/ 2011
13. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

II, § 7, 8, 9], a toujours un objet idéal ; les seuls jugements spontanés qui soient normalement et régulièrement portés sur elle sont ceux que le langage vulgaire réunit sous le nom de comprendre : quand je me parle, je me comprends, c’est-à-dire que je mets des idées sous les mots et des rapports d’idées sous leurs relations syntactiques. […] La reconnaissance est un jugement, ou du moins contient un jugement qui en est l’élément principal ; comprendre consiste également en jugements, ou du moins contient des affirmations de rapports, c’est-à-dire des jugements. […] Voilà une autre variété de l’inspiration ; mais, comme la première, — et nous le montrons ici même, — elle suppose dans le passé de longs efforts de réflexion, dont nous profitons aujourd’hui sans avoir besoin de les renouveler ; la qualité des concepts usuels que chacun de nos mots porte avec lui fait pour une grande part la qualité de nos jugements nouveaux ; et l’influence du passé ne se borne pas là : les jugements nouveaux supposent nécessairement des concepts préétablis dans l’esprit ; mais la réunion de ces concepts, pour être imprévue, n’est pas absolument nouvelle ; un jugement nouveau imite toujours des jugements anciens ; il suit des habitudes dont il s’écarte ; or ces habitudes n’existent pas dans la pensée sans correspondre à certaines habitudes du langage ; certains mots sont dans notre mémoire à l’état de camaraderie, pour ainsi dire [ch. IV, § 8] ; l’un appelle l’autre, et leur réunion a un sens ; si cette camaraderie est de bon aloi, le réveil d’une suite de mots destinée à exprimer le jugement nouveau apporte à celui-ci le concours de jugements anciens, médités, examinés, approuvés autrefois par la réflexion, et il s’éclaire de leur lumière. […] Mais cette parole intempérante remplit plutôt les lacunes de sa pensée ; il parle quand il ne pense guère ; il se repose ainsi, il joue ; quand il pense, au contraire, il parle peu ; c’est en silence qu’il fait ses notions et qu’il s’exerce au jugement.

14. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Hallé  » pp. 127-130

Nous avons deux jugements opposés de la beauté ; l’un de convention, l’autre d’étude. Ces jugements d’après [lesquels] nous appelons beau dans la rue ce que nous appellerons laid dans l’atelier, et alternativement ne nous permettent pas d’avoir une certaine sévérité de goût. […] Et puis croyez-vous qu’il fût indifférent de savoir, avant de prendre le crayon ou le pinceau, quel était le sujet du sermon ; si c’était ou l’effroi des jugements de Dieu, ou la confiance dans la miséricorde de Dieu, ou le respect pour les choses saintes, ou la vérité de la religion, ou la commisération pour les pauvres, ou un mystère, ou un point de morale, ou le danger des passions, ou les devoirs de l’état, ou la fuite du monde. […] Ne sentez-vous pas que si le sermon est des jugements de Dieu, votre orateur aura l’air sombre et recueilli, et que votre auditoire prendra le même caractère ; que si le sermon est de l’amour de Dieu, votre orateur aura les yeux tournés vers le ciel, et qu’il sera dans une extase que les peuples qui l’écoutent partageront ; que s’il prêche la commisération pour les pauvres, il aura le regard attendri et touché, et qu’il en sera de même de ses auditeurs. Allez sous le cloître des Chartreux ; voyez le tableau de la Prédication, et dites-moi s’il y a le moindre doute que le sermon ne soit de la sévérité des jugements de Dieu.

15. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Il a dans la pensée un type de théâtre à lui, une scène idéale de magnificence et d’éclat, de poésie en vers, de style orné et rehaussé d’images, de passion et de fantaisie luxuriante, d’enchantement perpétuel et de féerie ; il y admet la convention, le masque, le chant, la cadence et la déclamation quand ce sont des vers, la décoration fréquente et renouvelée, un mélange brillant, grandiose, capricieux et animé, qui est le contraire de la réalité et de la prose : et le voilà obligé de juger des tragédies modernes qui ne ressemblent plus au Cid et qui se ressemblent toutes, des comédies applaudies du public, et qui ne lui semblent, à lui, que « des opéras-comiques en cinq actes, sans couplets et sans airs » ; ou bien de vrais opéras-comiques en vogue, « d’une musique agréable et légère, mais qui lui semble tourner trop au quadrille. » Il n’est pas de l’avis du public, et il est obligé dans ses jugements de compter avec le public. […] Un homme d’esprit et de tact qui avait vieilli dans le journalisme me disait un jour « Un critique, en restant ce qu’il doit être, peut avoir jusqu’à trois jugements, — trois expressions de jugement : — le jugement secret, intime, causé dans la chambre et entre amis, un jugement d’accord avec le type de talent qu’on porte en soi, et, par conséquent, comme tout ce qui est personnel, vif, passionné, primesautier, enthousiaste ou répulsif, un jugement qui, en bien des cas, emporte la pièce : c’est celui de la prédilection ou de l’antipathie. […] Cela constitue le second jugement, réfléchi et pondéré, en vue du public : c’est celui de l’équité et de l’intelligence. « Enfin il y a un troisième jugement, souvent commandé et dicté, au moins dans la forme, par les circonstances, les convenances extérieures ; un jugement modifié, mitigé par des raisons valables, des égards et des considérations dignes de respect : c’est ce que j’appelle le jugement déposition ou d’indulgence. » Il y a de ces trois sortes de jugements dans les feuilletons de Théophile Gautier, comme chez nous tous.

16. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

Considérons ce jugement ; pris en soi, il est faux ; la sensation n’est pas dans mon pied. […] Peu importe ; le jugement se produit aussi bien dans le second cas que dans le premier ; la sensation, à elle seule, suffit pour le provoquer, et, par ce jugement, elle acquiert une situation apparente. […] Toutes les singularités, toutes les erreurs, toutes les diversités du jugement localisateur s’expliquent par cette loi. […] C’est donc en ce point, et non dans un autre du cordon nerveux, que le jugement localisateur doit situer la sensation. […] Ainsi, cette fois encore, notre jugement, toujours faux en soi, est presque toujours juste par contrecoup et concordance.

17. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Argument » pp. 287-289

Trois espèces de jugements. — § I. Jugements divins et duels. […] Il en est de même des jugements héroïques, rigoureusement conformes aux formules consacrées. Jugements humains, ou discrétionnaires.

18. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il est vrai que le jugement pur, sans mélange d’imagination et d’esprit, comme chez les bons Hollandais et chez les Allemands et les Suisses, produit des effets plus corrects et plus sages. […] Les jugements et témoignages de d’Argenson sur les écrivains qu’il a connus et les livres d’eux qu’il a lus sont plus sûrs et ont beaucoup de prix à nos yeux. […] Cet auteur est un homme d’une imagination forte, et son jugement ne vient qu’à la suite de son esprit. […] Si je pouvais citer un plus grand nombre de ses jugements, je ne les donnerais pas comme vrais, mais comme siens, et à ce titre presque toujours remarquables. […] Ses jugements littéraires proprement dits ne sont pas toujours très fins.

19. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Bosc, et dont on retrouve l’expression assez peu convenable dans la Correspondance avec Bancal (page 12), n’est autre chose au fond, dans sa crudité, que ce jugement instinctif et presque invincible des esprits de race girondine sur ceux de famille doctrinaire, jugement au reste si amèrement rétorqué par ceux-ci. […] Mais quand elle se borne à des jugements plus pratiques, à des vues de détail sur le gouvernement, l’insuffisance et le vague de son système deviennent sensibles. […] Dans les pages de ses Mémoires qu’elle y consacre, les émotions, vives encore, sont adoucies par la distance et fondues avec les jugements de date subséquente qui y interviennent : ici elle agit et pense jour par jour. […] Le jugement sur Mirabeau est d’une belle et calme lucidité. […] Mais, pour nous en tenir au jugement qu’elle a fait des autres, acteur incomplet et gêné qu’elle était à cause de son sexe, je suis frappé de cette fermeté et de cette pénétration de coup d’œil qu’elle y porte, même quand la passion l’offusque encore.

20. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Explication du jugement de Boileau sur Desportes et Bertaut. […] Explication du jugement de Boileau sur Desportes et Bertaut. […] Ce bref jugement sur Desportes et Bertaut n’est pas moins exact que le portrait de Ronsard ; là encore l’histoire de la poésie ne doit être qu’un commentaire de Boileau. […] Les plus grandes beautés du recueil de Bertaut ne suffisent qu’à motiver le jugement de Boileau. […] Tout, dans ce jugement, est considérable ; tout porte coup.

21. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Elle a peur, dans tous ses jugements littéraires, de contredire un dogme. […] Kant, Critique du jugement esthétique. […] Critique du Jugement, § xv. […] Critique du Jugement, § i. […] Critique du Jugement, § viii.

/ 2011