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287. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Au sortir des écoles, il se trouva être de la fleur de cette jeunesse d’alors qui allait occuper le jeu pendant une quinzaine d’années jusqu’à la Fronde et au-delà, jusqu’à l’avènement de Louis XIV. […] Maucroix ne plaida en tout que cinq ou six fois dans sa jeunesse, et plus tard, dans sa vie d’église, il ne monta jamais en chaire. […] Quand tout bas elle soupire, N’en soyez pas interdit : Écoutez ce qu’on veut dire, Et non pas ce que l’on dit… Il y a ainsi de Maucroix en sa jeunesse quantité de couplets, épigrammes, madrigaux, épîtres familières, desquels il aurait pu dire comme Pline le Jeune envoyant à un ami ses hendécasyllabes : « Ce sont de petits vers dans lesquels tour à tour je raille, je badine, je suis amoureux, je me plains, je soupire, je me fâche. » Il aurait eu grand besoin, comme Pline, de demander pardon des légèretés et des endroits libres, en se couvrant des illustres exemples d’hommes réputés graves dont les mœurs, dit-on, valaient mieux que les paroles ; mais il n’aurait pu ajouter, comme le docte et ingénieux Romain, qu’il avait été, dans sa manière, tantôt plus serré, tantôt plus élevé et plus étendu (modo pressius, modo elatius) : Maucroix n’est jamais ni resserré ni élevé ; il a du naturel et une certaine douceur de rêverie, il n’a pas de force ni de travail. […] Mais c’est à Reims, sa dernière et véritable patrie, c’est au benoît préau qu’il en revient toujours, à la jolie maison qu’il se fait arranger et qu’on lui prépare (« Car j’aime la jeunesse, dit-il, aussi bien en maison qu’en autre chose ») ; c’est à son jardin, à ces allées qu’il y veut « toujours propres, toujours nettes et sablées comme celles de Versailles pour le moins » ; c’est à tout cela que va de lui-même son désir et son vœu : « La contrainte n’est pas mon fait, je n’aime que la liberté ; je ne l’ai pas haïe jusques ici, je l’aimerai à l’avenir encore davantage. » Il le redit de mille agréables façons : Somme toute, notre cher, les honneurs sont beaux, mais la liberté est admirable.

288. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Tout en apprenant du latin, du grec, de l’hébreu, et en se rompant aux mâles études, l’enfance et la première jeunesse de d’Aubigné furent telles, et si fréquemment débauchées et libertines, qu’en tout autre siècle il eût probablement dérivé et donné dans cette espèce d’incrédulité qu’on désigne sous le nom de scepticisme, et que les mauvaises mœurs insinuent si aisément : mais au xvie  siècle, ces courants amollissants et dissolvants n’existaient pas, et les dissipations même, dans leur violence et leur crudité grossière, n’empêchaient pas de respirer l’air ardent des croyances diverses et des fanatismes. […] Au fond, d’Aubigné dans sa jeunesse avait été un académicien à la mode de son temps. […] Qui n’a vu, au temps de notre jeunesse, quelque vieux Vendéen ou soldat de l’armée de Condé, mécontent, chagrin, satirique, irrité contre Louis XVIII de ce qu’il avait trop donné du côté de la philosophie ou de la Révolution, et qui, dès que le roi fut mort, le pleura ? […] D’Aubigné voyait dans ce dévouement et cette vaillance une preuve du bon droit : « Il arrive peu souvent, pensait-il, que l’injustice ait les meilleures épées de son côté, parce que c’est la conscience qui émeut la noblesse et la porte aux extraordinaires dépenses, labeurs et hasards. » D’Aubigné, si on l’avait pressé, eût peut-être été dans l’embarras de fixer ce beau temps où l’épée de la noblesse était toujours pour le parti le plus juste ; dans les souvenirs de la fin de sa vie, il confond involontairement ce temps idéal avec celui de sa jeunesse, le bel âge pour tous : quand il devint vieux, il ne fut pas des derniers à crier à la décadence.

289. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Né en 1613, entré dans le monde à seize ans, toute sa première jeunesse se passe sous Louis XIII ; c’est là qu’il est chevaleresque et romanesque, c’est là qu’il est dévoué, c’est là que son ambition première et généreuse se déguise à elle-même en pur amour, en sacrifice pour la reine persécutée, et se prodigue en mille beaux actes imprudents que Richelieu sut rabattre sans les trop punir. […] Son amour pour Mme de Longueville n’est plus un amour de jeunesse, c’est une intrigue de politique autant et plus qu’un intérêt de cœur. […] C’est une des beautés et l’un des charmes de la jeunesse et du génie que de se produire et d’éclater avant tout raisonnement, et de s’élancer vers son objet par une impulsion première irrésistible. […] M. de La Rochefoucauld, parlant de celle qu’il avait aimée, n’aurait pas commencé par décrire « ses cheveux d’un blond cendré de la dernière finesse, descendant en boucles abondantes, ornant l’ovale gracieux du visage, et inondant d’admirables épaules, très découvertes, selon la mode du temps. » Et après cette description toute physique et caressante, et qui sent l’auteur du Lys dans la vallée, il n’eût point déclaré tout aussitôt, en reprenant le ton du professeur d’esthétique qui se retourne vers la jeunesse pour lui faire la leçon : « Voilà le fond d’une vraie beauté ! 

290. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

On aura remarqué dans toute cette scène ce qui est partout ailleurs dans Térence, le sentiment et l’intelligence de la jeunesse, une parfaite indulgence pour cet âge où la vie est si belle et si propice qu’il lui faut bien passer quelque chose, s’il abonde et s’il excède dans sa joie. […] Enfin, tout ce que les jeunes gens font d’ordinaire en cachette de leur père, tout ce qui est péché de jeunesse, j’ai accoutumé mon fils à ne pas m’en faire mystère ; car qui s’accoutume une fois à mentir et à tromper son père, celui-là l’osera d’autant plus à l’égard des autres. […] Térence est le poète de la jeunesse : tout chez lui se rapporte volontiers à elle. […] Nous assistons à l’ivresse même de la jeunesse.

291. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

On se figure toujours en commençant qu’on va être tout différent de ce qui a précédé ; c’est le plus beau motif d’aller en avant et l’inspiration de la jeunesse. […] Voilà, ajoute-t-il, la politique telle que nous l’entendons, vous, moi, tant d’autres, et presque toute cette jeunesse qui est née dans les tempêtes, qui grandit dans les luttes et qui semble avoir en elle l’instinct des grandes choses qui doivent graduellement et religieusement s’accomplir. […] Je cherche en vain cette foule d’adhérents et presque toute cette jeunesse, qui, loin de grandir dans les luttes, me semble bien plutôt aujourd’hui les déserter. […] N’aurait-il pas ce qui, dans les talents heureux, tient lieu d’ordinaire, en avançant, de la pudeur instinctive de la jeunesse ?

292. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Né en 1778 dans la Haute-Marne, venu à Paris sous le Directoire, il était de cette jeunesse qui n’avait déjà plus les flammes premières, et qui, tout en faisant ses gaietés, attendait le mot d’ordre qui ne manqua pas. […] Ses Lettres sur Paris eurent un grand, un rapide succès ; ce fut son dernier feu de talent et de jeunesse ; depuis ce temps, M.  […] Aussi n’est-ce point de la sorte que je l’entends : gardons nos vers, gardons-les pour le public, laissons-leur faire leur chemin d’eux-mêmes ; qu’ils aillent, s’il se peut, à la jeunesse ; qu’ils tâchent quelque temps encore de paraître jeunes à l’oreille et au cœur de ces générations rapides que chaque jour amène et qui nous ont déjà remplacés. […] Joubert adressait ces lettres si fructueuses et si intimes, un esprit poli et sensé qui, dans sa tendre jeunesse, parut grave avant d’entrer aux affaires, et qui toujours se retrouve gracieux et délicat en en sortant.

293. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Mendès n’a jamais voulu revenir sur cette impression puisqu’il écrivait en 1900 de Mallarmé : Je souhaite ardemment de m’être trompé ; oui, du plus profond de mon cœur, je souhaite en effet que le compagnon de ma jeunesse ait mérité d’être l’initiateur, le guide spirituel des générations futures, mais, avec chagrin, je ne le crois pas et j’ai dû me résigner à le dire. […] Et c’est la vérité que les vers de jeunesse de Mallarmé témoignent d’un talent plein de confiance en lui-même mais importuné de sa disgrâce. […] Est-ce par le besoin d’admirer de la jeunesse et d’élire le premier guide qu’elle rencontre en chemin, comme l’insinue M.  […] Moréas, après avoir admiré Mallarmé, disait vers la fin : « Je ne rouvrirai plus ses livres. » Pourtant, plus d’un quart de siècle après sa mort, la jeunesse intellectuelle qui a enterré d’un cœur joyeux le Parnasse et qui est en train d’enterrer si résolument le symbolisme, se préoccupe toujours de Stéphane Mallarmé.

294. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

C’était, dit-on, le plus bel enfant qu’on pût voir, et, plus tard, on ne l’appelait dans sa jeunesse que le beau Patru. […] D’Urfé, comme presque tous les romanciers, avait mis dans son roman les personnages de sa connaissance : il s’y était mis lui-même et les aventures de sa jeunesse ; mais tout cela était combiné, déguisé et (le mot est de Patru) romancé de telle sorte, que lui seul pouvait servir de guide dans ce labyrinthe. […] Son ami, le célèbre traducteur Perrot d’Ablancourt, avec qui il menait jeunesse, le servit fort en cette intrigue, et il l’aidait à écarter, sans trop de peine, le mari plus incommode que jaloux. Cet ensemble d’anecdotes sur la jeunesse de Patru nous le montre bien, dans la vérité primitive de son caractère, aimable, je le répète, liant et séduisant, un garçon d’esprit et de plaisir, honnête homme au milieu de ses distractions gauloises, désintéressé, déjà mal à l’aise et se méfiant de la fortune, ne se sentant pas assez de force pour la maîtriser et pour épouser courageusement la femme qu’il aime, du moment qu’elle devient veuve et qu’elle est libre.

295. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Cependant, après être resté ainsi une partie de sa jeunesse entre quatre vitres, comme il dit, il s’ennuya et prit son essor. […] Dans le procès qu’il eut dix ans plus tard contre le comte de La Blache et le conseiller Goëzman, ses ennemis et ses accusateurs cherchaient par tous les moyens à perdre Beaumarchais, et on fit circuler contre lui une prétendue lettre venue d’Espagne, qui allait à dénaturer et à flétrir un acte généreux de sa jeunesse. […] comme il en veut à ses ennemis, lui qui ne hait personne, d’avoir ainsi cherché à noircir « sa jeunesse si gaie, si folle, si heureuse » ! […] Sur les femmes, toutes les fois qu’il a à en parler, il y a de petites hymnes galantes et comme de petits couplets destinés à plaire aux belles et sensibles lectrices ; il a de ces tirades dans le procès Goëzman, il en aura plus tard dans le procès Kornman : « Et je serais ingrat au point de refuser, dans ma vieillesse, mes secours à ce sexe aimé qui rendit ma jeunesse heureuse !

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