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879. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Pour nous, qui sommes incompétent sur le fond de ces doctes matières, nous nous bornerons ici à ce qui est de notre portée et de notre coup d’œil, et aussi à ce que nous demandent nos lecteurs, je veux dire à tâcher de saisir et de marquer la forme de l’esprit de M.  […] Si, par exemple, il accordait tant à la constitution municipale des vieilles cités, s’il croyait à la perpétuité de cette constitution depuis les Romains et à travers les diverses conquêtes, s’il en faisait le pivot de sa théorie politique, c’est que cela s’était passé ainsi à Brignoles et aux environs, dans la Provence ; il transportait involontairement au reste de la France cette forme permanente et latente de constitution dont la tradition locale avait tout d’abord frappé son esprit, l’avait imbu et comme affecté d’un premier amour. […] Raynouard n’était pas si loin de l’à-propos qu’on le croirait quand on l’a vu un peu agreste et rustique de forme, venant tard, de loin, marchant un peu lourdement et avec des souliers un peu gros. […] Raynouard, auteur d’ailleurs fort estimable et d’un grand talent, nous le représente comme un homme froid, impassible ami de la justice, qui n’a aucune raison d’aimer ou de haïr les Templiers, qui tremble devant un inquisiteur et qui ne semble demander que pour la forme aux Templiers un acte de soumission et de respect. […] Ce défaut, que ne corrigeaient pas suffisamment son bon sens et son exactitude de détail, me paraît essentiel dans la forme de son esprit.

880. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

» Cette méthode un peu scotique et sophistique, à laquelle Socrate lui-même ne me paraît pas avoir entièrement échappé, fut un des travers de jeunesse de Franklin ; il s’en guérit peu à peu, se bornant à garder volontiers dans l’expression de sa pensée la forme dubitative et à éviter l’apparence dogmatique. […] Il éluda cette défense en passant le journal sous le nom de son frère, le jeune Benjamin, auquel il remit à cet effet, et pour la forme, son brevet d’apprentissage avec libération ; il fut convenu toutefois, par un nouvel engagement destiné à rester secret, que Benjamin continuerait de le servir comme apprenti jusqu’au terme primitivement convenu. […] « J’approuve, pour ma part, qu’on s’amuse de temps en temps à la poésie, dit-il, autant qu’il faut pour se perfectionner le style, mais pas au-delà. » Il a pourtant lui-même, sans y songer, des formes d’imagination et des manières de dire qui font de lui non seulement le philosophe, mais quelquefois le poète du sens commun. […] Il ne contribua pas seulement à fonder par souscription la première bibliothèque commune, la première société académique (qui deviendra l’université de Philadelphie), le premier hôpital ; il leur apprenait à se chauffer au logis par des poêles économiques, à paver leurs rues, à les balayer chaque matin, à les éclairer de nuit par des réverbères de forme commode. […] Quant aux apologues et aux contes, c’était une forme habituelle chez Franklin ; tout lui fournissait matière ou prétexte.

881. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Tourguénef excelle à rendre les aspects voilés de la campagne, la terre suante en plein midi, estompant de sa vapeur grise les teintes vives et les arêtes des formes, les après-dîners dans l’ombre vague des bois, la tristesse bleutée des printemps et des automnes, surtout le « je ne sais quoi d’un azur vaporeux et mollement argentin » des belles et calmes nuits d’été. […] Tout cela forme en apparence un jeune homme entier, volontaire, dur, bien équilibré, assagi par la pratique de tout l’appareil bien coordonné des sciences, sachant diriger sa vie, se contenir ou agir d’une façon décidée. […] Que l’on considère que ces études de pathologie mentale sont écrites par un auteur qui s’entend merveilleusement à décomposer les mouvements d’âme, à manier les sentiments, à percevoir la forme particulière qu’ils revêtent dans l’individu qu’il analyse, à faire entrevoir par le clair-obscur d’un style réticent, par l’indécis des incidents contradictoires, tout le complexe de l’être qu’ils affectent, qui connaît les infinies sinuosités, les étranges mélanges de clarté et d’ombre que présente tout esprit humain, on mesurera ce que les romans de Tourguénef ont de concluant et de propre. […] La vie ne lui apparaissait pas comme cette mer aux vagues tumultueuses que décrivent les poètes ; il se la représentait unie comme une glace, immobile, transparente jusque dans ses plus obscures profondeurs ; lui-même, assis dans un petit esquif chancelant, et en bas, au fond de l’abîme sombre et limoneux, il entrevoyait vaguement, semblables à d’énormes poissons, des formes monstrueuses : toutes les misères de la vie, maladies, chagrins, démence, cécité, pauvreté. […] Mais de nouveau la forme semble devenir plus vague, le monstre descend, regagne le fond et s’y recouche, agitant à peine sa sombre nageoire.

882. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

. — De quelle façon la forme a été respectée. — Justification d’un titre, en apparence, un peu trop général […] Quant à la forme qu’on a respectée, autant qu’il était possible de le faire pour être compris des lecteurs français, elle est, espérons-nous, celle même que comporte la narration de contes populaires4 Les contes recueillis de 1904 à 1910 ont été sténographiés sous la lente dictée des narrateurs indigènes : Ahmadou Diop, Boubakar Mamadou, Amadou Kouloubaly, Ousmann Guissé, Gaye Bâ, etc. […] J’insiste sur ce point que ni le fond ni les détails n’ont eu à souffrir de ce souci d’amélioration de la forme. […] Comparaison, au double point de vue du fond et de la forme, avec les conteurs indo-européens et sémites. […] Cette catégorie peut, au point de vue forme, se subdiviser en apologues symboliques et en contes proprement dits.

883. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

De ce que la « recherche psychique » ne peut pas procéder comme la physique et la chimie, on conclut qu’elle n’est pas scientifique ; et comme le « phénomène psychique » n’a pas encore pris la forme simple et abstraite qui ouvre à un fait l’accès du laboratoire, volontiers on le déclarerait irréel. […] D’abord parurent l’astronomie et la mécanique, sous la forme mathématique que les modernes leur ont donnée. […] Après la chimie vint la biologie, qui, sans doute, n’a pas encore la forme mathématique et n’est pas près de l’avoir, mais qui n’en voudrait pas moins, par l’intermédiaire de la physiologie, ramener les lois de la vie à celles de la chimie et de la physique, c’est-à-dire, indirectement, de la mécanique. […] Une fois découvertes les lois les plus générales de l’activité spirituelle (comme le furent, en fait, les principes fondamentaux de la mécanique), on aurait passé de l’esprit pur à la vie : la biologie se serait constituée, mais une biologie vitaliste, toute différente de la nôtre, qui serait allée chercher, derrière les formes sensibles des êtres vivants, la force intérieure, invisible, dont elles sont les manifestations. […] En même temps que cette biologie vitaliste aurait surgi une médecine qui eût remédié directement aux insuffisances de la force vitale, qui eût visé la cause et non pas les effets, le centre au lieu de la périphérie : la thérapeutique par suggestion, ou plus généralement par influence de l’esprit sur l’esprit, eût pu prendre des formes et des proportions que nous ne soupçonnons pas.

884. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Cet éclat extraordinaire que jetait dès lors la tragédie, et qui faisait d’un succès dramatique un événement des fastes nationaux, cette illustration du génie poétique sous la forme la plus vivante, était renfermée dans la cité de Minerve. […] Les frères d’Eschyle, les deux guerriers dignes de son nom par leur courage, comme son courage à lui-même était digne de son génie, le pressaient un jour d’écrire un hymne à l’honneur d’Apollon ; il leur répondit « que la chose était faite dès longtemps, et pour le mieux, par le poëte Tynnichos ; que si à l’œuvre de celui-ci il opposait maintenant une œuvre nouvelle et sienne, elle aurait même fortune que les statues récentes des dieux, en présence de leurs statues antiques : c’est-à-dire que celles-là, rudes et simples, sont réputées divines, et que les autres, plus jeunes et travaillées avec plus d’art, sont admirées, mais qu’elles ont moins du dieu en elles. » Devant Eschyle, son ancien de si peu d’années, Pindare dut raisonner de même ; et, content de sa gloire lyrique renouvelée sous tant de formes, liée à tant de faits royaux et domestiques, il n’avait pas à essayer cette autre gloire du théâtre élevée si haut dans Athènes. […] Le meilleur, c’est la richesse unie à la modération. » En dehors de cette poésie funeste à ses auteurs, bien d’autres formes restaient au génie de Pindare et se liaient à la pompe des rites religieux, à l’éducation belliqueuse des cités libres du Péloponèse, aux magnificences des rois de Sicile : Pindare les cultiva toutes, sans approcher du théâtre, cette couronne privilégiée d’Athènes. […] « J’ai sous le bras, dans mon carquois », dit-il avec sa forme originale, « bien des traits qui parlent aux intelligences, mais qui, pour la foule, ont besoin d’interprètes. — 111 Tends ton arc vers le but, ô mon âme ! […] Il vient, pour ainsi dire, faire sa partie dans ce chœur funèbre de son empire ; et il s’associe par la forme et par l’accent de ses paroles aux lamentations dont il est accueilli.

885. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Partant de là, il en détermine l’idée, non pas avec profondeur, comme Hegel, mais superficiellement, avec cette préoccupation dominante de la forme extérieure des fables dramatiques, que Goethe lui reprochait283. […] Que s’ils imaginent, sous une forme positive, un dénouement plus naturel, et un personnage aussi méprisable, mais plus gai, leur imagination n’est qu’un souvenir : ce dénouement, c’est celui de quelque autre chef-d’œuvre, et ce drôle, ce sera Falstaff, par exemple. […] Il faut donc que, sous la diversité des formes particulières, toutes ces œuvres aient une essence commune, et, pour dégager ce caractère général qui doit constituer le fond de chacune d’elles, l’analyse et l’abstraction sont suffisantes. […] C’est d’après ces exemplaires éternels qu’Uranie forme son goût. […] Il consiste à dire : Le beau est un sous des formes multiples ; le comique est un sous des aspects divers ; la poésie est une sous des espèces variées.

886. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Il proclame l’existence nécessaire d’un premier moteur sans lequel le mouvement ne pourrait se produire ni durer sous aucune forme dans l’univers, et il sonde l’abîme avec une sagacité et une énergie dignes d’en découvrir le fond. […] Mais si nos regards éblouis ne peuvent soutenir l’éclat de la substance divine, si l’on ne doit l’adorer sous aucune forme sensible, parce qu’il est tout esprit, nous pouvons du moins apprendre à connaître Dieu par quelques-uns de ses attributs. […] Ces notions fondamentales de temps, d’espace, de lieu, d’infini, posent sans cesse devant l’esprit humain ; elles le sollicitent à tout instant et sous toutes les formes ; et depuis vingt-deux siècles, personne n’en a mieux parlé que le disciple de Platon et l’instituteur d’Alexandre. […] De là cette sympathie instinctive qui rassemble les hommes, et donne tant de charmes à la vie commune, même dans le large cercle d’une nationalité ; de là aussi cette sympathie bien autrement vive, parce qu’elle est plus éclairée, qui forme ces liens particuliers qu’on appelle des amitiés. […] Au fond, l’éducation, quelque particulière qu’elle puisse être, n’est sous une autre forme qu’une législation, imposée à l’enfant au lieu de l’être à des hommes ; et cette législation restreinte n’a pas d’autres bases que les législations civiles.

887. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Comme certaines sensations, par exemple celle de la chaleur, peuvent passer d’une manière continue de la forme agréable à la forme pénible, on suppose théoriquement un état intermédiaire d’indifférence. […] Tout ce qu’on peut dire, c’est que la forme ou la qualité de l’excitation doit être mise en ligne de compte. […] L’action, enfin, doit toujours se trouver en rapport avec la forme même des organes, produit de la sélection naturelle. […] Aussi les diverses formes de la vie sont-elles déjà capables d’évoluer et d’avancer leur organisation en dehors de l’influence, d’ailleurs considérable, qu’exerce la sélection naturelle. […] Des organes de ce genre ne se peuvent expliquer par aucune forme de sélection, non plus que par les actions héréditaires de l’habitude ou du manque d’usage.

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