Mais, à mesure qu’il mûrissait, son génie devenait plus grave. […] Si l’emploi de tant de temps, de génie, d’artifices, avait eu un plus juste et plus digne objet, dans quel calme heureux et consolant tu verrais aujourd’hui s’écouler ta vie ! […] Laurent, aussi soigneux de sa popularité que de son génie, usa de la liberté du carnaval pour composer des poésies dansantes dont les belles filles des campagnes de Florence venaient le remercier avec des guirlandes de fleurs en main devant son palais. […] Jusqu’au grand Frédéric II, en effet, l’Europe moderne n’avait pas vu dans un même homme une telle association de génies divers : l’universalité était la seule vocation de Laurent, grand commerçant, grand politique, grand poëte. […] Plusieurs causes concoururent à maintenir cette prospérité extraordinaire, que diverses circonstances favorables avaient produite ; mais on s’accorde généralement à l’attribuer en grande partie au génie actif et aux vertus de Laurent de Médicis.
Qu’est-ce donc que l’art, dans l’acception la plus élémentaire, si ce n’est l’expression de vérités générales dans un langage parfait, c’est-à-dire parfaitement conforme au génie du pays qui le parle et à l’esprit humain ? […] Enfin, à une certaine époque unique éclatent dans le même peuple la perfection du génie particulier de ce peuple, et la perfection de l’esprit humain. […] L’homme de génie, en France, c’est celui qui dit ce que tout le monde sait. […] Car je ne donne pas ici le secret du génie ; sais-je ce secret ? […] Mais elles sont, pour ainsi dire, au hasard du génie ; quiconque les voudrait imposer comme des conditions ne serait pas souffert.
Les Barbares, qui inonderent les différentes provinces de l’Empire, y porterent leurs usages, leurs productions, leur génie. […] Il fit, tout à la fois, preuve de beaucoup de jugement & de beaucoup de génie. […] Il en devina le génie dans son genre, comme Pascal & la Bruyere l’avoient deviné dans des genres différents. […] Le Sage avoit très bien connu & le génie de sa langue & les différents caracteres qui circulent dans la société. […] Virgile aura vainement déployé toutes les richesses du talent & du génie dans son Enéide ; il faut en écarter l’épisode de Didon, & même l’amour un peu froid de Lavinie.
Il lui fallut donc autant de courage que de génie pour détruire les préjugés que l’ignorance idolâtroit, & que l’autorité des Loix rendoit plus invincibles. […] De tous les traits de génie qui sont partis de ce Grand Homme, celui que les vrais connoisseurs jugent le plus digne de l’immortaliser, est l’application qu’il a su faire de l’Algebre à la Géométrie. […] Si son génie inventeur ne le mit point à l’abri des méprises, il sut du moins, comme Icare, se sauver du labyrinthe avec les ailes qu’il se fabriqua, & ses erreurs mêmes sont devenues des signaux propres à diriger ses successeurs.
C’est par le génie de son sexe qu’elle a dominé. Elle en avait tout perdu : la beauté, la jeunesse ; elle n’en avait jamais eu l’abandon ; mais elle en avait gardé le génie. […] C’est par ce génie, qu’aucune femme n’eut à un degré plus élevé, qu’elle rendit Louis XIV confiant et fidèle jusqu’à sa dernière heure, lui qui pouvait tout et qui l’avait associée à sa vie de roi ! […] … Que, si une favorite d’une autre époque, la Léonora Galigaï, la magicienne de Florence, accusée de philtres et de charmes pour expliquer son inexplicable puissance sur Marie de Médicis, répondait que toute sa sorcellerie était l’influence d’une âme forte sur une âme faible, on aurait pu se demander plus tard quelle devait donc être celle d’une femme sur un homme dans toute la maturité de son âme et de son génie, sur un homme qui était le roi du bon sens, de la convenance, de la fierté et de l’ennui, sur un Louis XIV de quarante-cinq ans ? […] Madame de Staël disait : « Ceux qui se ressemblent se devinent. » Aussi, pour que la gloire jaillisse bien, et dans toute sa force, du visage que l’historien a pour devoir d’éclairer, il faut, entre le peintre et le modèle, des pentes de nature, des analogies de tempérament au moins intellectuel, et de telles rencontres de génie ne se répètent pas à tous les siècles.
