Un jour viendra où dans le calme on examinera ces nombreuses discussions enfantées au milieu du tumulte et de l’effervescence de l’esprit de parti, et l’on fera paisiblement un choix éclairé de résultats utiles à l’humanité. […] La Révolution a de même hâté la marche de l’esprit ; mais cet avantage ne sera jamais la compensation de la millième partie des désordres et des barbaries qui ont fait gémir l’humanité, et quand la plus grande prospérité devrait un jour découler de cette sanglante source, je dirais toujours avec Publius Syrus : « Abominandum remedii genus debere salutem morbo. […] Ce Saint-Alban père a la passion de l’indépendance ; à peine maître de lui-même, dès sa jeunesse, il s’est affranchi de la gêne des devoirs de la société et s’est livré à un goût raisonné pour le plaisir, avec un petit nombre d’amis ou de complaisants qui formaient une petite secte de philosophes épicuriens dont il était le chef : Le goût des plaisirs, le mépris des hommes, et l’amour de l’humanité et de tous les êtres sensibles, formaient la base de leur système ; mon père (c’est son fils qui parle) méprisait les hommes en théorie par-delà ce qu’on peut imaginer, et cédait à chaque instant à un sentiment de bienveillance et d’indulgence qui embrassait les plus petits insectes.
Les études littéraires refleurissaient depuis la fin du xive siècle : les humanités faisaient une concurrence, modeste encore, mais réelle, à la logique. Guillaume Fichet à la Sorbonne, Robert Gaguin aux Mathurins, d’autres aux Bernardins, à Navarre, enseignaient larhétorique, et la Faculté, en 1489, assigna une heure dans l’après-dîner aux poètes, c’est-à-dire aux maîtres des humanités. […] Mais à la Renaissance religieuse, à la Réforme, il faut rendre les inquiétudes morales, la revendication pour le fidèle du droit d’interpréter l’Écriture, et certain effort sensible pour ramener vers le doux Rédempteur et le Père incompréhensible le culte un peu trop détourné au moyen âge sur l’humanité plus prochaine de la Vierge.
Et ces êtres vulgaires, formes dégradées de l’humanité, nous blessent dans notre amour-propre ; ils nous affligent, et nous les méprisons : pourtant ils sont si réels, si vivants, ils souffrent avec une si énergique intensité, qu’ils prennent droit de représenter la pauvre humanité, et qu’un peu de notre pitié, une pitié loyalement, rudement gagnée par eux sans complaisance ni tricherie de l’auteur, adoucit nos dégoûts, notre tristesse et notre révolte. […] Tout l’intérêt va aux manifestations extérieures par lesquelles cette humanité lointaine se représente à nous, formes de meubles ou de palais, formes de sentiments ou d’actes.
Il est manifeste que, pour avoir été replacés en face de la même impossibilité de contrôler, dans la pratique, la métrique des impressions, et d’en fixer la modalité, en deçà comme au-delà des événements, nous nous rendons mieux compte que l’esprit humain transforme tout en idées ; que c’est là le plus sûr résultat de notre supériorité spécifique ; que ce résultat même indique combien nous voyons les choses d’une certaine manière, qui n’est pas la vraie, tant s’en faut ; qu’enfin nous devons uniquement à notre besoin de connaître, de nous être attribué un droit de savoir, dont l’expression est aussi caractéristique de notre humanité qu’elle restera accablante pour notre enfantine insoumission. […] Et ne serait-ce qu’en artiste épris d’harmonie, il voudrait que l’humanité marchât vers la paix, et son sens de la chose distinguée ne peut renoncer à l’espoir de voir la société s’éprendre d’une moyenne normale de faits moraux. […] France, aussi délicieusement puéril, dans sa bonhomie d’écrivain notoire, que finement éclairé, à sa mesure, du sourire d’ironie qui a plissé les lèvres de Voltaire, et peut-être des lèvres plus antiques, et d’humanité moins complexe, celles, non d’Épicure, mais de Pyrrhon ?
Toutes les formes de la vie et de l’humaine nature se rencontrent dans Gil Blas, — toutes, excepté une certaine élévation idéale et morale, qui est rare sans doute, qui est jouée souvent, mais qui se trouve assez réelle en quelques rencontres pour ne pas devoir être tout à fait omise dans un tableau complet de l’humanité. […] Le juge le plus compétent en pareille matière, Walter Scott, a très bien caractérisé l’espèce de critique vive, facile, spirituelle, indulgente encore et bienveillante, qui est celle de Gil Blas : « Cet ouvrage, dit-il, laisse le lecteur content de lui-même et du genre humain. » Certes, voilà un résultat qui semblait difficile à obtenir de la part d’un satirique qui ne prétend pas embellir l’humanité ; mais Lesage ne veut pas non plus la calomnier ni l’enlaidir ; il se contente de la montrer telle qu’elle est, et toujours avec un air naturel et un tour divertissant. […] Il sait que l’humanité, en changeant d’état, ne fera que changer de forme de sottise.
