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232. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Dans les moments de marche ou d’installation incohérente et confuse, comme le sont les temps présents, il est simple qu’on aille au plus important, qu’on s’occupe du gros de la manœuvre, et que de toutes parts, même en littérature, ce soit l’habitude de frapper fort, de viser haut et de s’écrier par des trompettes ou des porte-voix. […] Le couvent, pour elle, c’est quelque chose de gai, d’aimable, de gémissant comme Saint-Cyr ; c’est une volière de colombes amies, ce sont d’ordinaire les curiosités et les babils d’une volage innocence. « La partie du jardin, qu’on nommait pompeusement le bois, n’était qu’un bouquet d’arbres placés devant une très-petite maison tout à fait séparée du couvent, quoique renfermée dans ses murs ; mais c’est une habitude des religieuses de se plaire à donner de grands noms au peu qu’elles possèdent ; accoutumées aux privations, les moindres choses leur paraissent considérables. » Le couvent de Blanche, le couvent d’Eugénie sont ainsi faits. […] Quant à Mme de Souza, récompensée par le glorieux sourire, elle aime à citer cet exemple pour preuve que l’habitude du monde et de laisser naître ses pensées les fait toujours venir à propos : « car, dit-elle, cette réponse s’était échappée si à part de ma volonté et presque de mon esprit, que je fus tentée de me retourner aussitôt pour voir si personne ne me l’avait soufflée. »

233. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

C’est un certain ensemble d’habitudes et une certaine manière de vivre qui constitue le monde. […] Au fond, le rêve endormi dans quelque repli secret du coeur, chez moi-même et chez beaucoup d’autres, notre rêve inavoué, désavoué même souvent par nos habitudes et notre allure, c’est le rêve de don Juan. […] On est trop distrait, et, d’autre part, on est trop averti ; on a trop de science et d’expérience, on a trop l’habitude de se tenir et de se surveiller.

234. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

Si la mort d’un ami m’afflige, ce n’est pas parce qu’il y a conflit entre l’idée de ses bienfaits, qui tend à faire subsister son image dans la conscience, et l’idée de sa mort, qui tend à la refouler ; c’est parce qu’il y a conflit de mes inclinations, désirs, habitudes et affections avec la réalité brutale qui les prive de leur objet. […] Il en est de même des saveurs ou des sons. 2° Cette addition ou soustraction du plaisir et de la douleur peut même être acquise par artifice ou habitude : c’est ainsi que l’habitude peut faire trouver agréables des choses qui nous déplaisaient auparavant, par exemple le tabac.

235. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

Au fond, malgré toute sa malice — il l’a presque avoué, — ce qui fait amnistier Bismarck par Thiers, c’est que pendant les négociations pour Belfort, le ministre prussien, connaissant l’habitude, qu’avait Thiers de faire une sieste dans la journée, lui faisait envelopper les pieds avec un paletot, pour qu’il n’eût pas froid. […] En effet, n’avons-nous pas vu les Japonaises de la grande Exposition, expliquer la phrase de leurs compatriotes, avec leurs rampements, leurs agenouillements, leurs gracieuses attaches au sol, leurs mouvements de gentils quadrupèdes, leurs habitudes enfin, de se faire toutes ramassées, toutes pelotonnées, toutes exiguës. […] Ça été pour lui l’occasion de me reraconter une histoire qu’il m’a déjà contée plusieurs fois, l’histoire dans laquelle il risquait sa vie, au milieu des précipices d’une falaise, pour embrasser un chien de Terre-Neuve, appelé Thabor, à une certaine place, où sa maîtresse avait l’habitude de déposer un baiser.

236. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Et la différence n’était pas moins grande entre les habitudes, les goûts, les costumes, l’état d’esprit d’un provincial et ceux d’un Parisien. […] Si la mode est la même, faut-il en dire autant des habitudes et des mœurs ? […] Ainsi donc, ces différences superficielles de costumes, d’habitudes et de langage, sur lesquelles nos écrivains, depuis trois siècles, ont insisté tant et tant de fois, sur lesquelles ils ont bâti des livres, qu’ils ne se lassent point de décrire lorsqu’ils opposent la province à Paris, disparaissent de plus en plus.

237. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 338-339

L’usage, à le définir selon l’idée qu’on s’en forme communément, est une espece d’énigme, qui ressemble à un portrait des modes, au sujet des ajustemens, une sorte d’habitude dont l’objet est variable, &c.

238. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Bien qu’il revînt rarement, je l’ai dit, sur ses souvenirs, et qu’il eût pris l’habitude de les ensevelir plutôt en silence, il lui arrivait quelquefois de raconter des anecdotes de ce temps, à l’esprit duquel il était resté foncièrement fidèle. […] L’habitude prise de bonne heure de ne pas se placer du tout en face du public, mais seulement en face des choses, induit l’écrivain à des lenteurs d’expression qui tiennent au scrupule même de la conscience et au respect le plus honorable de la vérité. […] Ils croiraient seulement que les vices sont très-souvent bien voisins l’un de l’autre, et que l’habitude des fautes dans un genre nous conduit presque inévitablement à d’autres fautes qui ne paraissent pas, au premier coup-d’œil, avoir de liaison avec elles. ». […] Non, Descartes ne prescrivit jamais plus instamment à son philosophe de se débarrasser des idées apprises et des préjugés de l’éducation, que Fauriel ne recommandait au poëte de s’affranchir de ces fausses images qui ne sont réputées poétiques qu’en vertu de l’habitude. […] Les dieux littéraires les plus voisins de nous, et réputés les plus incomparables dans nos habitudes d’admiration, n’étaient certainement pas ceux sur lesquels il reportait le plus volontiers ses regards.

239. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

De Ryons a fourbi son esprit et sa bravoure ; mais, à cette défiance continuelle, il a perdu l’habitude de s’abandonner, le don charmant de la sympathie ouverte, l’exquise facilité des épanchements intimes. […] Cette faculté de l’au-delà, nous la possédons à notre insu, et quand nos idées, notre milieu, nos habitudes nous empêchent de l’exercer, elle ne meurt pas pour cela. […] Aux devantures des grands magasins de nouveautés, qui forment comme le colossal résumé des habitudes d’un peuple, puisqu’ils offrent une réponse anticipée à tous ses désirs, que rencontrez-vous ? […] La chambre où vit un homme devient aussitôt la figure extérieure de ses habitudes et de ses gestes. […] Remarquez combien les âpretés des ambitions déçues et les répétitions des mornes habitudes épuisent vite la sève humaine, et combien manquent d’autre part les sources de renouvellement.

240. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre IV »

. — Par cette méconnaissance mutuelle et par cet isolement séculaire, les Français ont perdu l’habitude, l’art et la faculté d’agir ensemble. […] Il ne reste en lui pour le conduire que l’habitude moutonnière d’être conduit, d’attendre l’impulsion, de regarder du côté du centre ordinaire, vers Paris, d’où sont toujours venus les ordres.

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