Il avait, je crois, été coulé dans le faux bronze des écoles normales.
Et cette question presque insoluble de la moralité de Shakespeare, dans l’état actuel de nos connaissances, cette ignorance complète où nous sommes des vices et des vertus de cet homme dont nous ne voyons que le génie, Guizot n’en a pas souffert seulement comme historien, dans cette Vie qu’il vient de publier, mais il en a souffert aussi comme critique littéraire, et c’est ici qu’on sent doublement le faux du mot d’Emerson : « Shakespeare n’a pas d’autre biographe que Shakespeare. » S’il n’a pas d’autre biographe, il n’a pas d’autre critique non plus.
Ils ont aussi, eux sinon la faim et la soif, au moins le sentiment de la Justice, car on ne juge que pour faire justice, et tout moraliste est un juge ; mais pour la plupart, si ce n’est pour tous, l’arrêt une fois prononcé, le vice flétri, le faux démontré, la sottise livrée au ridicule, — son bourreau, — le moraliste, dans la mesure de son talent, a fait son œuvre.
Les hommes doivent à l’Histoire, bien plus qu’ils ne le pensent, ce qu’il y a de faux et de vrai dans leurs sentiments ou dans leurs idées.
Ce n’est ni dans Montesquieu, ni dans Vertot, ni dans les fausses tragédies de Voltaire, que nous trouverons le mot de la civilisation romaine, pas plus, du reste, que nous n’avons découvert, dans l’abbé Barthélemy ou la législation du draconien Saint-Just, le secret de la civilisation grecque.
Son asservissement à une opinion politique, qui se lève à chaque ligne de son livre pour la dominer, y fausse perpétuellement la justesse de son regard.
De tous les livres d’une époque d’orgueil et d’illusion qui ont des prétentions et des visées immenses, il ne restera peut-être à lire fructueusement dans un siècle que de modestes et courageux travaux d’histoire, dont on parle à peine au milieu du fracas des grandes théories et de l’usurpation des sciences fausses.
Les considérations supérieures que la modestie de l’auteur ou sa fausse manière de concevoir l’histoire semble avoir redoutées, nous en avons signalé l’absence, mais non l’impuissance, à coup sûr.
Une science si fausse et si viciée dans son origine a beau être jugée, par les esprits pénétrants et fermes, comme déjà vieille d’une décrépitude de deux jours, elle n’en paraît pas moins jeune et pleine d’avenir aux jouvenceaux du xixe siècle, et elle exerce une influence dangereuse sur les esprits qui débutent dans la vie intellectuelle, et qui vont prendre leur premier pli dans ce premier livre dont on dépend un peu toujours !