Voilà donc un jugement présentant le caractère opposé à celui des jugements donnés par l’expérience. […] Jugement. […] On forme alors le jugement : Je suis. […] Le jugement universel affirme l’attribut de tout, le jugement particulier d’une partie du sujet. […] Le jugement.
D. — Enfin les images se classent naturellement d’après les jugements spontanés dont elles sont l’objet [ch. II § 7 à 10] : Si c’est le jugement de reconnaissance, l’image est un souvenir. Si au jugement de reconnaissance est joint un jugement d’extériorité, l’image est le souvenir d’une perception, un souvenir sensible. […] Si elle n’est l’objet d’aucun jugement, l’image est par là même déclarée neuve, inventée, sans cause et sans objet ; elle est une imagination. […] Ainsi, de ces quatre divisions, la quatrième se fonde sur les deux précédentes, c’est-à-dire qu’elle porte sur des caractères non seulement accessoires, mais encore dérivés ; puis ces caractères sont des jugements, qui, comme tous les jugements, peuvent être erronés ; ce sont des œuvres de l’activité la plus spontanée de l’entendement, ce ne sont pas des données de la nature.
On n’aurait pas su tout ce qu’elle était ni tout ce qu’elle valait comme esprit, comme droiture et lumière de jugement, si elle n’avait pas tout tiré d’elle-même. […] Si elle les lit, son jugement s’échappe aussitôt et ne se laisse arrêter à aucune considération du dehors. […] Tant il est vrai qu’elle était destinée, comme on l’a dit, à être toujours sage en jugement, et à faire toujours des sottises en conduite. […] Le jugement sérieux, profond, véritable, sur Mme Du Deffand, c’est dans les Lettres de Walpole qu’il le faut chercher ; car Walpole, malgré ses rigueurs plus apparentes que réelles, appréciait sa vieille amie à tout son prix et l’admirait extrêmement. […] Elle fait de même chez Jean-Jacques : « Ne sachant que lire, j’ai repris l’Héloïse de Rousseau ; il y a des endroits fort bons, mais ils sont noyés dans un océan d’éloquence verbiageuse. » Sur Racine, sur Corneille, elle a des jugements sains et droits.
Il s’établit au fond de nous une sorte d’intelligence et de connivence presque forcée entre notre talent et notre jugement, surtout quand ce jugement porte sur l’objet même auquel se rapporte notre talent habituel. […] Il s’agit de la correspondance de Voltaire, et des jugements ou des préceptes littéraires qui y sont semés : S’il y avait, dit M. […] Le goût n’est pas une doctrine, encore moins une science : c’est le bon sens dans le jugement des livres et des écrivains. […] Les erreurs de cet esprit si juste sont des jugements intéressés, où il a pris sa commodité pour règle… Et comparant cette correspondance de Voltaire avec les lettres de Cicéron, cet autre esprit universel et le grand épistolaire de l’Antiquité, il dira : L’amour de la gloire est l’âme de ces deux recueils, et ce que Voltaire fait dire au Cicéron de sa Rome sauvée : Romains, j’aime la gloire et ne veux pas m’en taire, est aussi vrai du poète que de son héros. […] Le dernier chapitre, consacré aux principaux auteurs du xixe siècle, et qui condense un si grand nombre de jugements en termes frappants et concis, prouverait, une fois de plus, s’il en était besoin, la parfaite sincérité de l’auteur, sa bienveillance unie à ce fonds de sévérité qu’elle corrige bien souvent et qu’elle tempère même jusqu’à la faveur, dès qu’il y entre un peu d’amitié ; son scrupule à ne tirer son impression que de lui, de son propre esprit, et de l’écrivain à qui il a directement affaire, sans s’amuser aux accessoires et aux hors-d’œuvre ; son attention à choisir, à peser chaque mot dans la sentence définitive qu’il produit.
Quand on étudie quelque grand écrivain ou poète mort, La Bruyère, Racine, Molière, par exemple, on est bien plus à l’aise, je le sens, pour dire sa pensée, pour asseoir son jugement sur l’œuvre ; mais le rapport de l’œuvre à la personne même, au caractère, aux circonstances particulières, est-il aussi facile à saisir ? […] Quelle différence d’exactitude et de vérité nous sentons dans nos jugements successifs sur un même individu, si nous l’avons vu en personne ou si nous n’en avons qu’entendu parler, si nous le connaissons pour l’avoir rencontré ou pour avoir vécu avec lui ! […] Si, sur plusieurs de ces points secondaires, l’auteur avait réussi à fonder quelques jugements nouveaux, à préparer quelques-uns des éléments qui s’introduiront un jour dans l’histoire littéraire de notre époque, il aurait atteint l’objet de sa plus chère ambition. […] Sans qu’au fond nos jugements du passé et nos prévisions de l’avenir se soient détournés ni déconcertés, l’expérience plus vraie que nous avons faite des choses, dans le sens même de nos convictions, nous a rendu plus tolérant pour tous. […] Nous avons fait nous-même ici, dans ces Premiers Lundis, les derniers emprunts aux Critiques et Portraits littéraires, par deux importants morceaux (à part les Préfaces que nous venons d’en extraire) : Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la révolution de 1830 ; — Des Jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger (1836) : tout le reste était déjà entré, comme on le sait, dans les autres galeries de Portraits : — Portraits littéraires, Portraits contemporains, Portraits de Femmes. — Les Critiques et Portraits littéraires relèvent donc essentiellement désormais du domaine de la bibliophilie, et la note suivante de M.
Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. […] Pour moi, j’oserai le dire, quant à ce qui est tout à fait contemporain et d’hier, et qui demande une comparaison attentive, éveillée et de détail, un étranger, quelque instruit et sensé qu’il soit, ne peut, demeurant absent, porter qu’un jugement approximatif, incomplet, relatif, et, pour parler dans le style en usage sous Louis XIV, qu’un jugement grossier, comme le ferait le plus reculé des provinciaux qui voudrait être au fait de la littérature de la capitale. […] Goethe, si sagace et si ouvert à toutes les impressions qu’il ait été, jugeait un peu de travers et d’une façon très subtile notre jeune littérature contemporaine ; il y avait manque de proportion dans ses jugements ; ce qu’il pensait et disait là-dessus au temps du Globe, pouvait être précieux pour le faire connaître, lui, mais non pour nous faire connaître, nous. […] Son article, pour nous autres Français, est tout simplement… (le mot d’inintelligent rendrait faiblement ma pensée), et il offre une confusion en tout point, qui doit nous rendre très humbles et un peu sceptiques dans les jugements que nous portons des littératures auxquelles nous n’avons pas assisté, même quand nous avons les pièces en main et que nous les avons compulsées soigneusement. […] De loin, et d’une langue à l’autre, on n’y regarde pas de si près ; on ne va qu’au gros du roman, ce qui contribue à faire, en propres termes, un jugement fort grossier, comme j’ai remarqué déjà qu’on le disait fort poliment sous Louis XIV.
Il doit se faire un principe de jugement et de classement, qui soit à la fois aussi large et aussi scientifique que possible. […] Que penser, par exemple, du jugement des contemporains ? […] Elle a, dans les jugements qu’elle rend, des motifs de derrière la tête, des considérants qu’elle ne dit pas et souvent qu’elle ne sait pas. […] Peut-être alors qu’il vaudra mieux s’en référer aux jugements portés par les maîtres de la critique ? […] § 5. — La première méthode qui s’offre à lui consiste à consulter les jugements antérieurs.
Pouvez-vous, me dira-t-on, ériger en tribunal infaillible un appretiateur du mérite qui s’est trompé si souvent sur les géneraux, sur les ministres et sur les magistrats, et qui s’est vû obligé tant de fois à retracter le jugement qu’il avoit porté ? […] Le public ne s’est trompé, par exemple, dans tous les temps, sur la loüange dûë à un general qui venoit de gagner une bataille ou de la perdre, que pour avoir porté son jugement sur tout un objet dont il ne connoissoit qu’une partie. […] Quand le public décide sur leurs ouvrages, il porte son jugement sur un objet, qu’il connoît en son entier et qu’il voit par toutes ses faces. […] Vous mettez tout le monde en droit de leur faire leur procès, même sans rendre aucune raison de son jugement, au lieu que les autres sçavans ne sont jugez que par leurs pairs, qui sont encore tenus de les convaincre dans les formes avant que d’être reçus à prononcer leur condamnation. […] L’ignorant peut donc dire que l’ouvrage est bon ou qu’il ne vaut rien, et même il est faux qu’il ne rende pas raison de son jugement.
Cela pourrait-il être une raison, parce que l’auteur des Jugements nouveaux nous a exprimé, à la tête de son livre, une franche sympathie d’idées et de sentiments littéraires, pour que la critique, qu’il a la bonté d’estimer, lui manque tout à coup, et qu’il soit privé de sa part d’examen sous le prétexte, de peu de courage, que notre éloge serait suspect de reconnaissance et notre blâme d’ingratitude ? […] Or, tel est et tel fait Xavier Aubryet, le jeune auteur des Jugements nouveaux, qui, par cela seul, justifieront leur titre. […] Mais cette moitié de force et de faiblesse peut être toute force demain, et, pour cela, l’auteur des Jugements nouveaux n’aura pas besoin de se démentir : il s’accomplira simplement. […] Pour mon compte, je ne crois pas que depuis madame de Staël il y ait eu dans la littérature un livre qui ait charrié, sur le flot mouvant des images, plus d’aperçus et de rapports piquants que le livre des Jugements nouveaux. […] En effet, si jamais le critique n’aboutissait pas en Aubryet, comme après ses Jugements nouveaux nous avons le droit de nous y attendre, c’est que le poète l’aurait étouffé.