Qu’elle consente à se relâcher un peu de l’absolu de la forme et de la rigueur affirmative, à s’interdire envers les adversaires une chaleur de réfutation trop facile, et qui déplace toujours les questions ; qu’elle permette autour d’elle à bien des faits de détail de courir plus librement sous le contrôle naturel d’un empirisme éclairé, et elle aura permis qu’on s’appuie souvent avec avantage sur elle sans s’y ranger nécessairement ; elle aura fourni un contingent utile à une œuvre pratique d’intelligence et d’indépendance qu’elle est digne d’apprécier ; car chez elle aussi, si je ne me trompe, et derrière ces grands développements de croyances, la maturité personnelle et l’expérience secrète sont dès longtemps venues142. […] Ce n’est que lorsque la poésie s’est un peu dissipée et éclaircie, que le second plan se démasque véritablement, et que la critique se glisse, s’infiltre de toutes parts et sous toutes les formes dans le talent. […] Fontenelle nous est un grand exemple : il n’avait été qu’un bel esprit contestable en poésie, un fade novateur évincé ; il devint, sous sa seconde forme, le plus consommé des critiques et un patriarche de son siècle. […] Parmi les écoles conservatrices et non pourtant ennemies du progrès, celle qui a le plus de confiance en elle-même143, et qui n’est pas encore guérie de croire à l’efficacité absolue de certaines formes et de certaines distinctions plus théoriques que vraies, a dû, ce me semble, se guérir au moins de tout dédain envers ceux qui n’ont à apporter au concours des choses publiques qu’un empirisme équitable, modéré, et qui a sa philosophie aussi dans l’histoire.
L’on a employé les formes de la démonstration pour expliquer la théorie des facultés intellectuelles ; c’est une conquête pour l’esprit philosophique. […] Les opinions les plus absurdes, les maximes les plus détestables entrent dans la tête des hommes, dès qu’on leur a donné la forme d’une idée générale. […] Le raisonnement devient alors l’arme du crime et de la sottise, le charlatanisme des formes abstraites s’unit aux fureurs de la persécution, et l’homme combine, par un monstrueux mélange, tout ce que la superstition a de furieux avec tout ce que la philosophie a d’aride. […] La preuve des combinaisons de l’esprit, est dans l’expérience et le sentiment ; et le raisonnement, sous quelques formes qu’on le présente, ne peut jamais ni changer, ni modifier la nature des choses : il analyse ce qui est.
. — Dans la physique, la décomposition du rayon lumineux et les principes de l’optique trouvés par Newton, la vitesse du son, la forme de ses ondulations, et, depuis Sauveur jusqu’à Chladni, depuis Newton jusqu’à Bernoulli et Lagrange, les lois expérimentales et les théorèmes principaux de l’acoustique, les premières lois de la chaleur rayonnante par Newton, Kraft et Lambert, la théorie de la chaleur latente par Black, la mesure du calorique par Lavoisier et Laplace, les premières idées vraies sur l’essence du feu et de la chaleur, les expériences, les lois, les machines par lesquelles Dufay, Nollet, Franklin et surtout Coulomb expliquent, manient et utilisent pour la première fois l’électricité. — En chimie, tous les fondements de la science, l’oxygène, l’azote, l’hydrogène isolés, la composition de l’eau, la théorie de la combustion, la nomenclature chimique, l’analyse quantitative, l’indestructibilité de la matière et du poids, bref les découvertes de Scheele, de Priestley, de Cavendish et de Stahl, couronnées par la théorie et la langue définitives de Lavoisier. — En minéralogie, le goniomètre, la fixité des angles et les premières lois de dérivation par Romé de Lisle, puis la découverte des types et la déduction mathématique des formes secondaires par Haüy. — En géologie, les suites et la vérification de la théorie de Newton, la figure exacte de la terre, l’aplatissement des pôles, le renflement de l’équateur328, la cause et la loi des marées, la fluidité primitive de la planète, la persistance de la chaleur centrale ; puis, avec Buffon, Desmarets, Hutton, Werner, l’origine aqueuse ou ignée des roches, la stratification des terrains, la structure fossile des couches, le séjour prolongé et répété de la mer sur les continents, le lent dépôt des débris animaux et végétaux, la prodigieuse antiquité de la