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215. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 25, du jugement des gens du métier » pp. 366-374

En effet, on voit tous les jours des personnes qui jugeroient très-sainement si elles jugeoient d’un ouvrage par voïe de sentiment, se méprendre en prédisant le succès d’une piece dramatique, parce qu’elles ont formé leur prognostic par voïe de discussion. […] Un peintre qui de tous les talens necessaires pour former le grand artisan, n’a que celui de bien colorier, décide qu’un tableau est excellent ou qu’il ne vaut rien en general, suivant que l’ouvrier a sçû manier la couleur.

216. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Si les Français cherchaient à obtenir de nouveau des succès dans la carrière littéraire et philosophique, ce serait un premier pas vers la morale ; le plaisir même, causé par les succès de l’amour-propre, formerait quelques liens entre les hommes. […] L’homme, créé par la nature pour les relations domestiques, ne porte son ambition au-delà que par l’irrésistible attrait de l’estime générale ; et c’est sur cette estime, formée par l’opinion, que le talent d’écrire a la plus grande influence. […] Des institutions nouvelles doivent former un esprit nouveau dans les pays qu’on veut rendre libres. […] Ils évaluent d’abord la force du gouvernement, quel qu’il soit ; et comme ils ne forment d’autre désir que de se livrer en paix à l’activité de leurs travaux, ils sont portés à l’obéissance envers l’autorité qui domine. […] Les beaux-arts, en général, peuvent quelquefois contribuer, par leurs jouissances mêmes, à former des sujets tels que les tyrans les désirent.

217. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Dans une existence agitée, tumultueuse, à travers deux prisons, des fuites, des exils, des alertes, des triomphes de salon et des faveurs de cour, Voltaire fait son éducation de philosophe : son séjour auprès de Frédéric est la dernière expérience qui achève de le former. […] Tandis que les Pères Porée et Tournemine avaient formé le goût du petit Arouet, Ninon, Châteauneuf, les libertins du Temple furent les vrais éducateurs de son esprit ; cela promettait un beau docteur d’irréligion. […] A cette date, Voltaire est formé. […] Frédéric vivait à Rheinsberg, dans la disgrâce : son père, brutal, dévot, pratique, appliqué à mettre son domaine en valeur et à former de beaux régiments, ne lui pardonnait pas son esprit, sa flûte, son goût pour les vers et pour la pensée, ni surtout d’être l’héritier à qui il faudrait tout remettre. […] Il y avait une trentaine de chapitres à peu près achevés en 1739 : ils forment le premier état du Siècle de Louis XIV.

218. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Ces deux lignes coïncident et n’en forment qu’une seule si l’impulsion venue du milieu circonstantiel agit dans le même sens que l’impulsion héréditaire. […] Si les moyens par lesquels les deux fantoches simulent leur personnage sont différents, si Homais est prolixe, tandis que Regimbard est taciturne, ils sont comiques, l’un et l’autre par l’écart que l’on voit se former entre l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes et ce qu’ils sont dans le fait. […] Frédéric Moreau sous l’influence du romantisme, s’est formé de l’amour un idéal qu’il veut réaliser en une mise en scène dont il sera le héros. […] La conception sentimentale qu’elle s’est formée d’elle-même exige en effet une sensibilité différente de celle qui est la sienne, en même temps que des circonstances différentes de celles dont elle dépend. […] Dans son maintien, dans ses attitudes, elle joue cette comédie du ’sacrifice : sa froideur soudaine décourage la timidité du clerc et la réalité sentimentale qui allait se former, se voit brisée par la fiction avant que d’être née.

219. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Celles-ci sont formées, ou de simples voyelles, ou de consonnes unies avec les voyelles. […] Une syllabe se prononce d’autant plus aisément ou plus difficilement à la suite d’une autre, que l’organe doit conserver plus ou moins la disposition qu’il a dû prendre pour prononcer la première : sur quoi il faut remarquer, que deux consonnes de suite forment chacune une syllabe, parce qu’il y a toujours nécessairement un e muet entre deux ; et comme cet e muet passe fort vite et ne se prononce presque pas, l’organe est obligé de faire d’autant plus d’effort pour marquer la double consonne. […] Une musique qui ne serait formée presque entièrement que de simples blanches ou de simples noires, serait certainement plus monotone, et par conséquent moins agréable, que si dans cette même musique, sans y rien changer d’ailleurs, on entremêlait avec intelligence et avec goût les noires et les blanches, et s’il résultait de là une mesure plus vive, plus marquée, et plus variée dans ses parties. […] Cet exemple suffit, je crois, pour prouver que ce n’est pas dans Térence qu’un orateur latin moderne doit former son style. […] Ce n’est pas tout : croit-on qu’un auteur qui n’aurait absolument formé son style, que sur le plus excellent modèle de latinité, sur les ouvrages de Cicéron, et qui n’emprunterait rien que de ce seul modèle, pût être assuré de bien écrire en latin ?

220. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

Mais, bien que la fondation de Port-Royal, comme institution de piété, soit antérieure à la création de l’Académie française, celle-ci ayant commencé la première la tâche de former le goût du public, c’est son influence qu’il convient en premier lieu d’apprécier. […] Chez les autres nations, qui ont possédé avant nous, ou fondé après nous, sur notre modèle, des institutions académiques, ces compagnies se sont formées sous l’influence d’un autre esprit. […] C’est là qu’il se forma, par le raisonnement et la comparaison, un style d’une exactitude admirable dont les tours et les expressions étaient à tout le monde, mais qui lui appartenait en propre par la force même du consentement qu’il y donnait. […] Là aussi on avait substitué à l’esprit particulier un esprit collectif, formé sur une règle et sur une discipline consenties. […] Mais c’est peu de nous apprendre à diriger nos pensées par la raison, afin d’en former de bons jugements et de bien raisonner par le bien juger ; il faut savoir appliquer nos pensées, nos jugements et nos raisonnements à la conduite de la vie.

221. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Ressouviens-toi du jour où, sous un berceau formé des branches flexibles de l’arbuste vétasa, tu recueillis dans le creux de ta main une eau limpide que contenait le calice surnageant d’un brillant lotus. […] mille fois heureux les pères, lorsque, en soulevant dans leurs bras un enfant chéri qui brûle de se réfugier dans leur sein, et tout couverts de la poussière de ses petits pieds, ils contemplent, à travers son gracieux sourire, la blancheur éblouissante de ses dents pures comme les fleurs, et prêtent une oreille complaisante à son petit babil, composé de mots à demi formés ! […] l’homme en est ordinairement réduit à former longtemps des vœux ardents avant d’obtenir la possession de l’objet désiré ; mais, dans l’excès de vos bontés, vous avez même prévenu tous mes souhaits. […] Puisque votre bonté inépuisable me permet encore de former un vœu : Que les rois de la terre ne désirent donc de régner que pour faire le bonheur de leurs peuples ! […] — « Voyez cet autre tableau », lui dit Sita ; « il représente l’instant où vous vous revêtez de l’habit de pénitence parmi les saints cénobites. » — « Oui », réplique le héros, « cet état de vie austère que les anciens rois de notre race adoptaient pour se sanctifier quand ils avaient abdiqué l’empire en faveur de leurs enfants, nous l’avons adopté à la fleur de notre âge, nous avons été heureux de languir dans ces ermitages au fond des forêts, pour nous former à la sagesse sous des maîtres inspirés des dieux.

222. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

quelle étude pour former le seul tableau du Misantrope ou du Tartuffe ! […] Il n’en est aucune dont les beautés forment un modele générique : on ne peut juger Cinna d’après OEdipe, ni Athalie d’après Cinna. […] Eschyle lui donna des interlocuteurs ; le dialogue devient la piece, & le choeur forma l’intermede. […] De tout ce que nous venons de dire, il est aisé de se former une juste idée du jeu muet. […] Ce n’est pas le petit nombre de spectateurs qui vous environnent, qui forment le cri de la renommée.

223. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Un certain nombre de mots, réservés à l’usage familier, avaient des équivalents nobles : ainsi se forma la catégorie de synonymes dont je m’occupe. […] Haute et sérieuse, elle formera à sa ressemblance les termes qui la peignent ; elle pourra appeler à soi les mots du peuple, et même de la populace : elle leur ôtera par cette élection leur grossièreté en leur laissant leur énergie.

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