/ 1766
551. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Mais c’est garder trop pieusement un legs de ce moyen âge chrétien qui plaça son idéal dans la vie monastique, glorifia le célibat, l’imposa aux prêtres, le conseilla comme le plus sûr moyen de gagner le paradis. […] Ainsi s’achève, dans cette fidèle affection des chevaliers pour les instruments de leur gloire, cet idéal de vertu militaire dont la réalité a fourni les premiers traits aux trouvères, auteurs de nos vieilles chansons de geste. […] Les poètes comiques, qui à toute époque se chargent de faire saillir le désaccord existant entre l’idéal et la réalité, se moquent du personnage accepté comme modèle ; ils font la parodie ou la satire des héros qui sont déplacés dans un milieu nouveau.

552. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

Puis au second plan, dans ces quatre têtes, cette figure indéfinissable, au sourire errant sur les lèvres, cette figure au grand chapeau gris, mélange de gentilhomme et de bouffon, héros étrange d’une comédie du Ce que vous voudrez ; et à côté, cette espèce de gnome et de pitre idéal, qui semble glisser à son oreille les paroles des confidents comiques de Shakespeare… Shakespeare ! […] On pourrait dire de sa Laitière, que c’est l’idéal cherché par Chardin. […] ” » Là-dessus il nous parle de Sœur Philomène, disant que seules ont de la valeur, les œuvres venant de l’étude de la nature, qu’il a un goût très médiocre pour la fantaisie pure, qu’il prend peu de plaisir aux jolis contes d’Hamilton ; qu’au reste, cet idéal dont on parle tant, il n’est pas bien sûr que les anciens s’en soient préoccupés, qu’il croit au contraire que leurs œuvres étaient des œuvres de réalité, — que peut-être seulement ils travaillaient d’après une réalité plus belle que la nôtre.

553. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Elle s’aiguise d’une fine ironie, lorsqu’elle touche quelques-uns de nos travers : une douce et noble chaleur anime les endroits où l’idéal du bien nous est proposé. […] L’homme absolu se fait un système et veut le réaliser sans délai : l’homme pratique a un but moins idéal et plus voisin ; il tourne les obstacles, quand il ne peut les franchir, et subordonne toutes ses pensées à la fin prochaine qu’il veut atteindre. […] Le marbre, la toile, le papier, empreints de la pensée de l’artiste, deviennent comme les signes vivants qui communiquent à l’âme des autres hommes l’idéal divin de la beauté.

554. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Or, on peut concevoir sans doute, comme une limite idéale, une mémoire et une perception désintéressées ; mais, en fait, c’est vers l’action que perception et mémoire sont tournées, c’est cette action que le corps prépare. […] Le réalisme naïf fait de cet espace un milieu réel où les choses seraient en suspension ; le réalisme kantien y voit un milieu idéal où la multiplicité des sensations se coordonne ; mais pour l’un et pour l’autre ce milieu est donné d’abord, comme la condition nécessaire de ce qui vient s’y placer. […] En fait, la perception « pure », c’est-à-dire instantanée, n’est qu’un idéal, une limite.

555. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

En général, le procédé de critique qu’il applique en toute branche d’étude, et qu’il a élevé jusqu’à l’art, est celui-ci : Il s’attache à tirer la formule, l’idée, l’image abrégée de chaque pays, de chaque race, de chaque groupe historique, de chaque individu marquant, pour l’admettre à son rang, à son point, dans cette représentation idéale que porte avec elle l’élite successive de l’humanité. […] Certes, l’homme qui s’exprime ainsi n’est pas irréligieux : il me paraîtrait même conserver et introduire dans sa conclusion dernière une légère part de mysticisme ou d’indéterminé sous le nom d’idéal ; et je serais plutôt tenté, quand je considère l’histoire du monde, la vanité de notre expérience, la variété et le recommencement perpétuel de nos sottises ; quand je viens à me représenter combien de lacunes en effet dans ce cabinet des types et échantillons qu’il appelle magnifiquement la conscience du genre humain, combien de pertes irréparables et que de hasard dans ce qui a péri et ce qui s’est conservé, combien d’arbitraire et de caprice dans le classement de ce qui reste, et que ce restant dont nous sommes si fiers, si l’on excepte les tout derniers siècles qui nous encombrent, et dont, nous regorgeons, n’est, en définitive, qu’un trésor composé d’épaves comme après un naufrage ; — quand je me représente toutes ces interruptions, ces oublis, ces brusqueries et ces croquis de souvenirs, ces ignorances complètes ou ces à-peu-près, et à vrai dire, ces quiproquos qui ne sauraient pourtant revenir tout à fait au même, — je serais, je l’avoue, plutôt tenté de trouver que M. 

556. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Je ne puis m’empêcher de mettre en regard des stations idéales de Veyrat à cette royale abbaye le récit qu’a tracé Pierre Leroux d’une visite au même monastère, récit charmant, fin, ironique, auquel je renvoie les curieux53. […] Le poëte prend son parti du labeur et de la peine que tout noble effort suppose, surtout quand il s’agit d’associer des contraires, de ne rien sacrifier, de ne verser d’aucun côté, de ne donner ni dans un idéal trop subtil et trop froid, ni dans une matière trop sensuelle et trop colorée.

557. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Le Brun aimait les grandes existences à part : celle de Buffon dut le séduire, et c’était encore un idéal qu’il eût probablement aimé à réaliser pour lui-même. […] Cette charmante mythologie que le xviie  siècle avait défigurée en l’adoptant, et dont le jargon courait les ruelles, il la recompose, il la rajeunit avec un art admirable ; il la fond merveilleusement dans la couleur de ses tableaux, dans ses analyses de cœur, et autant qu’il le faut seulement pour élever les mœurs d’alors à la poésie et à l’idéal.

558. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

Par ses innombrables légendes de saints, par ses cathédrales et leur structure, par ses statues et leur expression, par ses offices et leur sens encore transparent, il a rendu sensible « le royaume de Dieu », et dressé le monde idéal au bout du monde réel, comme un magnifique pavillon d’or au bout d’un enclos fangeux7. […] Pour la seconde fois, une figure idéale se dégage9 après celle du saint, celle du héros, et le nouveau sentiment, aussi efficace que l’ancien, groupe aussi les hommes en une société stable.

559. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Le mathématicien qui crée lui-même la matière de ses spéculations et considère des objets idéaux, développe les conséquences des principes qu’il a posés, et procède par déduction. […] Elle est toute de convention, et elle n’a assurément pas plus de vérité que celle de l’Allemand naïf, à la tête carrée, aux grands pieds et à la longue pipe, buvant des chopes et dissertant sur l’idéal et l’infini, se gavant de choucroute et volant des pendules, pour être, en fin de compte, roué de coups par un sous-officier imberbe4. » On se tiendra donc en garde contre de pareilles tentations, et avant de faire aucune induction, avant de poser une loi ou une règle, avant de rien généraliser, on s’assurera qu’on travaille bien sur une réalité, et non sur un fantôme, que les faits d’abord existent ; on aura soin ensuite de ne rien négliger dans les faits qu’on aura reconnus, de tenir compte de tous les éléments qui les composent, de n’y rien ajouter ni retrancher arbitrairement.

/ 1766