Je prends une phrase très-courte, je suppose qu’un analyste du dix-huitième siècle soit ici et veuille la comprendre : comptez toutes les tranformations qu’il devra lui faire subir, et jugez par le nombre des traductions à quelle distance la pensée philosophique de M. […] Imputer est un mot de jurisprudence qui n’est pas net ; il vaut mieux dire : « Nos actions voulues sont les seules dont nous nous jugions responsables. » Responsable est une métaphore, c’est-à-dire un terme inexact et vague. […] Mettons la définition à la place du défini et nous aurons : « Nos actions voulues sont les seules que nous jugions dignes de punition ou de récompense. » Nous voici revenus à une phrase ordinaire ; il a fallu supprimer une erreur et faire trois traductions ; il en faudrait quatre ou cinq autres pour exprimer la chose exactement et en psychologue.
On aurait tort, sur ce début, de juger l’abbé de Pons un de ces guerroyeurs qui n’ont de plaisir qu’à frapper, qui n’entrent en lice que pour jeter les gens par terre, et à qui l’on peut opposer ce beau mot de Montesquieu, devise et louange de la vraie critique : « Ceux qui nous avertissent sont les compagnons de nos travaux. » Le gentil abbé se dessine mieux et avec son vrai caractère dans sa Lettre à Du Fresny. Celui-ci lui ayant lu sa pièce du Lot supposé avant la représentation, il l’avait approuvée, et il se croyait comptable devant l’auteur et devant tous de son premier jugement : Il me semble, disait-il, que lorsqu’un ouvrage livré à notre censure nous a semblé bon, nous devons à l’auteur l’hommage public du jugement avantageux que nous en avons porté… Quand il me serait arrivé de trouver bon un ouvrage que le public aurait ensuite jugé mauvais, il n’y aurait pas grand mal à cela, et j’ose assurer que je serais en ce cas moins mécontent de moi, que si, dissimulant lâchement mon estime, je m’étais épargné cette espèce d’humiliation.
Il faudrait, pour prétendre à le juger, parler autrement que par ouï-dire de ses Chansons, de ses Impressions de voyage ; les morceaux humoristiques que nous a fait connaître M. […] Or, les bras fourrés des doctrinaires ne sont guère solides quand il s’agit de résister à une attaque de fait ; la pensée immuable ne jugeait pas qu’il fût l’heure encore de se mettre en personne sur la brèche.
S’il avoit la vivacité et la délicatesse de sentiment, qui sont inséparables du génie, il seroit tellement saisi par les beautez des ouvrages consacrez, qu’il jetteroit sa balance et son compas pour en juger, ainsi que les hommes en ont toûjours jugé, je veux dire par l’impression que ces ouvrages feroient sur lui.
Mais enfin tel est leur travail : ils se voilent, ils se masquent et ils se déguisent jusqu’au moment où ils se jugent impénétrables. […] Ils se sont couverts d’ajustements compliqués et de harnois enchevêtrés ; il faut les mettre en chemise ; il faut les forcer d’être simples à leur corps défendant et les juger et peut-être les approuver et les goûter ainsi devenus.
. — M. de Gourmont jugé par M. […] Mais ceci n’est qu’une forme de l’horreur du lieu commun et du goût que M. de Gourmont connaît bien — il l’a analysé dans une très bonne page — pour regarder toute chose avec des yeux frais, après s’être absolument débarrassé de tout préjugé, de toute manière traditionnelle et acquise de voir, de juger et de sentir.
Mais La Grange-Chancel n’eut pas même cela, et à le juger hors de son époque et de ses frémissantes contagions, il n’eut pas le talent qui sert à cacher… ce qu’on n’éprouve pas. […] Il l’a vu à travers tous les applaudissements contemporains, et c’était la meilleure manière de le mal voir et de le juger de travers.
Louis XVI, si controversé encore, et sur lequel, quand il s’agit de le juger, tous les jugements tremblent — et il y a de quoi ! […] On saura que penser de cet homme, dont le sang répandu fait pourpre sur sa vie entière et empêche de la voir et de la juger telle qu’elle fut, à travers l’auréole pourprée de ce sang.
À juger M. […] Il comprend et rend merveilleusement son auteur, et il ne sait pas le juger.