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685. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Il a formé son art en n’étudiant que les monuments de l’urbanité latine ; il a pris le goût des élégances et de finesses, des réussites et des artifices de style ; il est devenu attentif sur soi, correct, capable de savoir et de perfectionner sa propre langue. […] Et chercherez-vous un entretien plus aimable que celui d’un homme heureux et bon, dont le savoir, le goût, l’esprit ne s’emploient que pour vous donner du plaisir ? […] Il ne remonte pas à la source du beau du premier coup, comme les vrais artistes, par la violence et la lucidité de l’inspiration naturelle ; il s’arrête dans les régions moyennes, parmi les préceptes, sous la conduite du goût et du sens commun. […] En général, la singularité est dans le goût du pays ; ils aiment à être frappés fortement par des contrastes. […] La race est moins fine, mais plus forte, et les agréments qui contentent son esprit et son goût ressemblent aux liqueurs qui conviennent à son palais et à son estomac.

686. (1903) Propos de théâtre. Première série

C’était faire en homme de goût et très bien avisé. […] Autrement dit, il écrit une histoire orientale, curieuse, subtile et troublante, avec ce goût des choses d’amour et de guerre en pays lointains et confus, qui est goût de poète, goût de chercheur de sensations inconnues et rares. […] Tout ce personnage et tout ce rôle sont adorables, et ils n’existeraient point si le goût espagnol et le goût cornélien n’avaient point passé par là. Et enfin, dans ses dernières tragédies, Racine retient encore quelque chose du goût de 1640 ; mais on dirait que ce goût, il n’en a plus tout à fait le sentiment. […] Il était comme pris entre sa poétique propre et ses goûts de lettré.

687. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame du Hausset, femme de chambre de madame de Pompadour. »

Dédaignant en amour et mystère et dignité, ne cherchant ni ne fuyant le scandale, il devait se faire un système mitigé du temps ; amoureux avant tout de sensualités et de repos, une licence régularisée et organisée était son fait ; il le pressentit, et après quelques liaisons dans lesquelles ses goûts s’étaient essayés avec indécision et inconstance, il finit, sous les yeux d’une chaste épouse et d’un fils austère, à la face de la France et de l’Europe, par conclure un arrangement, c’est le mot, avec madame de Pompadour. […] En présence du vice, elle n’en conçoit ni le goût ni l’indignation ; c’est chose, à ses yeux, toute naturelle en pareil temps, toute légitime en pareil lieu, et, sans s’en étonner, elle le décrit en détail ; bonne femme d’ailleurs, incapable de médisance, et au demeurant fort honnête.

688. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Girac, et Costar. » pp. 208-216

On en portoit un jugement plus ou moins favorable, suivant son goût ; mais, en général, le livre étoit applaudi. […] Girac, écrivain de la moyenne classe, versé dans les langues, dans l’histoire & dans la connoissance de l’antiquité, eut le jugement assez droit pour sentir qu’on prenoit le change, qu’on s’égaroit sur le goût.

689. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

En vérité, voilà une assez jolie bibliothèque, et je sais peu de génies d’un goût aussi éclectique. […] C’est une faute de goût, une rupture de l’unité artistique ; et de fait la parabole somptueuse de D’Annunzio, dont l’idée centrale me serait d’ailleurs fort sympathique, demeure très inférieure au sobre récit de Matthieu. […] Selon les goûts, on fait ainsi bénéficier toute la tragédie française du génie de Corneille et de Racine, ou l’on ridiculise au contraire Corneille et Racine par les œuvres de Campistron et de Crébillon. […] Mais au fond les fantômes de Shakespeare, les hallucinations du drame moderne (par exemple chez Ibsen), ne sont qu’une autre forme des songes et présages, forme plus appropriée à notre goût, et qui souvent déjà n’est plus qu’un « truc ». […] Les libertés dont usent et abusent les auteurs contemporains n’auraient-elles pas nui à notre goût littéraire, à notre pénétration psychologique ?

690. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

« C’est là que son goût vrai surtout se manifeste. […] Un esclave l’explique nettement aux spectateurs ; ceci regarde Cléon : on connaît ses goûts crapuleux, son avidité, et ses débauches. […] Telles sont les expressions de l’homme de goût que fait parler Molière. […] On ne peut accorder plus finement une personnalité dure avec la bienséance du monde : Molière fait parler un homme de goût, et ce mot vif est du meilleur ton. […] quel perfectionnement de mœurs, de goût, que de n’oser appeler les choses par leur nom !

691. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Nous publions les vers de Farcy, et pourtant, nous le croyons, sa vocation était ailleurs : son goût, ses études, son talent original, les conseils de ses amis les plus influents, le portaient vers la philosophie ; il semblait né pour soutenir et continuer avec indépendance le mouvement spiritualiste émané de l’École normale. […] L’ambition de faire fortune, pour contenter ensuite ses goûts de voyage, le préoccupa au point de l’engager dans une entreprise fort incertaine et fort coûteuse avec un homme qui le leurra de promesses et finalement l’abusa76. […] Un goût vague ne se suffit pas à lui seul, et c’est pourquoi il est si aisé au premier venu de me faire abandonner ce qui tout a l’heure me semblait ma vie. […] J’ai sacrifié tous mes goûts, l’espoir assez voisin de quelque réputation par mes vers, et, par là encore, d’un bon accueil à mon retour en France. […] « Ces goûts changeront ; cette sincérité s’altérera ; le poëte se révélera avec plus de pudeur, il nous montrera les blessures de son âme, les pleurs de ses yeux, mais non plus les flétrissures livides de ses membres, les égarements obscurs de ses sens, les haillons de son indigence morale.

692. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Non vraiment, on ne peut nier aux auteurs un certain flair des goûts futurs de la pensée et de l’esprit français, en incubation dans l’air. […] Est-ce simplement pour choquer le public et scandaliser ses goûts ? […] Et à propos du roman sans péripéties, sans intrigue, sans bas amusement, tranchons le mot, qu’on ne me jette pas à la tête le goût du public ! Le public… trois ou quatre hommes, pas plus, tous les trente ans, lui retournent ses catéchismes du beau, lui changent, du tout au tout, ses goûts de littérature et d’art, et font adorer à la génération qui s’élève ce que la génération précédente réputait exécrable. […] « Maintenant par les écrits, par la parole, par les achats… qu’est-ce qui a imposé à la génération aux commodes d’acajou, le goût de l’art et du mobilier du xviiie  siècle ?

693. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Il a réuni tous les goûts, ceux même qui ne le connoissent pas, le demandent, et n’applaudissent qu’à ce qu’ils prennent pour lui. […] On les a assez heureusement imitées de nos jours, et peut-être sans dessein ; car comme chaque passion a son génie, ses tours et ses expressions, l’amour et la bonne chere peuvent encore inspirer aujourd’hui ce qu’Anacréon pensa de son tems : et je crois qu’en effet nous avons beaucoup de chansons de son goût, dont les auteurs n’ont jamais lû leur prétendu modéle. […] Ces figures quelquefois si excessives, ces maniéres de parler aussi obscures qu’emphatiques, étoient du goût de son siécle. […] J’ai développé quelquefois ses pensées, et j’y ai ajouté quelques transitions, pour ne pas trop heurter notre goût. à cela près, j’ai conservé autant que j’ai pû ses idées, son ordre, son esprit de narration, la hardiesse de son style, et quelquefois son excès, sur-tout dans l’ode où je le fais parler lui-même, et dont je ne dis rien ici pour ne pas répéter l’argument qui la précéde. […] Quoique nourri des beautés des anciens, il en a rarement paré ses ouvrages : content de s’en être servi à se perfectionner le goût, il semble avoir songé dans la suite à les égaler plutôt qu’à les imiter.

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