nos barbarismes même entreront avec le lait dans le plus tendre de leur langue. 

425. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Des auteurs d’esprit s’y sont trompés ; ils ont mis en action, selon le précepte, des animaux, des arbres, des hommes, ont caché un sens fin, une morale saine sous ces petits drames, et se sont étonnés ensuite d’être jugés si inférieurs à leur illustre devancier : c’est que La Fontaine entendait autrement la fable. […] Au premier abord, et à ne juger que par les œuvres, l’art et le travail paraissent tenir peu de place chez La Fontaine, et si l’attention de la critique n’avait été éveillée sur ce point par quelques mots de ses préfaces et par quelques témoignages contemporains, on n’eût jamais songé probablement à en faire l’objet d’une question. […] Au reste, si La Fontaine, dans ces dernières années, a été bien légèrement traité par un grand poëte qui s’est lui-même jugé par là, il a été étudié, approfondi par de savants critiques, et si approfondi même qu’il est sorti d’entre leurs mains comme transformé.

426. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Si l’on jugeait à ces signes de l’état des lumières, on croirait l’esprit humain reculé de plus d’un siècle en dix années ; mais la nature des arguments dont on se sert en faveur des préjugés mêmes, est une preuve incontestable des progrès qu’a faits la raison. […] L’esclavage, la féodalité, les querelles religieuses elles-mêmes n’exciteront plus aucune guerre ; la lumière est assez généralement répandue sur ces objets, pour qu’il ne reste plus aux hommes véhéments l’espoir de les présenter sous des aspects différents, de former deux partis fondés sur deux manières diverses de juger et de faire voir les mêmes idées. […] L’esprit admet une à une chaque proposition, sans avoir essayé de les juger ; il crée ensuite des rapports factices dont l’apparente vérité lui plaît et l’exalte ; car l’imagination est saisie par ce qui est abstrait, tout aussi fortement que par les tableaux les plus animés.

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