Les chapitres documentés de l’humanité la plus saisie sur le vif, n’ont pas l’air de porter. […] Il s’excuse, avec une certaine vivacité, de s’être laissé aller à faire cet article, par un entraînement du premier moment, qu’il ne comprend plus, disant que dans ce livre, tout est blague, mensonge, ajoutant qu’il n’y a aucune étude de l’humanité, et répétant deux ou trois fois, avec une espèce, de colère comique. « Pour moi, Vallès n’est pas plus qu’un grain de chènevis… Oui là, pas plus qu’un grain de chènevis ». […] * * * — Moi, il n’y a que les Parisiens qui m’intéressent… Les provinciaux, les paysans, tout le reste de l’humanité, enfin, c’est pour moi de l’histoire naturelle.
De même encore, en psychologie générale, il faut admettre un principe d’individuation, qui crée à mesure les types humains et, entre autres, les types des artistes et des héros, — et un principe de répétition qui agrège et soulève l’humanité à ces protagonistes, principe qui se ramène, nous l’avons vu, à une constatation ressentie de ressemblance entre les exemplaires et les adhérents. […] La critique scientifique des œuvres d’art par un système d’interprétation de signes que nous avons exposé, dresse en pleine lumière des hommes formant l’une des deux phalanges qui résument en elles toute l’humanité et la représentent. Si l’on conçoit la suite des sciences qui, prenant la matière organique à ses débuts, dans les cornues des chimistes ou l’abîme des mers, en conduisent l’étude à travers la série ascendante des plantes et des animaux, jusqu’à l’homme, le décrivent et l’analysent dans son corps, ses os, ses muscles, ses humeurs, le dissèquent dans ses nerfs, sa moelle, son cerveau, son âme enfin et son esprit ; si, abandonnant ici l’homme individu, on passe à la série des sciences qui étudient l’être social, de l’ethnographie à l’histoire, on verra que ces deux ordres de connaissances, les plus importantes sans aucun doute, et celles auxquelles s’attache l’intérêt le plus prochain, se terminent en un point où ils se joignent : dans la notion de l’homme individu social, dans la connaissance intégrale, biologique, physiologique, psychologique de l’individu digne de marquer dans la société, constituant lui-même par ses adhérents et ses similaires un groupe notable, propageant dans son ensemble particulier ou dans l’ensemble total, ces grandes ondes d’admirations, d’entreprises, d’institutions communes qui forment les États et agrègent l’humanité.
Et d’abord, pour procéder régulièrement à l’immolation définitive du préjugé révolutionnaire, Cassagnac commence son histoire par se demander si la Révolution a été la conséquence nécessaire de principes existant bien longtemps avant elle dans la pensée de l’humanité. […] Si l’expérience et l’observation ne lui avaient enseigné la consubstantialité des hommes et des choses dans les manifestations de l’histoire, s’il n’avait pas vu qu’à tous les âges du monde les hommes qui ont trempé au plus profond d’une époque, qui en occupèrent les avenues et les hauteurs, laissent sur elle l’éclatant honneur ou l’éclatante infamie de leur caractère ou de leurs passions, — de leur humanité, enfin, qu’elle ait été vertueuse ou scélérate, — il se serait épargné, et à nous aussi, l’inutile détail de ces consciences corrompues, de ces personnalités abjectes, de toutes ces grandeurs apocryphes qui, quand on les touche d’un doigt ferme, se rétractent en de honteuses politesses ou coulent en fange sur la main. […] Il a bien vu que, malgré les prétentions d’une philosophie qui, si on la laisse faire, est en train de fausser le sens commun de l’humanité pour des siècles, ce qu’on appelle la Révolution Française, comme tous les grands événements, se résumera en quelques noms propres, — le seul signe que, pour des raisons très profondes, les hommes connaissent des plus grandes choses, — et alors il a regardé sous ces noms ceux qui les portent, et, en agissant ainsi, je le dis en lui battant des mains, il a éventré la Révolution jusque dans le cœur de ceux qui la voulurent et les cerveaux de ceux qui la pensèrent, confondant à dessein en une même condamnation les hommes et les faits, souillés réciproquement les uns par les autres, et traînant le tout à des gémonies éternelles dans le pêle-mêle du mépris.
Il y avait les plus hautes relations et les plus magnifiques analogies à tirer de la fonction du juge suprême exercée par Celui qui a parcouru tous les rangs de l’humanité, depuis le fils de roi jusqu’à l’esclave qui lave les pieds et le condamné mis en croix, et qui, pendant dix-huit ans de sa vie mortelle, fut charpentier comme Noé et comme Salomon, ces préparateurs figuratifs de l’arche de salut. […] Pommier n’a, lui, qu’un personnage dans tout son poëme, mais ce héros, c’est la Foule, c’est le Monde, c’est l’Humanité. […] Quand il prend un à un, avec un détail prodigieux et une verve qui vous enlève dans son tourbillon, tous les coupables de l’humanité, et qu’il les dénombre, les démasque et les rejette de la face de Dieu, comme disent les Saints Livres, — il a vraiment dans l’expression la pointe acharnée du glaive de flammes torses de l’Archange.