Ce livre est celui que Lesage refera et recommencera dans la suite en cent façons sous une forme ou sous une autre, le tableau d’ensemble de la vie humaine, une revue animée de toutes les conditions, avec les intrigues, les vices, les ridicules propres à chacune. […] L’auteur, dans ce récit étendu, développé et facile, a voulu représenter la vie humaine telle qu’elle est, avec ses diversités et ses aventures, avec les bizarreries qui proviennent des jeux du sort et de la fortune, et surtout avec celles qu’y introduit la variété de nos humeurs, de nos goûts et de nos défauts. […] Toutes les formes de la vie et de l’humaine nature se rencontrent dans Gil Blas, — toutes, excepté une certaine élévation idéale et morale, qui est rare sans doute, qui est jouée souvent, mais qui se trouve assez réelle en quelques rencontres pour ne pas devoir être tout à fait omise dans un tableau complet de l’humanité. […] Pourtant il n’y a pas à se le dissimuler, c’est afin sans doute de mieux se tenir au niveau de l’humaine nature que Gil Blas n’a pas le cœur très haut placé : il est bon à tout, médiocrement délicat selon les occurrences, valet avant d’être maître, et un peu de la race des Figaro. […] En représentant certains côtés de la nature humaine, Panurge les charge, les exagère exprès d’une manière risible.
Ôtez Dieu et l’action directe et personnelle de sa providence sur le monde, Attila n’est plus que l’indigéré de sang humain qui creva de celui qu’il avait versé, — a dit Chateaubriand. […] Ostrogoths, Visigoths, Huns et Gépides, ne sont plus, à leur tour, que des tourbillons de sauterelles humaines que l’histoire naturelle, livrée aux faits et aux causes secondes, n’explique pas et ne peut expliquer. […] Attila ressemble à Spartacus ; mais c’est un Spartacus grandi dans une hauteur surnaturelle ; c’est un Spartacus qui n’est pas l’esclavage romain, mais toute l’envie et la convoitise humaines. […] Thierry qu’un prêtre de taille humaine. […] Or l’histoire, c’est une vision, en définitive ; et d’ici bien longtemps, étant donné l’état nécessairement vacillant des certitudes humaines, deviner les faits de l’histoire, qui serait le dernier acte de la sagacité historique, ne vaudra pas aux yeux des hommes le talent de les raconter.
Pommier, dans cette vision du dernier jour et de l’Éternité, Jésus-Christ, qui, par sa double nature d’homme et de Dieu, est de plein droit l’arbitre agréable et agréé du genre humain entre son Père et nous, Jésus-Christ n’apparaît pas assez. […] Il n’est pas permis de décapiter les assises du genre humain de leur juge naturel qui doit appliquer aux âmes des hommes leur propre jurisprudence d’ici-bas. […] Amédée Pommier est trop mâle pour s’occuper beaucoup des historiettes de l’individualité humaine. […] Pour un bonheur imperceptible, Souffrir un mal intraduisible À tous les langages humains ! […] Rappelez-vous ces quelques chansons du Cromwell, — La Chanson du Fou, par exemple, — ces gouttes de rosée frémissantes, rouges du soir, qui suffisent pour noyer toute une tête humaine dans un infini de rêveries !
Mais dès qu’a sonné l’heure vraiment humaine des solidarités et des étreintes, ce repliement sur soi n’engendre plus que faiblesse et que dessèchement. […] Ce qui peut convenir à la foule des humains perd par cela même toute valeur à leurs yeux. […] Malgré la distance considérable qui sépare la nutrition de la copulation, il n’est pas impossible de comparer un instant ces deux fonctions de l’animal humain dans leur rapport avec la pensée. […] La semence humaine qui engraisse et boursoufle le corps de ceux qui refusent de la répandre sur le monde, épaissit également leur cerveau. […] L’histoire nous présente, et nous distinguons même dans notre entourage, de ces grands spéculatifs, dont l’étonnante vigueur mentale semble impunément braver les plus fondamentales nécessités de l’animal humain.
Alaux, Jules-Émile (1828-1908) [Bibliographie] Les Tendresses humaines (1891). […] [Préface aux Tendresses humaines (1891).]
Rien ne donne plus de gravité à la figure humaine qu’une grande barbe ; donc le singe est absolument dépourvu de poils. […] La comédie doit donc nous montrer, au contraire, le triomphe de la personne humaine, conservant sa sécurité infinie au milieu même des échecs, qu’elle subit dans la poursuite d’un but contradictoire, et riant de ses propres infortunes. […] Je ne suis pas sûr que le langage humain ne se trompe pas, et que toutes les œuvres qui portent le nom de comédies, soient vraiment des comédies. […] Elle est femme, et rien d’humain ne lui est étranger. […] Uranie ne tardera pas à reconnaître, pour la justification du genre humain, qu’un souffle de moralité inspire ce poème qui ruine la morale, et que cet athée faisant honneur aux plus nobles sentiments de la nature humaine, atteste sa divine origine.
