Mais la même raison qui a dû faire tomber tous ces genres d’éloges déclames ou chantés, écrits ou parlés, ou ridicules ou ennuyeux, ou vils ou du moins très inutiles à tout le monde, excepté à celui à qui on les paie, a dû au contraire accréditer les panégyriques des grands hommes qu’on peut louer sans honte, parce qu’on les loue sans intérêt, et qui, dans des temps plus heureux, ayant servi l’humanité et l’État, offrent de grandes vertus à nos mœurs, ou de grands talents à notre faiblesse. […] Pour remplir cette tâche, il faut avoir été fortement ému au récit des grandes actions ; il faut souvent, dans le silence de la nuit, avoir interrompu ses lectures par des cris involontaires ; il faut plus d’une fois avoir senti sa paupière humide des larmes de l’attendrissement ; il faut avoir éprouvé l’indignation que donne le crime heureux ; il faut avoir senti le mépris des faiblesses et de tout ce qui dégrade. […] Mais si un peuple a des mœurs frivoles et légères ; si, au lieu de cette sensibilité profonde qui arrête l’âme et la fixe sur les objets, il n’a qu’une espèce d’inquiétude active qui se répande sur tout sans s’attacher à rien ; si, à force d’être sociable, il devient tous les jours moins sensible ; si tous les caractères originaux disparaissent pour prendre une teinte uniforme et de convention ; si le besoin de plaire, la crainte d’offenser, et cette existence d’opinion qui aujourd’hui est presque la seule, étouffe ou réprime tous les mouvements de l’âme ; si on n’ose ni aimer, ni haïr, ni admirer, ni s’indigner d’après son cœur ; si chacun par devoir est élégant, poli et glacé ; si les femmes même perdent tous les jours de leur véritable empire ; si, à cette sensibilité ardente et généreuse qu’elles ont droit d’inspirer, on substitue un sentiment vil et faible ; si les événements heureux ou malheureux ne sont qu’un objet de conversation, et jamais de sentiment ; si le vide des grands intérêts rétrécit l’âme, et l’accoutume à donner un grand prix aux petites choses, que deviendra l’éloquence chez un pareil peuple ? […] Lui seul donne à l’ouvrage cet heureux degré de chaleur qui attire l’âme et l’intéresse, et la précipite toujours en avant sans qu’elle puisse s’arrêter.
Ainsi, sous ce règne d’Auguste, si favorable aux arts, dit-on, dans cette heureuse maturité de l’idiome et du génie romain secondée par la paix de l’empire, chez ce peuple où se réfléchit alors le génie de la Grèce, parmi des conditions tout à la fois d’affinité naturelle et d’imitation, la poésie lyrique, cette belle parure du théâtre d’Athènes et des fêtes d’Olympie, cette voix antique de la religion et de la patrie, n’eut qu’un seul interprète, plus ingénieux que grand, plus ami du plaisir que de la vertu, de la fortune que de la gloire. […] « Que l’épouse heureuse d’un époux sans égal vienne à sa rencontre, après les sacrifices aux dieux, et avec elle la sœur de l’illustre chef, et, sous une parure de pieuses bandelettes, les mères des jeunes filles et des jeunes hommes sauvés par sa victoire ! […] Un salut d’allégresse à l’ami longtemps exilé qu’il revoit, un adieu plus tendre à l’ami qui s’éloigne, une consolation au malheur, un conseil à la prospérité, un éloge, une plainte, un lieu commun de prudence mondaine, sont pour cet heureux génie autant d’inspirations originales. […] De là le jugement du critique ancien qui nous dit : « Des a poëtes lyriques, Horace est presque le seul digne d’être lu ; car il s’élève par moment, il est plein d’enjouement et de grâce, et, dans la variété de ses images et de ses expressions, il déploie la plus heureuse audace.
Les premiers, si l’on considère le grand Jules, qui en est le type, sont le génie même dans toute son étendue et sa diversité, l’humanité même dans ses hauteurs, ses grandeurs, ses hardiesses heureuses, dans son brillant et son séduisant, dans ses habiletés, ses souplesses, ses fertilités, ses intrigues et ses vices. […] Et cela, jusqu’à un certain point, est vrai : car, même avec tous ces défauts, avec toutes ces lacunes et ces creux qui se révèlent dans leurs pensées habituelles et dans la forme de leur caractère, la société ébranlée est encore trop heureuse de les avoir rencontrés un jour et de s’être ralliée à deux ou trois des qualités souveraines qui sont en eux : elle doit désirer de les conserver le plus longtemps possible, et tant qu’il porte et s’appuie sur leurs épaules même inégales, il semble que l’État dans son penchant ait encore trouvé son meilleur soutien.
