« J’ai entrepris de faire une chose toute nouvelle, leur disait-il ; je veux ramener l’art aux principes que l’on suivait chez les Grecs. […] Mais, messieurs, sans les Grecs, les Romains n’eussent été que des barbares en fait d’art. […] Mais je veux faire du grec pur ; je me nourris les yeux de statues antiques, j’ai l’intention même d’en imiter quelques-unes. Les Grecs ne se faisaient nullement scrupule de reproduire une composition, un mouvement, un type, déjà reçus et employés. […] Le résultat immédiat de leur arrivée à Paris a été la recrudescence de l’engouement inconcevable dont on était déjà pris pour la statuaire grecque.
Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot Essai sur la vie et les ouvrages de Henri Estienne, suivi de la Conformité du langage français avec le grec ; Essai sur la Typographie. […] Homme de son temps et, il faut bien le dire, de sa fonction, Feugère n’a pas choisi par simple caprice d’intelligence cette vie d’Henri Estienne pour nous la raconter et cet ouvrage de la Conformité du langage français avec le grec 8 pour nous en donner une édition qu’on ne lui demandait pas. […] Et qu’est ce livre de la Conformité du langage français avec le grec, sinon, sous la forme la plus innocente, car elle est la plus superficielle, la preuve, essayée vainement par un érudit, de cette origine et de cette descendance que les païens de la Renaissance ont toujours cherché à établir entre le monde moderne et l’antiquité ?
Ils les ont imitez, non pas comme Ronsard et ses contemporains les avoient imitez, c’est-à-dire servilement, et comme Horace dit que Servilius avoit imité les grecs. […] Mais nos bons poëtes françois ont imité les anciens comme Horace et Virgile avoient imité les grecs, c’est-à-dire, en suivant comme les autres l’avoient fait le génie de la langue dans laquelle ils composoient, et en prenant comme eux la nature pour leur premier modele. […] J’en appelle à témoin les grecs qui vinrent nous les expliquer après la prise de Constantinople par les turcs. […] On peut même penser que les écrits des grands hommes de notre nation, promettent à notre langue la destinée de la langue grecque litterale et de la langue latine, c’est-à-dire, de devenir une langue sçavante, si jamais elle devient une langue morte.
Ce qu’on doit rencontrer ici, c’est le Français, — le Français de cœur qui respirait dans ce Grec par l’intelligence ; c’est le journaliste oublié, — que la guillotine n’oublia pas, elle ! […] Le poète qui, jusque-là, n’avait chanté que l’amour, l’amitié, tous ses sentiments personnels, et qui forçait son génie à tenir archaïquement dans des vers que par le contour, la grâce et la perfection grecque, on pouvait croire du pays de sa mère, devint un prosateur à la phrase carrée du xviie siècle, balancée dans le mouvement, continu et contenu, de l’orateur. […] Aussi l’a-t-il donné pour le premier journaliste de son temps, où cependant il y avait Camille Desmoulins, latin dans sa prose comme André Chénier était grec dans ses vers, et Rivarol l’éblouissant, qui fut plus qu’un journaliste, puisqu’il a laissé un magnifique livre d’histoire. — Et peut-être le regarde-t-il comme le premier aussi des temps qui ont suivi le temps de Chénier, et qui ont produit, par exemple, des journalistes de la volée de Chateaubriand, de Bonald, de Lamennais, et de celui-là qui s’est tu trop tôt sous la maladie et dont le silence que nous entendons après sa voix fit un silence si grand3… IV Je dis peut-être… car M. de Vallée ne l’a pas écrit expressément dans son livre, et il a même laissé entrevoir la raison qui l’a empêché de l’écrire. […] Oscar de Vallée, c’est ce qui manquait absolument de christianisme à Chénier, à ce Grec de païenne imagination, muet aux choses chrétiennes.
