A tout instant on l’entendait dire : je suis allée ici ; je me suis rendue là.
Le point précis que Bernis avait cru pouvoir saisir pour rentrer dans la voie des négociations pacifiques, avant de plus grands revers qu’il prévoyait, était donc vers janvier et février 1758 ; il avait cru trouver je ne sais quel instant unique « que la sagesse lui montrait du bout du doigt », et qui fut manqué, il commençait cette année 1758 avec les plus noires prévisions, trop tôt justifiées : Nous allons jouer le plus gros jeu du monde. […] Et puis Bernis conclut par quelques mots, ou du moins il rend justice au génie, si plein de ressort, de la race française : « Il faudrait changer nos mœurs, s’écrie-t-il, et cet ouvrage, qui demande des siècles dans un autre pays, serait fait en un an dans celui-ci, s’il y avait des faiseurs. » Cette remarque est profondément vraie, en l’appliquant je ne dis pas aux mœurs, mais aux sentiments et à l’esprit de notre nation, qu’on a vue plus d’une fois se retourner tout d’un coup et en un instant sous une main puissante. […] Quant à l’état de la France en ces funestes années et en ces pires instants de Louis XV, les lettres de Bernis sont une révélation bien triste, et il est honorable pour lui d’avoir du moins ressenti et exprimé tout le premier cette profonde tristesse qu’elles sont faites pour communiquer encore aujourd’hui.
Si folâtre est le rayon lancé à travers les branches, qu’il danse lorsqu’elles dansent elles-mêmes ; ombre et lumière s’entremêlant dans un réseau rapide, et obscurcissant ou illuminant, au gré des feuilles qui se jouent, chaque point du sol, à chaque instant. […] qu’il est doux, disait-il quelque part, dans la retraite (d’un soir d’hiver), à travers le trou de sa serrure, de guetter le monde tel qu’il est fait, de voir tout le remuement de cette Babel et de ne point sentir la foule. » Mais il avait trop de sensibilité, de patriotisme, de mouvements humains et chrétiens pour en restera cet état de spectateur amusé, et il s’échappait à tout instant en élancements et en effusions douloureuses qui peuvent sembler aujourd’hui toucher à la déclamation, mais qui, à les bien prendre et à les saisir dans leur jet, étaient surtout des à-propos éloquents. […] Ces jolis tableaux achevés, et qui trouveraient chez Delille plus d’un pendant bien spirituel aussi, quoique d’une exécution moins sûre, ne sont pas ce que j’aime le mieux chez Cowper, et je le préfère lorsque ayant achevé l’énumération de tout ce qui s’agite de nouvelles publiques et privées entassées pêle-mêle dans le sac du facteur, il ajoute : « Maintenant attisez le feu et fermez bien les volets ; laissez tomber les rideaux, roulez et approchez le sopha ; et tandis que l’urne bouillonnante et sifflante fait monter sa colonne de vapeur, et que les coupes qui réjouissent, mais n’enivrent pas, sont là préparées pour chacun, donnons ainsi la bienvenue et l’accueil au soir paisible qui descend. » Dans l’emploi de la soirée qu’il va suivre en ses plus menus détails et dont il fait luire chaque instant à nos yeux, il se souvient d’Horace : « Ô soirées et soupers dignes des dieux !
Suis-je meilleur, suis-je plus vertueux qu’un instant auparavant où j’étais dans le tumulte et l’agitation ? […] Il compromet à tout instant le résultat de cette observation par je ne sais quoi de mou et d’incertain. […] Quoiqu’il se soit laissé faire et qu’il n’ait jamais refusé les fonctions publiques, tous ses penchants, toutes ses qualités étaient pour la vie privée : « Les goûts simples qui s’allient avec les études abstraites donnent une sorte de candeur, de timidité, qui fait aimer la vie domestique. » N’ayant de valeur que dans la solitude ou dans un cercle intime qui l’appréciait, et où ses facultés reluisent quelques instants, son état habituel, au sein d’une grande assemblée, tout le temps qu’il en fut membre, était un état de timidité et de crainte : Je me sens plus faible, disait-il, au milieu de tant d’hommes forts ; je ne me mets pas en rapport avec eux : je cesse d’être moi sans me confondre avec les autres.