vie, les dénudations, les cassures, les transformations graduelles du relief terrestre329, et à la fin le tableau grandiose où Buffon trace en traits approximatifs l’histoire entière de notre globe, depuis le moment où il n’était qu’une masse de lave ardente jusqu’à l’époque où notre espèce, après tant d’autres espèces détruites ou survivantes, a pu l’habiter Sur cette science de la matière brute, on voit en même temps s’élever la science de la matière organisée. […] Des molécules organiques partout répandues ou partout naissantes, des sortes de globules en voie de déperdition et de réparation perpétuelles, qui, par un développement aveugle et spontané, se transforment, se multiplient, s’associent, et qui, sans direction étrangère, sans but préconçu, par le seul effet de leur structure et de leurs alentours, s’ordonnent pour composer ces édifices savants que nous appelons des animaux et des plantes ; à l’origine, les formes les plus simples, puis l’organisation compliquée et perfectionnée lentement et par degrés ; l’organe créé par les habitudes, par le besoin, par le milieu ; l’hérédité transmettant les modifications acquises330 : voilà d’avance, à l’état de conjectures et d’approches, la théorie cellulaire de nos derniers physiologistes331 et les conclusions de Darwin. […] Selon que l’autorité est aux mains de tous, ou de plusieurs, ou d’un seul, selon que le prince admet ou n’admet pas au-dessus de lui des lois fixes et au-dessous de lui des pouvoirs intermédiaires, tout diffère ou tend à différer dans un sens prévu et d’une quantité constante, l’esprit public, l’éducation, la forme des jugements, la nature et le degré des peines, la condition des femmes, l’institution militaire, la nature et la grandeur de l’impôt.
C’est cet homme dont parle Pascal, qui était jeune au temps de l’antiquité, qui a pris des années depuis Pascal, qui se reconnaît dans les pensées d’un homme né trois mille ans avant lui, sous un autre ciel, dans une autre forme de société, avec d’autres dieux. […] Cette comparaison n’est pas possible dans une société qui se forme chez un peuple qui cherche sa nationalité et ses frontières. […] On peut trouver dans ses livres, soit quelques formes de raisonnement d’une application toujours efficace, soit un certain nombre d’axiomes philosophiques qui subsistent ; mais vainement prétendrait-on nous y faire voir l’idée claire de l’humanité. […] Plus tard, dans saint Thomas, elle emprunte à la philosophie ses formules, pour réduire en un corps, en une somme, toutes les vérités de la religion, présentées sous la forme de questions résolues.
Cette enfant, qui a commencé par lire Clélie, et qui s’en souviendra toujours, joue la comédie dès ses premières années, et tout désormais dans son imagination, même l’enseignement, prendra volontiers cette forme de comédie et de théâtre. […] De la grâce, de l’élégance dans la forme, une grande affabilité sociale, le discernement mondain des caractères et le talent de s’y insinuer, une teinte universelle de sentiment qui colorait et dissimulait la pédanterie, c’étaient là ses charmes dans la jeunesse. […] Ces ouvrages, remarquables par un intérêt facile, de fines observations et des portraits de société, un style coulant et clair, et de justes prescriptions de détail, sont tous plus ou moins gâtés par du romanesque, de la sensiblerie factice, de l’appareil théâtral ; et, sous leur première forme, ils ont fait leur temps. […] L’élégance commune de la forme n’y dérobe plus l’insipidité du fond, et quelques observations fines y surnagent à peine dans des flots de paroles.
La philosophie l’ennuya ; elle se faisait encore en latin et dans la forme du syllogisme : il demanda de s’en affranchir, et son père lui permit de terminer en liberté ses études sous ses yeux. […] Quelque idée qu’on se forme de la masse des hommes, on ne saurait tout à fait les haïr, quand il se trouve parmi eux quelques bons et quelques justes aussi incorrigibles que celui-là. […] Droz concourut pour l’éloge de Montaigne, et son discours aimable, qui fut distingué par l’Académie, forme comme le complément de l’Essai sur l’art d’être heureux. […] Droz sous cette première forme de moraliste sympathique et bienveillant ; je ne le suivrai pas plus longuement dans les ouvrages qui s’y rapportent.
