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364. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Les autres idéologies morales : idéologie de l’Intérêt général, de la Volonté générale, du Bonheur général sont fondées sur le même principe d’illusion ; sur la perspective d’une harmonie finale qui enchante les âmes et les plie à la loi sociale. […] Volonté générale, intérêt général, solidarité, ce sont là autant de fantômes idéologiques qui hantent et dominent l’individu de leur ombre redoutable, semblables au spectre Religion dont parle Lucrèce.

365. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Nous en tirerons ensuite des conclusions générales sur la valeur et le rôle de l’idée du moi. […] Chaque cellule est déjà un petit animal ; les grands organes, comme le cœur, l’estomac, le cerveau, sont des associations particulières en vue de besoins particuliers, au sein de l’association générale. […] Quand une idée en suggère une autre, c’est qu’elles ont été précédemment associées soit dans une représentation commune, soit simplement dans un état commun de la conscience générale, soit même dans un travail commun et systématisé de la moelle ou du cerveau. Si la suggestion est possible, c’est que l’idée suggérée, dont la conscience est distincte, appartenait à un tout donné d’une manière indistincte ; quand cette idée surgit du sein de la masse, le reste demeure non pas « au-dessous du seuil de la conscience », comme on le répète sans cesse, mais fondu dans l’état général de la conscience, dans l’énergie psychique totale de l’organisme.

366. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

Nullement, ou du moins on ne l’a fait que pour un seul cas, le cas de la paralysie générale compliquée de folie, et ordinairement de folie ambitieuse. […] Esquirol reconnaît quatre espèces de folies : la monomanie ou délire partiel avec prédominance de gaieté, la mélancolie ou délire partiel avec prédominance de tristesse, la manie ou délire général avec excitation, la démence ou délire général avec dépression de toutes les facultés. […] Baillarger est la plus rapprochée de la classification d’Esquirol ; il se contente de transporter la mélancolie dans la classe des délires généraux, et il fait rentrer dans la monomanie toutes les formes du délire partiel, accompagnées non-seulement de gaîté, mais d’excitation, d’exaltation et même de violence.

367. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

La mécanique gesticulatoire était montée comme tout à l’heure la mécanique verbale. » On doit aussi remarquer les degrés divers et les singulières modifications que peut présenter le fait général de l’aphasie. […] Quelque intéressants que soient par eux-mêmes les faits que nous venons de rapporter, il est difficile d’en tirer une théorie générale, et c’est assez arbitrairement qu’on désigne des phénomènes si différents sous le nom général d’aphasie, à moins qu’on ne convienne que c’est là une étiquette purement arbitraire, qui sert à dénommer tous les troubles, de quelque nature qu’ils soient, qui peuvent affecter les rapports du langage et de la pensée. […] Bouillaud, par cela seul qu’elle est plus générale, puisqu’elle ne fixe aucun point précis, et se contente de localiser le langage dans les lobes antérieurs du cerveau, ce qui est assez élastique, cette hypothèse, dis-je, a un plus grand nombre de faits à sa disposition que celle de M. 

368. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Il connaît seul les secrets de cette admirable alliance de la liberté de l’homme, fondement de toute morale, et de cette nécessité providentielle, résultat des lois mystérieuses de l’harmonie générale qui régissent le monde. […] Cependant le véritable caractère d’une loi est d’être immuable, et non pas d’être transitoire ; d’être d’une application générale, et non point de ne recevoir que des applications particulières, locales et catégoriques. […] La France étant à la tête de la civilisation, il ne faut jamais oublier que ce que je dis porte, dans son sens le plus général, sur toute l’Europe. […] Ce cri sinistre de guerre aux châteaux, suivi d’un incendie général et spontané, fut-il chez nous une clameur vaine et sans conséquence ?

369. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Il est des livres qui entrent si naturellement dans le torrent des idées et la civilisation générale que, quels que soient le pays et la langue dans lesquels on les publie, ils tombent forcément sous le regard de toute Critique qui n’a pas seulement pour objet les questions de forme littéraire, mais les questions d’idées… et telle est l’Histoire d’Angleterre 9 de Macaulay. […] Quoique, dans le premier volume de son ouvrage, Macaulay ébauche en traits rapides une histoire générale de l’Angleterre, depuis la Bretagne sous les Romains jusqu’à l’avènement de Jacques II, qui est pour lui le grand événement, l’événement décisif dans l’histoire d’Angleterre ; quoique sa préoccupation de whig soit telle qu’il ne veuille pas reconnaître comme monarchie anglaise la monarchie normande de Guillaume le Conquérant, et qu’il place l’origine de la vraie monarchie d’Angleterre à la fière extorsion de la Grande Charte, pour lui, cette histoire si confuse et si indistincte ne doit apparaître nettement, sans luttes, sans tiraillements, régulière et devenue enfin ce qu’elle doit être, qu’à la chute du dernier Stuart et à l’écroulement de cette monarchie de droit divin qui ne fut pas uniquement, comme il voudrait nous le faire croire, une chimère ou une réalité incessamment repoussée. […] Il va jusqu’à dire hypocritement que les lois anglaises, sans exception, selon l’opinion des plus grands jurisconsultes : Holt, Tréby, Maynard et Somers, « restèrent après la Révolution ce qu’elles avaient été auparavant », comme s’il s’agissait de législation générale ! […] Et voilà pour le point de vue général du livre, pour la thèse dont il est la forme, au lieu d’être, sans parti pris et sans polémique, le déploiement sincère, impartial et majestueux, des grands événements de 1688.

370. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

l’histoire générale, qui est le majorat des hommes de génie, — et un majorat qu’aucune législation ne garde contre l’ambition des esprits inférieurs, — l’histoire générale gagnerait beaucoup à ce que chacun se renfermât dans ses quelques pieds carrés de sol historique, et les défrichât, et les retournât pour leur faire donner toute la moisson de renseignements et de vérités qu’ils contiennent. Il faut bien l’avouer, malgré la séduction des plus grands noms et la majesté de quelques grandes œuvres, l’histoire générale atteste surtout la force de l’esprit qui l’aborde avec supériorité. […] Ainsi enfin, lorsque Gibbon lui-même, Gibbon, plus près des faits déjà, plus soucieux de ce qu’ils peuvent être, moins élevé, moins général que Bossuet et que Montesquieu, roule, comme une espèce de Meschacebé historique aux larges ondes, ce magnifique récit du déclin et de la chute de l’empire romain débordant sous les écroulements de la civilisation antique et sous les alluvions du Christianisme et de la barbarie, Gibbon laisse beaucoup trop aussi la personnalité de sa pensée philosophique jouer sur les faits qu’il brasse et pousse avec tant de vigueur.

371. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

En l’absence d’une histoire générale et unitaire de la papauté, le plus beau sujet par parenthèse qu’une tête d’ensemble puisse entreprendre, mais qu’avec les hâtes et les distractions de ce malheureux siècle, qui ne peut ni ne veut s’asseoir, on n’entreprendra point demain, il est excellent d’avoir de ces monographies qui enferment une époque dans une circonscription déterminée et qui la creusent. […] Après eux, l’abbé Christophe apporte son fragment à la mosaïque de pierres d’attente sur lesquelles se bâtira le grand monument qu’il s’agirait d’édifier, — une histoire générale de la papauté. […] l’histoire d’un seul Pape, dans l’histoire de l’Église, a de tels rayonnements en avant et en arrière que ce n’est plus l’histoire d’un siècle ni d’un Pape, mais l’histoire de l’Église universelle et éternelle, concentrée dans la minute d’un siècle ou d’une vie d’homme, comme tout un horizon répercuté et concentré dans une facette de diamant… En intérêt, l’Histoire de la Papauté pendant le xve  siècle, par l’abbé Christophe, vaut, avec d’autres événements et des personnalités différentes, son Histoire de la Papauté pendant le xive  siècle, et elle a le même mérite d’unité dans la variété qui est le caractère particulier de toutes les histoires détachées de l’histoire générale de l’Église, qui a bien raison de s’appeler catholique, c’est-à-dire universelle ; car si Dieu l’ôtait de ce monde, il s’y ferait un de ces trous, comme dit Shakespeare en parlant des monarchies qui croulent, que rien — quoi qu’on y jette — ne peut plus combler ! […] Quoiqu’il se pose, comme je l’ai dit plus haut, plus en narrateur qu’en jugeur en narrateur à la manière des anciens et de Quintilien (ses maîtres, dit-il), et qu’il s’enferme, avec un mépris étonnant pour les idées générales, dans la rhétorique d’un païen, après deux mille ans de christianisme, il n’en juge pas moins le xve  siècle avec le bon sens, qui déduit, d’un moderne, et l’orthodoxie d’un prêtre.

372. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

À des degrés inférieurs, il est encore d’honorables places à saisir ; et, quoique le talent se laisse peu conseiller à l’avance, quoiqu’il appartienne à lui seul, dans ce fonds tant de fois remué, mais non pas épuisé, de l’observation naturelle et sociale, de découvrir de nouvelles formes et des aspects imprévus, qu’on nous permette d’exprimer ce seul vœu : c’est qu’il revienne enfin et qu’il s’attache désormais à étudier une nature humaine véritable, une nature saine et non corrompue, non raffinée ou viciée à plaisir, une nature ouverte aux vraies passions, aux vraies douleurs, sujette aux ridicules sincères, malade, quand elle l’est, des maladies générales, et naturelles encore, que tous comprennent, que tous reconnaissent et doivent éviter. […] En se tenant cette fois dans les termes généraux de l’arrêté, la Commission a distingué avec plaisir, parmi les pièces assez nombreuses qui s’offraient à elle en première ligne comme ayant été représentées sur le second Théâtre-Français, et dont quelques-unes se recommandaient par des mérites sérieux, une comédie en cinq actes et en vers, Les Familles, de M.  […] Anicet-Bourgeois et Michel Masson, qui a été représenté avec succès au théâtre de la Gaîté : il lui a semblé que le ton général de ce drame, l’émotion qui en résulte, le triomphe des bons principes et de quelques sentiments naturels et généreux, compensaient les invraisemblances d’ailleurs admises ou exigées dans le genre, et que ces qualités ici n’étaient point compromises, comme il arrive trop souvent, par des scènes accessoires où le vice en gaieté se montre et devient, quoi qu’on fasse, le principal attrait.

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