Et puis, il faut l’avouer, un chef d’état-major qui a, à chaque instant, un avis personnel, peut à la longue devenir contrariant et incommode, surtout si l’on ne réussit pas. […] je ne serais pas réduit aujourd’hui à détester la vie, à maudire jusqu’aux faibles rayons de gloire que ma carrière m’a laissé entrevoir un instant. […] Les hommes qui en valent la peine ne se jugent point d’un coup d’œil ni en un instant ; et, comme l’a dit le grand poète persan Sadi : « Ce n’est qu’en laissant s’écouler un long espace de temps que l’on arrive à connaître à fond la personne qu’on étudie. » Ce devrait être la devise de toute biographie sérieuse.
On ne saurait trop se défier de ces mirages du passé ou de l’éloignement : ils faussent à chaque instant l’opinion qu’une moitié de l’humanité se fait de l’autre moitié. […] Peut-on supposer un instant que le Shakespeare atténué, affadi, édulcoré par la sage traduction de Letourneur, ait eu la même répercussion sur les âmes que le monstre en liberté qui crie et rugit dans celle de François-Victor Hugo ? […] Chacune d’elles, dans ses instants de rayonnement plus intense, répand sur le monde des idées qu’elle a marquées de son empreinte ; chacune, dans ses intervalles d’obscurcissement relatif et de reploiement sur elle-même, repense, mûrit, amende, perfectionne ce qu’elle a reçu des quatre coins du globe.
» Elle, c’est être aimée qu’elle veut, ou plutôt c’est aimer, dût-elle ne pas être payée de retour : « Vous ne savez pas tout ce que je vaux ; songez donc que je sais souffrir et mourir ; et voyez après cela si je ressemble à toutes ces femmes, qui savent plaire et s’amuser. » Elle a beau s’écrier par instants : Oh ! […] Voici une de ses lettres en deux lignes, et qui en dit plus que toutes les paroles : De tous les instants de ma vie (1774). […] Cette pensée soulève mon âme, je m’en détourne. » Le repentir, la haine, la jalousie, le remords, le mépris de soi et quelquefois de lui-même, elle éprouve en un instant tous les tourments des damnés.
À la manière dont il parle « de cet horrible dégoût de soi-même, qui ne nous laisse d’autre désir que celui de cesser d’être », on voit que si cette âme calme et supérieure n’a jamais été atteinte du mal des Rousseau, des Werther et des futurs René, elle n’a pas été sans le reconnaître et sans le dénoncer à sa source : « Dans cet état d’illusion et de ténèbres, dit-il, nous voudrions changer la nature même de notre âme ; elle ne nous a été donnée que pour connaître, nous ne voudrions l’employer qu’à sentir. » Le vrai sage, selon lui, est celui qui sait maîtriser ces fausses prétentions et ces faux désirs : Content de son état, il ne veut être que comme il a toujours été, ne vivre que comme il a toujours vécu ; se suffisant à lui-même, il n’a qu’un faible besoin des autres, il ne peut leur être à charge ; occupé continuellement à exercer les facultés de son âme, il perfectionne son entendement, il cultive son esprit, il acquiert de nouvelles connaissances, et se satisfait à tout instant sans remords, sans dégoût, il jouit de tout l’univers en jouissant de lui-même. […] Ainsi, parlant de la fauvette babillarde, de cet oiseau au caractère craintif et si prompt à s’effrayer, il dira : Mais l’instant du péril passé, tout est oublié, et le moment d’après notre fauvette reprend sa gaieté, ses mouvements et son chant. C’est des rameaux les plus touffus qu’elle le fait entendre ; elle s’y tient ordinairement couverte, ne se montre que par instants au bord des buissons, et rentre vite à l’intérieur, surtout pendant la chaleur du jour.
À travers le déroulement d’une composition lâche, interrompue à chaque instant par l’histoire antérieure des personnages, sous la banalité des incidents, le train des passions ordinaires et des humbles destinées, M. […] La même fièvre qui le rend éloquent, riche en idées, habile à apercevoir les mille faces d’une théorie, tue sa personnalité, le fait échouer dans toutes ses tentatives, modifier à chaque instant sa route, et rouler d’avortement en avortement, sollicité par toutes les déterminations possibles, incapable de se cantonner en aucune. […] Encore un instant, et soulevé par le dos du monstre, la barque va chavirer.