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254. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

L’homme habile à qui l’homme riche demande un morceau qu’il puisse laisser à son enfant, à son héritier, comme un effet prétieux, ne sera plus arrêté par mon jugement, par le vôtre, par le respect qu’il se portera à lui-même, par la crainte de perdre sa réputation : ce n’est plus pour la nation, c’est pour un particulier qu’il travaillera, et vous n’en obtiendrez qu’un ouvrage médiocre, et de nulle valeur. […] De celles surtout qui rarement exposées à nos yeux, telles que le ventre, le haut des reins, l’articulation des cuisses ou des bras, où le (…) et le (…) sont sentis par un si petit nombre d’artistes, ne tiennent pas le nom de belles de l’opinion populaire que l’artiste trouve établie en naissant et qui décide de son jugement. […] Mais ce que vous perdrez du côté des écarts, des vues, des principes, des réflexions, je tâcherai de vous le rendre par l’exactitude des descriptions et l’équité des jugements. […] Priez Dieu pour la conversion de cet homme-là ; et le front incliné devant la porte du sallon, faites amende honorable à l’académie des jugements inconsidérés que je vais porter.

255. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Mézeray a beaucoup profité de ces jugements et de ces couleurs de d’Aubigné, et le courant de son Histoire en est tout grossi. D’Aubigné a de bons résumés sur les hommes, de bons jugements rapides. […] … J’appelle des jugements de cette compagnie à elle-même quand elle y aura pensé… Ceux qui ne pourront attendre une plus mûre délibération, je leur baille congé librement pour aller chercher leur salaire sous des maîtres insolents.

256. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Vous m’y avez rencontré et traité fort amicalement pour mes propres variations sur ce grand thème, variations qui ont été d’humeur plus encore que de jugement. […] Son Journal contenait primitivement nombre de jugements de lui sur Cousin, qui faisait partie de la petite réunion dont étaient Ampère, Royer-Collard, etc. […] Pozzo di Borgo, Marmont, tenaient alors le premier rang dans ses amitiés ; elle apportait son jugement propre dans les impressions mêmes qu’elle recevait d’eux et dans les confidences curieuses qu’elle recueillait de leur bouche.

257. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

On juge dans l’âge de l’imagination et de la fantaisie, et les jugements qu’on porte ne sont que des caprices, charmants comme la jeunesse, mais souvent aussi peu raisonnables. […] La critique serait comme le Versailles des sages de la littérature ; on n’y serait admis que sur la présentation de son acte de naissance, ou, par exception, de quelque œuvre capable de mûrir le jugement et de hâter l’expérience, poème épique ou didactique, tragédie, roman moral. […] qui n’avait été apprécié à sa valeur par le jugement sommaire de la postérité ?

258. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Ce qui nous apparaît suprêmement beau de nos jours, notre sens de la beauté s’étant démesurément élargi, ce qui apparaissait déjà comme tel à Hugo, c’est-à-dire moins d’un siècle après le jugement de Voltaire, semblait alors l’ignoble et le grossier aux plus perspicaces. […] De cette erreur est sorti le jugement qui reconnaissait comme beaux un nombre très restreint d’objets, et comme laids tous les autres. […] Nous avons pris au pied de la lettre, le joyeux paradoxe de Théophile Gautier : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. — L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines. » Et nous avons conformé notre jugement à ce précepte, d’après lequel il serait impossible à un meuble, à une habitation, à une étoffe, de satisfaire aux exigences de la beauté.

259. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

Il voulait par là se ménager une plus grande liberté de jugement et de pensée. […] Cela est vrai tant qu’on n’a pas vu les hommes ; mais si on les a vus une fois de près, on est bien mieux de loin pour les juger, pour en parler sans superstition, et sans se faire l’écho de l’opinion. — Pour les jugements littéraires j’ai pensé dès longtemps qu’on ne les aurait tout à fait libres et indépendants sur les hommes de France, qu’en étant à la frontière, à Genève, à Bruxelles, — à Liége. » C'était aussi l’opinion de Voltaire et, avant lui, comme on va le voir, celle d’un esprit de la même famille, Bayle, l’illustre réfugié protestant du xviie siècle, avec lequel Sainte-Beuve avait tant d’affinité3.

260. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Laurent (de l’Ardèche) : Réputation de l’histoire de France de l’abbé de Montgaillard  »

Sans nous arrêter à ces conjectures assurément fort impertinentes, et sans prétendre le moins du monde leur donner crédit, nous ne pouvons que partager l’étonnement de l’auteur de la Réfutation et abonder dans son jugement sur l’ouvrage. […] Portant ces vues générales dans l’examen des individus, et s’enquérant scrupuleusement des faits biographiques et psychologiques, il prononce sur les hommes des jugements dans lesquels il n’entre pas moins de courage que de sagacité.

261. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Une âme en péril »

Il piochait des parallèles entre Virgile et Homère, entre Corneille et Racine, et il s’appliquait à rédiger en phrases « brillantes » son jugement sur Lemierre, Thomas et Jean-Baptiste Rousseau. […] Vous avez tous connu de ces abbés lauréats, sensibles aux prix académiques et aux récompenses officielles ; enclins à respecter, en littérature comme ailleurs, les jugements qui se formulent par voie d’autorité ; d’un amour-propre littéraire à la fois très éveillé et très ingénu, et où se révèle un fond de docilité chrétienne, de soumission aux puissances constituées, car toutes, et même celles que signalent les palmes vertes, émanent en quelque sorte de Dieu lui-même.

262. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

Dogmatiste ou impressionniste, il a volontiers des jugements qui ressemblent à des défis, et dont il se sait d’autant plus de gré. […] Tout critique est, plus ou moins, sa propre dupe, la dupe de ses théories et de ses idées générales, qui faussent à son insu ses jugements particuliers.

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