Il est facile de reconnoître, dans ses Ecrits de Controverse, un esprit lumineux, une mémoire heureuse, un discernement sûr, qui le mettent à portée de combiner les systêmes, de rapprocher les objets, d’exposer les opinions, & de réfuter les erreurs. […] Bossuet fût né avec les plus heureuses dispositions pour l’Eloquence, son éloquence dut cependant beaucoup aux travaux assidus de sa jeunesse.
Les Poésies des Chaulieu, des Voltaire, des Gresset, ne subsisteront jamais que par ces heureux & véritables principes de vie. […] Ce Poëte étoit né, sans contredit, avec les dispositions les plus heureuses.
Les personnes qui, sans connaître notre ami, l’ont lu pendant dix années et l’ont suivi dans ses productions fréquentes et diverses, qui l’ont trouvé si facile et souvent si gracieux de plume, si riche de textes, si abondant et presque surabondant d’érudition, qui ont goûté son aisance heureuse à travers cette variété de sujets, ceux mêmes auxquels il est arrivé d’avoir à le contredire et à le combattre, peuvent-ils apprendre sans surprise et sans un vrai mouvement de sympathie que cet écrivain si fécond, si activement présent, si ancien déjà, ce semble, dans leur esprit et dans leur souvenir, est mort avant d’avoir ses vingt-neuf ans accomplis ? […] Charles Labitte, à cet âge heureux, les possédait dans toute leur sève. […] Tout atteste que l’action de l’heureux pamphlet fut immense sur l’opinion à travers la France encore soulevée. […] Le génie romain en particulier, grave et sobre, était bien propre, par son commerce, à perfectionner cette heureuse nature, à l’affermir et à la contenir, à lui communiquer quelque chose de sa trempe, et à lui imprimer de sa discipline. […] « Il est mort, s’écriait Pline en pleurant un de ses jeunes amis240, et ce qui n’est pas seulement triste, mais lamentable, il est mort loin d’un frère bien-aimé, loin d’une mère, loin des siens… procul a paire amantissimo, procul a matre… Que n’eût-il pas atteint, si ses qualités heureuses eussent achevé de mûrir !
Je vous appellerai et je m’adresserai à vous lorsque vous serez un peu plus heureux. […] C’est une réflexion qui doit souvent vous rendre heureux. […] Je serai plus heureux dans ce nouveau monde. […] Si le sentiment d’une bonne conscience nous rend heureux, vous devez jouir d’un bonheur inaltérable. […] J’imagine pour vous que vous devez être heureux, dans quelque événement que vous puissiez vous trouver.
Une des meilleures preuves de l’incorruptibilité de sa belle nature, c’est qu’elle en fut heureuse, mais point enivrée. […] On ne pouvait s’empêcher de penser, en contemplant et en écoutant Delphine, à cette Vittoria Colonna, qui fut la noble et chaste Aspasie de Rome moderne, la passion platonique de Michel-Ange, le modèle des Vierges de Raphaël, pendant qu’elle était, par ses propres poésies, la rivale heureuse de Pétrarque ! […] Son bonheur même a l’air d’une calamité ; Car le sombre secret de sa fertilité N’est pas le don du sol, l’heureux bienfait d’un astre : Cette fécondité naît encor d’un désastre. […] … Il est heureux pour toi de dormir dans la tombe ! […] Elle avait été belle, heureuse, aimée, encensée, sous le gouvernement de ses beaux jours ; elle ne s’était jamais attachée au gouvernement de Juillet.
Le mois passé (et de spirituelles indiscrétions l’ont déjà ébruité par mille endroits), quelques auditeurs heureux ont goûté une de ces vives jouissances d’imagination et de cœur qui suffisent à embellir et à marquer, comme d’une fête singulière, toute une année de la vie. […] Le poète, comme René, a ressaisi solitude et puissance ; il est rentré dans sa libre personnalité, dans mille contradictions heureuses. […] L’effet est souvent heureux, de ces mots gaulois rajeunis, mêlés à de fraîches importations latines, et encadrés dans des lignes d’une pureté grecque, au tour grandiose, mais correct et défini. […] Triste, dégoûté de tout, voyant sa sœur peu heureuse, sa mère peu consolante, craignant son père au point que, si au retour de ses courses sauvages il l’apercevait assis sur le perron, il se fût laissé tuer plutôt que de rentrer au château, le chevalier essaya en effet de mourir ; il s’enfonça dans un bois avec son fusil chargé de trois balles : l’apparition d’un garde l’interrompit. […] Mais dans les pages dont nous parlons, cette veine heureuse circule et joue au naturel ; elle fertilise dans le talent de M. de Chateaubriand des portions encore inconnues.