Une femme d’esprit, Mmede Lambert, a bien écrit quelque chose pour elles et à leur intention ; mais ce n’est que sage et d’une sagesse un peu triste, qui n’est que philosophique et humaine. […] Et ceci encore (car elle ne sait qu’imaginer pour dire à la vieillesse : Tu n’es pas, ou tu es le contraire de ce que tu parais : « La vieillesse est la nuit de la vie ; la nuit est la vieillesse de la journée, et néanmoins la nuit est pleine de magnificences, et, pour bien des êtres, elle est plus brillante que le jour. » Voici qui me paraît un peu risqué et inexact : « La vieillesse est le dôme majestueux et imposant de la vie humaine… » Le dôme est ordinairement, ce me semble, aux deux tiers de l’édifice et n’est pas à l’extrémité. […] J’ai voulu, en contraste a ces idées de Mme Swetchine, me donner ce que j’appelle une douche de sens naturel et d’humble sens commun, dussé-je avoir beaucoup à rabattre des trop hautes prétentions humaines. […] Je me suis rappelé Homère, indiquant toujours comme le signe dela triste humanité, de n’avoir pu trouver « de remèdeni contre, la vieillesse ni contre la mort. » Je me suisrappelé ce cri échappé du milieu de ses triomphes augénéral victorieux de l’armée d’Italie, en présence d’uneépidémie caniculaire : « Misérables humains que nous sommes, nous ne pouvons qu’observer la nature, mais non la surmonter ! […] Dans un Essai de traité sur la Résignation, Mme Swetchine est revenue sur la vieillesse, et, la prenant cette fois sous un aspect un peu plus humain, elle a moins accordé à l’hymne, à l’enthousiasme lyrique ; par cela même qu’elle me demande moins (l’esprit est ainsi fait), elle est plus près d’obtenir de moi quelque chose.
L’autre ne veut et n’admet, même en peignant ses monstres, que les plus nobles formes, les plus belles expressions des passions humaines. […] La nature humaine est si faible d’ailleurs et si misérable, qu’il ne serait pas impossible que, dans ce besoin d’oubli et d’engourdissement à tout prix où on nous le montre, il y eût un coin de vérité. […] L’esprit humain ne compte que sous un perpétuel aiguillon. […] Il est des saisons plus ou moins fécondes pour l’esprit humain, des siècles plus ou moins heureux par des conjonctions d’astres et des apparitions inespérées, mais ne proclamons jamais que le Messie est venu en littérature et qu’il n’y a plus personne à attendre ; au lieu de nous asseoir pour toujours, faisons notre Pâque debout comme les Hébreux et le bâton à la main. […] De même, au point de vue de l’esprit humain, le digne successeur de Racine, c’est Voltaire qui adorait Racine et le proclamait poète naturel et divin, une merveille de goût, en ayant, lui, bien autre chose encore que du goût.
C’est là que grandit, pour la gloire et le bonheur de l’espèce humaine, ce peuple artiste et poète qui s’éleva à la connaissance de la justice par le culte de la beauté. » Le livre de M. […] Mais, pour avoir raisonné d’Homère tout au long avec Wolf, l’œuvre homérique n’en demeure pas moins à nos yeux le plus admirable produit de la poésie humaine ; Théocrite, pour avoir eu des précurseurs dans son genre, et pour n’être pas un inventeur et un créateur, absolument parlant, n’en reste pas moins la plus charmante et la plus fraîche des flûtes pastorales. […] Les problèmes en art, en science, en industrie, en tout ce qui est de la guerre ou de la paix, se posent pour nous tout autrement : nous avons l’étendue, la multitude, l’océan, tous les océans devant nous, des nations vastes, le genre humain tout entier : nous sondons l’infini du ciel ; nous avons la clef des choses, nous avons Descartes, et Newton, et Laplace ; nous avons nos calculs et nos méthodes, nos instruments en tout genre, poudre à canon, lunettes, vapeur, analyse chimique, électricité : Prométhée n’a cessé de marcher et de dérober les dieux. Nous avons une morale pratique plus largement humaine, qu’on la prenne chez saint Vincent de Paul ou chez Franklin. […] Que l’admiration de nous à eux, des modernes aux vrais Anciens, à ceux qui ont le mieux connu le beau, s’entretienne de phare en phare, de colline en colline, et ne s’éteigne pas ; que l’enthousiasme de ce côté n’aille pas mourir, — ce serait une diminution du génie humain lui-même ; — non un enthousiasme crédule, aveugle et indigne d’eux comme de nous, mais un enthousiasme léger, clairvoyant, intelligent, divinateur et réparateur, qui n’est que l’émotion la plus délicate et la plus vive en face de tant de belles choses, accomplies une fois en leur juste cercle et à jamais disparues.