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37. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Corneille a été, dans ces dernières années, et il est plus que jamais, en ce moment, l’objet d’une quantité de travaux qui convergent et qui fixeront définitivement la critique et les jugements qu’elle doit porter sur ce père de notre théâtre. Les jugements de goût sont depuis longtemps épuisés, et ils ne seront pas surpassés. […] Ces jugements des étrangers qui nous choquent et nous scandalisent, la première condition pour les réfuter en ce qu’ils ont d’injuste et de faux, c’est de les connaître, de ne pas se boucher les oreilles de peur de les entendre. […] Guillaume Schlegel, qui n’avait plus cette œuvre à poursuivre, s’est montré, relativement, fort modéré, et, si un Français peut réclamer à quelques égards contre ses jugements sur Racine, il n’y a guère qu’à approuver ce qu’il a dit de Corneille. […] Racine est incomparablement plus près de la perfection… » Dans ce jugement si bien rendu par M. 

38. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

Et M. d’Argenson, qui est sans gêne dans son tête-à-tête et dont tous les jugements d’ailleurs ne sont pas articles de foi, note dans ce volume de l’abbé de Pons qu’il vient de lire « un petit traité De l’origine des âmes qui est, dit-il, une miniature de métaphysique. » L’abbé Trublet, autorité peu considérable en matière le goût, mais témoin exact des faits, nous dit de son côté : Je n’ai connu personne qui écrivît plus facilement que l’abbé de Pons, quoique d’un style très singulier et en apparence très recherché. […] Dans son jugement de Rhadamiste, qui parut en brochure, le critique, après avoir reconnu qu’il y a dans la pièce des traits hardis, heureux, et des situations intéressantes, se met à la suivre scène par scène et à démontrer les invraisemblancesk, les incohérences du sujet, l’action peu liée, les caractères peu soutenus ; il n’en laisse à peu près rien subsister : Enfin, dit-il, je n’ai pas d’idée d’avoir jamais lu une tragédie plus embarrassée, plus fausse, et moins intelligible ; j’ai l’avantage de pouvoir dire ici tout ce que je pense, sans crainte de faire tort à l’auteurl ; car, ou je m’égare dans le jugement que j’expose, et en ce cas le public le vengera de moi, ou le public déférera à mes remarques, et en ce cas même il en rejaillira beaucoup de gloire à M. de Crébillon : on estimera à la vérité un peu moins sa pièce, mais il paraîtra d’autant plus grand, qu’il aura mieux trouvé l’art de fasciner les esprits, en leur cachant les défauts de sa tragédie à force de splendeur et de magnificence. […] Celui-ci lui ayant lu sa pièce du Lot supposé avant la représentation, il l’avait approuvée, et il se croyait comptable devant l’auteur et devant tous de son premier jugement : Il me semble, disait-il, que lorsqu’un ouvrage livré à notre censure nous a semblé bon, nous devons à l’auteur l’hommage public du jugement avantageux que nous en avons porté… Quand il me serait arrivé de trouver bon un ouvrage que le public aurait ensuite jugé mauvais, il n’y aurait pas grand mal à cela, et j’ose assurer que je serais en ce cas moins mécontent de moi, que si, dissimulant lâchement mon estime, je m’étais épargné cette espèce d’humiliation.

39. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Corneille, et le cardinal de Richelieu. » pp. 237-252

Point de jugement, point de conduite dans la contexture ; nulle ombre de vraisemblance dans les situations. […] Scudéri n’appelloit de son jugement au jugement des académiciens, ne leur soumettoit ses lumières, que de l’avis du ministre lui-même. Richelieu se flattoit que, si les dépositaires du bon goût venoient à prononcer, leur jugement deviendroit celui de la nation. […] Les académiciens manquèrent cependant quelquefois de jugement.

40. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

On a, au sujet des opinions exprimées par Gœthe sur les jeunes poëtes français de 1830, insinué contre lui une singulière accusation : comme le jugement qu’il porte sur Victor Hugo n’est pas complètement d’accord avec celui que professent les éditeurs des Entretiens et beaucoup d’autres avec eux, on l’a tout simplement soupçonné d’envie. […] Je pourrais (si c’était le lieu) mettre ici la suite de ses jugements ou de ses impressions sur Hugo et ses divers ouvrages jusqu’à Notre-Dame de Paris inclusivement56, et l’on verrait, sans avoir besoin d’entrer dans aucune discussion du fond, qu’en parlant de la sorte il n’était que conséquent avec lui-même et sincère. […] Ces sortes de petits jugements mesquins et faux, glissés au bas d’un texte, font tache dans un livre ; ils font injure au grand esprit qu’on a l’honneur d’introduire à l’étranger. […] » Je ne citerai qu’un de ses jugements entre dix sur Napoléon, car il y revient souvent. […] De ces jugements de Gœthe sur Hugo, je ne donnerai que celui-ci, tiré d’une lettre à Zelter du 28 juin 1831 : « Notre-Dame de Paris de Victor Hugo éblouit par les qualités que lui donne une étude attentive et bien mise à profit des mœurs, de la physionomie locale, des événements du passé ; mais, dans les personnages, il n’y a absolument aucune apparence de vie naturelle.

41. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Je redirai, à peu de chose près, son jugement, dans lequel les lectures que je viens de faire m’ont pleinement confirmé. […] À part ce dernier mot, c’est à peu près là l’exact jugement que portait M. de Féletz sur des critiques qu’il avait si bien connus, et parmi lesquels lui-même il ne tenait pas la place la moins distinguée. […] Ceux mêmes qui seraient le plus faits pour être les oracles du goût, ont je ne sais quelle lâcheté dans le jugement. […] Toutefois son élégance étudiée, compassée, est un peu commune ; son jugement ne ressort pas nettement. […] Cependant, à travers ces jeux d’une imagination agréable, il se nourrissait de tout temps de lectures solides, et il aiguisait en silence son jugement.

42. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

Mais c’est l’impression morale qui, dans le jugement public, l’a emporté de beaucoup sur l’effet du style. […] Je reviens aux divers jugements littéraires qu’on y rencontre. […] Et ce ne sont pas seulement les jugements et les sentiments qu’il modifie. […] Voici encore un jugement qui n’est pas de moi, mais que je dérobe à l’un des maîtres d’aujourd’hui : Je lis les Mémoires d’outre-tombe, et je m’impatiente de tant de grandes poses et de draperies. […] Notez, encore une fois, que l’écrivain dont on vient de lire le jugement est un des plus puissants en talent et des plus célèbres de nos jours23.

43. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

En recueillant ses remarques sur le cœur, sur les femmes, et sur les sujets qui touchent aux passions, il s’est surtout inquiété d’être dans le vrai et de ne point dépasser dans son expression la mesure de ses propres jugements : « Je me suis rarement inquiété, dit-il, de savoir si d’autres m’avaient devancé, ni jusqu’où ils avaient pénétré : ma crainte était plutôt de m’égarer que de montrer comme nouvelle une voie déjà parcourue. […] Car, pour louer ensuite plus à mon aise M. de Latena, je veux en passant avouer une disposition de mon esprit qui est peut-être un faible, mais dont je ne puis faire tout à fait abstraction dans mes jugements : je suis (sans être Alcibiade) du goût de celui-ci, à qui Socrate disait : « Vous demandez toujours quelque chose de tout neuf ; vous n’aimez pas à entendre deux fois la même chose. » Je suis de ceux qui, dans cet ordre moral, pencheraient plus volontiers du côté du nouveau (si le nouveau est possible) que du trop connu ; en ce qui est de l’expression, le brillant du tour et la pointe (dans le sens des anciens) ne me déplaisent pas non plus autant qu’à d’autres. […] — Je crois que moyennant deux ou trois corrections que je viens de faire et un ou deux mots où j’ai appuyé, il ne saurait y avoir de doute sur le sens de mon jugement : ce n’est point à titre de nouveau, comme quelques personnes l’ont pensé, que je recommandais ce que j’allais citer, c’est en prenant sur mon goût habituel et non en y cédant que je rendais justice à un moraliste estimableu, sans avoir d’ailleurs le moins du monde l’intention de le rapprocher de M.  […] Je demande pardon au lecteur de revenir ainsi sur un détail qui est de peu d’importance : pourtant, nous autres critiques qui n’avons que notre jugement, nous devons tenir à ne point paraître nous être trompés du tout au tout sur le caractère d’un ouvrage nouveau.

44. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

En écrivant pour les jeunes filles, j’ai écrit pour tout le monde, car je me suis adressé au jugement, à la raison, qui sont en elles comme en nous. […] Ce sont leurs compositions mêmes qui les instruisent ; c’est sur les matières mêmes qu’ils auront traitées que le maître leur apprendra à féconder, à développer, à ordonner un sujet, c’est par leurs propres trouvailles de pensée et de style, bonnes ou méchantes, qu’il éclairera leur jugement et redressera leur goût. […] Le but que j’ai poursuivi est le but général de toute l’éducation : former la raison et le jugement. Mais je n’ai dû considérer ici la raison et le jugement que dans une de leurs applications particulières, lorsqu’on les emploie à la composition littéraire.

45. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Il s’en faut qu’il soit infaillible dans ses jugements sur Corneille. […] Il est la partie la plus exquise du jugement dans la critique : il n’est pas tout le jugement. […] Le jugement sur Racine est également neuf et plus complet encore. Est-ce donc un jugement ? […] Dans ses jugements sur Pascal et Fénelon, il en dit beaucoup trop au gré de Voltaire.

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