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199. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

Wagner donne comme exemple ces deux phrases : « l’amour enfante la joie, et la douleur » et « l’amour donne le bonheur et la vie ». Dans le premier cas il modulerait dans un autre ton entre les mots joie et douleur ; dans le second, la phrase entière resterait dans le même ton. […] On ne sait pas combien il est douloureux à quelqu’un qui connaît et qui aime Wagner, d’être contraint à s’occuper de cette triste parodie de l’art qui fait une des joies de sa vie. […] C’est en général l’accueil que fait au Pur-simple la prairie (et la nature entière), rayonnante de joie lumineuse. […] » Joie ineffable !

200. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Comme il n’est pas nécessaire à un professeur pour inventer un problème de ressentir l’embarras qu’il causera à ses élèves, qu’un acteur sait simuler la joie et la douleur sans l’éprouver, ou qu’un fabricant de jouets n’a pas à prendre plaisir à ses toupies et à ses cerceaux pour que ceux-ci amusent des enfants, il semble qu’aux artistes que leurs œuvres ont émus, peuvent succéder des artistes passionnants non passionnés, réfractaires à tout sentiment artistique, fournissant, intacts d’émotions fictives, leur génération. […] Il décrit de préférence des lieux abrupts et sauvages ou féerique-ment riches, représente volontiers l’homme comme malade, difforme, pâle, blessé ou charmant et magnifique, l’analyse en ses passions extrêmes et déchaînées : l’amour éperdu, le remords angoissant, la mélancolie profonde, la douleur de préférence ou la joie lyrique et folle, le doue d’une noblesse ou d’une férocité d’âme également démesurées, le place en des incidents forcés où la crise des émotions se trouve grandie par leur conflit. […] Les sentiments, nous avons eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, sont l’état de conscience le plus énergique qui soit, parce qu’ils sont nos peines et nos joies. […] Ici intervient la théorie moderne du plaisir et de la peine, pour expliquer comment cet être aux libres délicatement vivantes, au lieu d’être affecté, vivement mais également, par les sensations agréables et les douloureuses, tend plutôt çà s’assimiler ces dernières et transforme même les jouissances en sources de peine ; comment, en somme, tout artiste descriptif est exposé à ressentir dans sa vie plus de peines que de joies. […] La sympathie, la pitié, l’horreur de la souffrance humaine, l’altruisme, en un mot, qui met dans l’âme de chacun un reflet de la douleur et de la joie de tous, sont les sentiments qui conduiront nécessairement à la reforme de la vie sociale.

201. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Si c’est de vos joies, il y a gros à parier que votre confident n’a guère eu de joies dans sa vie. […] L’idée que je n’y avais pas été nécessaire ne me consola pas de n’avoir pas mérité une part dans la joie de ses amis. […] Tandis que la joie du lettré est mêlée d’inquiétude, celle du savant est parfaite. […] La joie qu’ils en ressentent est la tranquille joie de la certitude. […] Il n’y a de comparable aux premières joies du cœur que les premiers plaisirs de l’esprit.

202. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Chantons la joie ! […] Il crée de la joie autour de lui. […] Rimes de Joie, « Maquillage ». […] Le Cerisier fleuri, « La Joie ». […] La Multiple Splendeur, « La Joie ».

203. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Nous passons dans le monde étrangers à sa joie, L’un vers l’autre attirés ; De crainte, d’espérance incessamment la proie, Unis… et séparés ! […] En les regardant, en les écoutant, je suis arrivé à goûter une indicible joie, rien qu’à voir rayonner ce beau et doux soleil sur un arbre que j’ai planté, et à trouver le strict nécessaire proprement servi sur ma table ; rien qu’à jouir du silence, de la retraite, de la lecture, ou d’une innocente occupation ; et je m’écrie vingt fois le jour, comme les Pères des déserts : « Seigneur, c’est assez ! je mourrai de douceur si vous ne modérez ma joie. » Mais eux disaient cela après avoir bu de l’eau du désert et mangé des racines ; il est vrai que c’était aussi après avoir prié. — Nourriture céleste et abondante qui donne à tout une exquise saveur !  […] De quelques fleurs qu’il soit paré, Si riantes que soient ses voies, Il doit à ses célestes joies Manquer ton regard adoré.

204. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Le gain probable met sa prudence en repos ; pour sa conscience, il l’apaise avec des sophismes : après quoi, il se laisse aller à la joie de l’« aventure ». […] Et sachez qu’il n’y eût si hardi à qui la chair ne frémit ; et ce ne fut une merveille ; car jamais si grande affaire ne fui entreprise de nulles gens, depuis que le monde fut créé. » Ne sent-on pas ici la joie de l’imagination que l’« aventure » ravit, avec cette excitation particulière qu’y ajoute la vanité d’avoir vu et fait ce qui n’a été vu ni fait de personne ? […] Il ne faut pas qu’on sache que cet abbé des Vaux de Cernay qui ne veut pas aller ailleurs qu’en Terre Sainte ou en Egypte, parle au nom du pape, et avoué par lui : il faut qu’on croie que Home n’a eu que des pardons et de la joie pour ses enfants qui lui ont rendu l’empire grec. […] Point de sentimentalité du reste, ni de mélancolie : la joie domine et dans l’âme et dans la parole de Joinville ; mais il a dans l’occasion, sur les misères de ses amis ou de ses compagnons, des expressions de tendresse et de piété, fines comme le sentiment qui un moment attrista sa belle humeur.

205. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

On dirait que, dans sa joie, elle casse une tirelire pleine d’épigrammes économisées et qu’elle jette d’un coup par la fenêtre ses épargnes de vingt ans de silence et de niaiserie feinte. […] Ses personnages, lorsqu’ils s’avisent de pindariser et d’admirer le ciel bleu, me rappellent tout à fait les Philistins de la chanson d’Henri Heine : « Des Philistins, dans leurs habits du dimanche, se promènent à travers bois et vallons ; ils poussent des cris de joie, ils frétillent comme des poissons, ils saluent la belle nature. […] Vous voyez d’ici la stupeur et la rage des parents déçus, la joie folle des héritiers improvisés, et les hypocrisies, et les doléances. […] Reste Spiegel, la joie, l’honnêteté, le succès de la comédie.

206. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Les esprits tristes eux-mêmes n’y sont pas admis, car il y a un fond de joie et d’enjouement dans toute urbanité, il y a du sourire. […] Rémond, menait plus loin qu’Hélène ; elle répandait une joie si douce et si vive, un goût de volupté si noble et si élégant dans l’âme de ses convives, que tous les âges et tous les caractères paraissaient aimables et heureux. […] C’est ainsi qu’il faut entendre cet autre passage de l’éloge, où il est dit : « Dès qu’on avait fait connaissance avec elle, on quittait sans y penser ses maîtresses, parce qu’elles commençaient à plaire moins ; et il était difficile de vivre dans sa société sans devenir son ami et son amant. » Ces expressions vives du peintre platonique ne sont que pour mieux rendre cette joie de l’esprit et cette pure ivresse de la grâce qu’on ressentait insensiblement près d’elle. Car, pour revenir encore une fois à la conclusion de Quintilien interprété à la moderne par Gédoyn, facilité, discrétion, finesse, ne pas trop appuyer, ne rien pousser à bout, ce sont là certes des conditions de l’urbanité, mais tout cela n’est rien sans un certain esprit de joie et de bonté qui anime l’ensemble : « c’est proprement un charme », a dit La Fontaine.

207. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Et, par une exagération singulière, ces émotions mélancoliques se manifestent fréquemment chez Heine, pour des objets vagues, nuls, ou tels qu’ils suscitent chez la plupart des hommes, de la joie. […] Elle n’est pas non plus la joie sèche des comiques de race latine, le rire d’un homme sanguin, équilibre, sain, ayant la salutaire étroitesse d’esprit de l’homme normal. […] Le poète raconte la joie des premières adorations, un cœur débordant prenant à témoin de sa félicité le printemps et le monde ; des doutes arrêtent cet essor passionné ; la bien-aimée est plus belle que bonne ; ses perfidies détruisent une à une toutes les promesses de ses yeux ; l’amant, abîmé de douleur, ne pouvant être aussi oublieux que sa maîtresse, se plaît à aigrir sa souffrance par ces éternelles plaintes qu’échangent les amants déçus. […] Et grâce à la vive facilité de son imagination, il eut le cerveau peuplé de déesses tangibles et souriantes, de dieux statuaires, majestueusement drapés ou noblement nus, figurant de leurs traits augustes, avec la joie calme qui arque leurs lèvres et éclaire leurs yeux, la plus belle phase de l’humanité intacte.

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