Son frère, l’abbé Fouquet, qui l’aida à ses débuts, était un homme actif, intrigant, dévoué à Mazarin : les défauts de la famille se démasquaient en ce frère impétueux, et qui se montrait propre à tout : dans les autres membres ils se présentaient sous forme plus spécieuse et plus décente, et les projets, les vues aventureuses affectaient un air de supériorité et de grandeur, qui apparaît d’abord dans le surintendant dont nous parlons, et qu’on revit plus tard dans MM. de Belle-Isle, ses petits-fils. […] Soyons juste, et rappelons ces parties de la cause, aussi ingénieuses qu’éloquentes, et qui seraient solides s’il n’y avait eu dans le cas de Fouquet que des irrégularités et des négligences de forme. […] Un moment il parut pressentir le danger : se voyant observé et épié de près par Colbert, et ne pouvant espérer de tout justifier, il fit au roi une fausse confession ; il lui déclara qu’il s’était fait, du vivant du cardinal Mazarin, bien des choses sans que les ordres fussent en bonne forme, demandant absolution et sûreté pour le passé. […] Pellisson, qui avait été premier commis de Fouquet, et qu’on avait arrêté en même temps que lui, composa à la Bastille et fit paraître, durant le cours du procès, des Mémoires et Discours au roi, dans lesquels il alléguait en faveur du surintendant tout ce qui se pouvait dire de plus ingénieux, de plus élégant, de plus éloquent même, sous la forme académique alors en usage.
Carrel donnait là l’idéal de sa forme préférée de gouvernement : mais il restait par trop dans son rôle de journaliste, quand il accusait uniquement de ces désordres populaires le manque d’institutions Les institutions, en ces heures de trouble et de crise, ne valent que ce que vaut l’homme qui les tient en main ; il n’y a de république du Consulat que quand il y a un consul, un chef. […] Carrel n’avait rien de ces saillies à la moderne et un peu hasardées : sa forme est sévère ; elle est véritablement classique. […] L’essai d’importation du gouvernement anglais en France est pour lui, à cette date, une expérience manquée, et il se tourne en idée vers la forme de république américaine : « Les États-Unis, dit-il, n’ont eu depuis cinquante ans que des pouvoirs responsables ; ils n’en ont pas eu de coupables. […] En deux mots je désirais vous faire comprendre pourquoi Le National, qui est en très grande partie mon œuvre, n’a pas cette modération dans le ton et les formes, que vous avez louée dans ma défense.
Guizot songe toujours à la politique d’à côté : Si j’appliquais aujourd’hui à ces études historiques de 1820, dit-il dans sa préface de 1851, tous les enseignements que, depuis cette époque, la vie politique m’a donnés, je modifierais peut-être quelques-unes des idées qui y sont exprimées sur quelques-unes des conditions et des formes du gouvernement représentatif. […] Aujourd’hui, s’ils ont cessé d’être professeurs titulaires, eux qui depuis longtemps n’étaient qu’honoraires en effet, ces trois hommes célèbres sont loin d’avoir renoncé aux lettres et aux travaux de l’esprit, et c’est ici, sous cette forme nouvelle, que j’aime à leur rendre hommage et à signaler tout ce qu’ils produisent, tout ce qu’on peut attendre d’eux encore. […] Mme de Longueville a l’esprit subtil ; elle aime la gloire sous toutes les formes, et, quand elle l’a épuisée sous celle du roman et de la guerre civile, elle la retrouve et la recherche encore sous celle de la pénitence illustre et de l’humilité la plus raffinée. […] je crains que La Rochefoucauld, bien compris, n’ait en définitive raison ; car, sans nier l’élan de l’amour-propre sous sa forme sublime et glorieuse, et en se bornant à l’expliquer, c’est précisément au solennel qu’il en veut dans l’habitude de la vie, c’est à toutes les comédies même sérieuses, à toutes les emphases et à tous les charlatanismes ; il les voit, il les perce à jour, il les remet à leur place d’un mot.