II Quand Ballanche les publia, ces lettres, pour la première fois, non seulement il donnait à ce qui restait de cœurs purs en France, après les impuretés du xviiie siècle, une sensation divine bien au-dessus de toutes les sensations que le Génie lui-même peut donner, mais en plus il préservait Mademoiselle de Condé des derniers outrages de ce xviiie siècle expirant… L’amour de Mademoiselle Louise de Condé pour La Gervaisais, d’une princesse du sang de France pour un petit officier des carabiniers de Monsieur, cet admirable et chaste amour, discret, englouti dans deux âmes d’élite qui eurent également leur renoncement dans l’amour, cette chose rare qui achève l’amour dans ce qu’il a de plus sublime, avait transpiré comme un parfum qu’on percevrait mieux dans une atmosphère empestée, et cette transpiration d’un sentiment ineffablement pur au milieu d’une société corrompue, cette société avait dû en faire ce qu’elle faisait de tout. […] Une femme qui aime réellement dans ce misérable monde est aussi rare qu’un homme de génie, et, au fait, c’est la même chose, puisque le génie de la femme, c’est l’amour ! […] Son amour pour La Gervaisais fut si beau qu’il n’y a pas plus beau dans l’ordre du Génie, et que, je n’hésite pas à le dire, elle est aussi étonnante, dans son siècle, comme cœur de femme, que, comme tête d’homme, Napoléon ! […] … On trouve sous cette pauvre petite plume qui s’ignore des choses égales aux paroles que met le génie de Shakespeare dans la bouche de Juliette à Roméo : « Pardonne-moi de t’aimer, beau Montague !
V Ainsi nous n’hésitons point à le répéter, de toutes les traductions qui ont été laites du livre de limitation, et elles sont nombreuses, depuis celle du chancelier de Marillac, rééditée de nos jours, et dans laquelle on a une naïveté bien inférieure à celle de la traduction du xve siècle, jusqu’à celle que s’imposa M. de Lamennais (il était chrétien alors) pour mortifier, je crois, son génie, la meilleure, celle-là qui complète le mieux son auteur en le traduisant, est celle que MM. d’Héricault et Moland nous ressuscitent aujourd’hui ; toutes les autres ne valent pas le texte parce qu’elles veulent seulement nous le donner. Malgré le succès qui s’est attaché à l’entreprise de M. de Lamennais comme s’il était de la destinée de l’Imitation, ce livre heureux, de créer des succès à ces traducteurs eux-mêmes, combien n’avons-nous pas souffert de voir le génie éclatant et sombre de l’auteur de l’Indifférence se débattre dans un genre de travail si antipathique à sa nature ! […] Le génie de Corneille déborde tout, et l’agrafe de son vers ne le retient pas même à son auteur, — évidemment cet homme-là n’est pas fait pour suivre. […] Les germanismes du texte latin le prouvent suffisamment pour l’Imitation, et pour l’Internelle Consolacion, le génie de Gerson lui-même, qui n’eut jamais le moelleux et le laisser-aller du livre délicieux, remis en lumière aujourd’hui. […] Le génie du Moyen Âge est essentiellement silencieux.
Je connais quelque chose de très-beau en littérature, et même ce qu’il y a de plus beau, la chose sans laquelle il n’y a point de génie. […] Je connais aussi la chose, au contraire, avec laquelle il n’y a jamais de génie, mais avec laquelle il y a souvent beaucoup d’art et de profondeur. […] Il ne traduisit pas seulement, il ne condensa pas seulement l’œuvre de génie sur laquelle il porta cette main coupable, à laquelle les femmes pardonnent tout, quand elle est coupable par trop d’amour… Il fit bien plus. […] C’était un prélude ; le prélude de ce qu’il vient d’exécuter admirablement aujourd’hui avec un détail infini, une possession de soi, une fécondité dans cette Fin du Neveu de Rameau, dans cette œuvre singulière, dont l’inspiration première ne lui appartient pas et qui, s’il l’avait, serait du génie. […] Certes oui, ces cent ans-là n’ont pas été perdus, et ont dû donner à l’exécution du Diderot du dix-neuvième siècle, sur l’exécution du Diderot du dix-huitième, une supériorité des plus nettes et des plus tranchées, car les bénéfices du temps sont toujours une magnifique succession ouverte au génie, même à celui qui a le moins besoin d’hériter.
L’abbé Julio de la Clavière est (naturellement) un homme de génie. […] L’homme de génie n’a, en somme, d’autres idées que celles de l’abbé Trois-Étoiles, et c’est, en fait de génie, coucher à la belle étoile, cela ! […] Le petit Julio, qui bout de génie et qui fermente déjà de la sainteté des prêtres de l’avenir, obéit intrépidement à cet archevêque, qui s’était arrangé pour s’économiser le martyre et pour le renvoyer, après sa mort, à son exécuteur testamentaire. […] Tous livres scélérats de talent et de couleur, compositions affreusement fausses et coquines, mais amusantes, spirituelles, entraînantes, dues à des débauches de génie !