La philosophie des Grecs, qui acheminait à la connaissance de la vérité, était, si l’on en croit Bossuet, une émanation lointaine de l’Orient et de la tradition juive. […] Les Romains plus graves ne faisaient pas mieux en religion que les Grecs. […] Le génie social et civilisateur des Grecs l’a surtout gagné et lui inspire de belles paroles : « Le mot de Civilité, dit-il, ne signifiait pas seulement parmi les Grecs la douceur et la déférence mutuelle qui rend les hommes sociables ; l’homme civil n’était autre chose qu’un bon citoyen qui se regarde toujours comme membre de l’État, qui se laisse conduire par les lois et conspire avec elles au bien public sans rien entreprendre sur personne. » Le mot de Civilisation n’est pas dans Bossuet, mais il fait rendre à ce mot de Civilité tout ce qu’il peut contenir de meilleur et de plus étendu. Sur l’idéal de la liberté chez les Grecs, sur leurs philosophes, sur leurs poètes même et sur Homère dont il interprète la mythologie par le côté principalement moral, il a des pages senties qu’il n’aurait jamais écrites avant 1670, avant de s’être retrempé, pour son préceptorat du Dauphin, aux vives sources de l’ancienne littérature profane.
Son étude des plus anciens Grecs et son esprit nouveau. […] Horace cependant nous apprend quelque part que, de son temps, à Rome le poëte grec avait d’autres émules. […] C’est assez d’avoir pu rallier à ce nom, par un art délicat et charmant, les images de la poésie grecque et jusqu’au souvenir de l’antique vertu romaine. […] Sous cette invocation, quelques vers à Bacchus, Diane, Apollon, Hercule, et aux enfants de Léda, ne sont qu’un jeu de son art imité des Grecs ; mais il semble presque un Romain d’avant l’empire lorsqu’il s’écrie : « Après les dieux186, dirai-je Romulus, ou le règne paisible de Numa, ou les faisceaux superbes de Tarquin, ou le noble trépas de Caton ? […] Nous avons en grec la brusque entrée d’un dithyrambe : À moi, Bacchus ; à moi de chanter ; à moi d’errer sur les montagnes, en y sacrifiant avec les naïades !
Les Phéniciens, instruits par les mêmes Chaldéens, portèrent aux Grecs la connaissance des divinités qu’ils plaçaient dans les étoiles. — Avec ces trois vérités philologiques s’accordent deux principes philosophiques : le premier est tiré de la nature sociale des peuples ; ils admettent difficilement les dieux étrangers, à moins qu’ils ne soient parvenus au dernier degré de liberté religieuse, ce qui n’arrive que dans une extrême décadence. […] Aussi les Phéniciens trouvèrent les dieux et les héros de la Grèce et de l’Égypte déjà préparés à jouer ces deux rôles ; et les Grecs, à leur tour, trouvèrent dans ceux du Latium la même facilité.
Il est le modèle du Grec ; et le Grec dans sa vie et dans son art cherche à se rapprocher de cet idéal. […] Il croit aux Grecs d’avant Socrate. […] Les Grecs et les Romains sont absolument aristocrates. […] Voilà toute la morale des Grecs et des Romains, et c’est-à-dire que les Grecs et les Romains n’ont point de morale. […] Il a adoré la clarté grecque et la clarté française.
Le petit Racine en vint rapidement à lire tous les auteurs grecs dans le texte ; il en faisait des extraits, les annotait de sa main, les apprenait par cœur. […] Britannicus, Phèdre, Athalie, tragédie romaine, grecque et biblique, ce sont là les trois grands titres dramatiques de Racine et sous lesquels viennent se ranger ses autres chefs-d’œuvre. Nous nous sommes déjà expliqué sur notre admiration pour Phèdre ; pourtant, on ne peut se le dissimuler aujourd’hui, cette pièce est encore moins dans les mœurs grecques que Britannicus dans les mœurs romaines. […] Racine, dans les sujets hébreux, est bien autrement à son aise que dans les sujets grecs et romains. […] Un Grec érudit de nos amis, M.