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344. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Si enfin l’action tragique dans Corneille ne reste pas intérieure jusqu’au dénouement qui extériorise en un acte ou un état définitifs de crime ou de malheur, c’est encore qu’il peint des volontés, et que la volonté tend nécessairement aux effets ; elle aspire à réaliser ses déterminations, elle est active ; de là vient que l’action, chez Corneille, ricoche constamment de l’intérieur à l’extérieur, de la nensée à l’acte et de l’acte à la Densée. […] En son temps surtout, c’était la vérité : il y a une harmonie admirable entre l’invention psychologique de Corneille, et l’histoire réelle des âmes de ce temps-là : même les femmes sont peu féminines ; leur vie intérieure est plus intellectuelle que sentimentale.

345. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

La psychologie, naturellement, est moins intérieure, plus sommaire ; les passions, bizarres parfois en leurs effets, ou monstrueuses, sont élémentaires en leur principe. […] Sa doctrine lui disait — et son tempérament ne protestait pas contre sa doctrine — que l’observation scientifique est extérieure, non intérieure. […] L’impersonnalité du savant n’a jamais été son fait : mais il a su objectiver sa sensation, remonter à la cause extérieure de son émotion, et, domptant le frémissement intérieur de son être, que l’on sent toujours et qui prend d’autant plus sur nous, il s’est appliqué à noter exactement l’objet dont le contact l’avait froissé ou caressé.

346. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Et donc, aujourd’hui comme hier, pénétrer dans les replis les plus intimes de l’âme, atteindre à la formule de cette somme d’impressions monochromes et diverses, qui s’alignent en synchroniques théories de contrastes dans les vallées de notre for intérieur et en constituent l’ordre normal, reste une tâche inouïe. […] * *  * Ce n’aura pas été le moindre prestige de cette physionomie complexe et si riche, que de s’être comme à demi idéalisée dans d’inappréciables persévérances méditatives, grâce auxquelles ce qu’elle a longtemps exprimé d’une vie intérieure aussi aride que résignée, a pu tout à coup nous apparaître susceptible d’une indéfinie perfectibilité. […] Tenir à cette formule quand, loin de ramener à soi la vie même de l’individu, elle exprime, presque traîtreusement, la somme de nos expériences, et s’impose si désolément à nous comme le principe et la fin de notre raison de durer, et y tenir par égard pour son identité avec nos modalités intérieures, ne serait-ce donc que donner crédit à la menace de prédestination dont s’oppresse le sentiment de notre personnalité ?

347. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

L’Église est ainsi, durant tout le xive  siècle, victime de ses dissensions intérieures qui la mettent à la merci de ses adversaires. […] Même transformation dans l’emplacement de la scène : le théâtre est d’abord l’intérieur de l’église, puis le porche, puis une place publique. […] La religion ainsi comprise n’est pas un principe de vie intérieure, de perfectionnement moral, d’amour pour ses semblables.

348. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Camille est radieuse : la lune de miel baigne de sa clarté ce calme intérieur. […] Au second acte, nous sommes chez le tuteur de mademoiselle de Birague, le comte de Prévenquières, un bonhomme affolé de géographie, qui vit retiré dans l’intérieur d’un globe terrestre, tandis que sa femme, veuve d’un agent de change, fille avec d’Estrigaud le dernier nœud d’une liaison flottante. […] Pierre Champlion, un voyageur de la trempe des Backer et des Livingstone, un Christophe Colomb de trente ans, qui a découvert des mines d’or dans l’intérieur de l’Afrique et qui en revient sain et sauf, après des traversées et des aventures à remplir tout un roman de long cours.

349. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Vie intense, en effet, sera celle de l’artiste, car « on ne donne après tout la vie qu’en empruntant à son propre fonds… Produire par le don de sa seule vie personnelle une vie autre et originale, tel est le problème que doit résoudre tout créateur5. » La caractéristique du génie est donc, pour Guyau, « une sorte de vision intérieure des formes possibles de la vie », vision qui fera reculer au rang d’accident la vie réelle. […] Pour bien comprendre un artiste, dit Guyau, il faut se mettre « en rapport » avec lui, selon le langage de l’hypnotisme ; et, pour bien saisir les qualités de l’œuvre d’art, il faut se pénétrer si profondément de l’idée qui la domine, qu’on aille jusqu’à l’âme de l’œuvre ou qu’on lui en prête une, « de manière à ce qu’elle acquière à nos veux une véritable individualité et constitue comme une autre vie debout à côté de la nôtre. » C’est là ce que Guyau appelle la vue intérieure de l’œuvre d’art, dont beaucoup d’observateurs superficiels demeurent incapables. […] Le vrai roman réunit donc en lui tout l’essentiel de la poésie et du drame, de la psychologie et de la science sociale ; c’est « de l’histoire condensée et systématisée, dans laquelle on a restreint au strict nécessaire la part des événements de hasard, aboutissant à stériliser la volonté humaine ; c’est de l’histoire humanisée en quelque sorte, où l’individu est transplanté dans un milieu plus favorable à l’essor de ses tendances intérieures.

350. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Aux ballades vulgaires, il prit la simplicité, la brièveté, le tour naïf et pénétrant de ces petites épopées, la malle émotion, les légendes pieuses et charmantes, et, comme la chanson populaire, il sait décrire en quelques couplets lyriques, des scènes d’intérieur mystérieuses ou souriantes, ayant le relief, les ombres profondes et la lumière blondissante des vieilles eaux-fortes : Il pleut, il vente et il neige. […] C’était là, chez le poète, une condition organique, comme une faiblesse et une délicatesse trop grande du cerveau pour qu’il persistât dans un état violent, comme une légèreté vibrante de l’équilibre intérieur qu’affolaient les secousses vives. […] Mais cette diversité de sentiments préserva d’autre part Heine d’en être totalement envahi, l’état de sa conscience, ce qui constituait son moi, variant sans cesse il fut amené comme toutes les personnes qui ont une vive activité intellectuelle, beaucoup (le pensées, beaucoup de volonté, à éprouver, connaître, distinguer ces changements intérieurs, à s’analyser particulièrement dans ses sentiments, et à en diminuer ainsi non seulement l’intensité, mais la franchise, la vérité, un sentiment n’étant véritable que quand on n’a pas la liberté d’esprit de le discerner, c’est-à-dire de nouveau quand on en a peu et de durables.

351. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Philarète Chasles I Galileo Galilei, sa vie et son procès ; Virginie de Leyva, ou Intérieur d’un couvent de femmes en Italie au xviie  siècle [I-III]. […] L’ouvrage qui lui fait pendant sous la vitrine de l’éditeur, cet autre premier livre qui dérive du second, et que Chasles invoque trente-six fois comme une autorité dans son Galileo Galilei, cette Virginie de Leyva ou Intérieur d’un couvent d’Italie au commencement du xviie  siècle (titre affriolant), fera-t-il mieux les affaires de la Libre-Pensée, et Chasles y mettra-t-il mieux sa perruque pour ressembler à Stendhal ? […] une espèce de sorcier « évoquant par une sorcellerie intérieure des réalités qu’il fausse »… Il représente « non pas des hommes, mais des forces »… « Il n’y a pas dans Balzac de moralité qui distingue l’affreux libertin dans la vieillesse, Hulot, du noble honnête homme ; le coquin déhonté, le hideux intrigant, Vautrin, l’homme du bagne, du pauvre Lambert ; la vile courtisane, de la vierge mystique et chaste. » J’ai copié textuellement, car un pareil mensonge de fait, qu’on réfute en ouvrant seulement Balzac, on aurait pu me l’imputer.

352. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

Il manque à leurs idées sociales une maîtresse pièce de l’égalitarisme tel que nous l’avons défini : et c’est le sentiment de la valeur propre à l’individu, le respect du for intérieur, le culte de la liberté personnelle. — Or, l’étroitesse même de leur cercle d’action n’est-elle pas une des raisons pour lesquelles le trait essentiel des républiques d’aujourd’hui fait défaut à la république d’autrefois ? […] La religion chrétienne, remarque Laboulaye, en émancipant les consciences, propageait le culte du for intérieur, ou encore, comme le note B.  […] L’élargissement des mœnia mundi conduit les hommes au respect du for intérieur : les fins dernières deviennent les fins intimes.

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