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615. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

J’ai dit que la matière unique de l’activité intellectuelle de ce siècle, c’était l’homme, l’humanité considérée du point de vue le plus général. Avant ce siècle, ainsi qu’il résulte des livres tant savants qu’écrits en langue vulgaire, l’idée de l’humanité est à peine touchée ; et, dans cette universelle préoccupation du présent, elle ne paraît guère qu’un souvenir involontaire qui se glisse parmi les pensées données aux choses contemporaines. […] L’idée de l’humanité n’est plus une tradition confuse : c’est l’occupation même et la vie des intelligences.

616. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

À vrai dire le fait que la plupart des hommes appartiennent à la fois à deux collectivités tout au moins, dont l’une est d’origine nationale et l’autre d’origine économique, est la cause qui jette tant de trouble et de complexité dans les rapports sociaux à presque toutes les périodes de l’humanité. […] D’une façon générale, il apparaît que l’idée qui, dans sa pureté, allait à renier le monde, concluait au renoncement des biens terrestres, proclamait la fraternité humaine, l’égalité de tous et la vanité des différences, tenait en mépris l’effort intellectuel et la recherche scientifique, condamnait l’attachement à la beauté des formes, des mots et des sons, a donné naissance, avec le monde moderne qu’elle a créé, à l’organisation de la propriété, au développement de la richesse, à la constitution des hiérarchies, à un labeur inouï de l’humanité occidentale pour s’emparer des forces de la nature, à un accroissement des besoins, à une culture scientifique, dont le monde antique n’a pas approché, ainsi qu’à des formes d’art nouvelles et d’une égale beauté. […] C’est là un premier cas d’un Bovarysme nominal : l’idée se montre ici déformée, conçue autre qu’elle n’est par toute la part de l’humanité qui a constitué le monde occidental moderne.

617. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Je ne sais pas, après avoir vu ça, comment on a le courage de parler au public… Le livre, l’homme en prend au moins connaissance dans la solitude, mais la pièce, elle est appréciée par une masse d’humanité réunie, une bêtise agglomérée. » Puis lâchant le théâtre, après un silence où il reste un moment perdu dans ses réflexions, il s’écrie : « Ah ! […] Et les choses prenant un rôle plus grand que les êtres, — et l’amour, l’amour déjà un peu amoindri dans l’Œuvre de Balzac par l’argent, — l’amour cédant sa place à d’autres sources d’intérêt ; enfin le roman de l’avenir appelé à faire plus l’histoire des choses qui se passent dans la cervelle de l’humanité que des choses qui se passent dans son cœur. […] Il n’est plus un homme, mais un pur esprit, que rien, rien au monde, ne semble rattacher à l’humanité.

618. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Puis cette négation, ce doute de tout, choque les illusions de tous, ou du moins celles que tous affichent : le contentement de l’humanité qui suppose le contentement de soi, — cette paix de la conscience humaine, que le bourgeois affecte de donner comme la paix de sa conscience particulière. […] 2 août Par la littérature qui court, c’est vraiment un noble type littéraire que ce Saint-Victor, cet écrivain dont la pensée vit toujours dans le chatouillement de l’art ou dans l’aire des grandes idées et des grands problèmes, couvant de ses amours et de ses ambitions voyageuses la Grèce d’abord, puis l’Inde qu’il vous peint sans l’avoir vue, comme au retour d’un rêve haschisché, et poussant sa parole, ardente et emportée et profonde et peinte, autour de l’origine des religions, parmi tous les grandioses et primitifs rébus de l’humanité : curieux des berceaux du monde, de la constitution des sociétés, pieux, respectueux, son chapeau à la main devant les Antonins, qu’il appelle le sommet moral de l’humanité, et faisant son évangile de la morale de Marc-Aurèle, ce sage et ce si raisonnable maître du monde.

619. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

Mardi 17 avril On parlait, ce soir, de l’implacabilité allemande, de l’impossibilité de parler à l’humanité de ces hommes, fermés et inaccessibles. […] Mercredi 4 juillet L’homme célèbre, qui dévoile une humanité bonasse aux gens, avec lesquels le hasard le met en rapport, perd de son prestige. […] Mercredi 18 juillet Il y a longtemps que je ne me suis mêlé, dans un lieu public, à l’humanité parisienne.

620. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Il est la grande loi dure de l’humanité. […] Elle a quitté le monde pour soutenir un peu d’humanité chancelante, oublieuse, fatiguée de la route. […] On acquiert, entre autres, la certitude qu’il y a parmi les ouvrières, à côté des vices, des travers, des imperfections propres à leur condition ou communes à l’humanité, des trésors d’énergie, de délicatesse et de poésie.

621. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Une source de jouissances nouvelles s’ouvre pour une plus large humanité. […] Évolution heureuse, et qui nous rappelle cette vérité, parfois méconnue, que les hommes ne sont pas seulement des esprits songeurs et des âmes repliées, mais des âmes pensantes dans des corps agissants, enveloppés les uns et les autres par l’humanité vivante et par la nature. […] En somme, ce qu’on peut dire des deux volumes de voyages de Fromentin, c’est qu’ils sont d’une exacte vision ; modernes par le procédé de style ; qu’ils renferment quelques belles pages, mais aussi beaucoup de passages et de chapitres même où la distinction de la forme cache mal l’absence de mouvement, de vie et de large humanité.

622. (1924) Critiques et romanciers

Le naturalisme est bien inhumain : car il défait ce travail de l’humanité entière. […] Paul Bourget cite volontiers Le Play, qui disait que la paix sociale était le chef-d’œuvre de l’humanité. […] La barbarie n’est pas un état ancien, périmé, aboli, de l’humanité, mais un état permanent. […] Cependant, il maintient comme vraies et la peinture qu’il a faite de l’humanité, fût-ce de l’humanité française — « faiblesses, bas instincts de lucre, tares honteuses » — et l’espérance que l’humanité s’améliore. […] Il n’affirme pas non plus que l’humanité soit toute analogue aux échantillons qu’il en offre.

623. (1897) Aspects pp. -215

GRYMALKIN L’humanité ne peut pas se reposer. […] Et justement parce qu’ils le savent, ils incarnent l’admirable Malice de l’humanité. […] Loin plus bas grouillent « les vagues humanités ». […] Contre les paladins de l’Idéal, qui accommodaient l’humanité à la sauce bleu-ciel, il dressa la science. […] Enfin l’humanité sans frontières, sans guerres possibles, l’humanité vivant du juste travail, dans la communauté universelle de tous les biens. » Tel est ce livre remarquable, un des plus pensés de M. 

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