Ces trois expressions de la même pensée marquent nettement trois époques de la même poésie. […] Ainsi, Charles d’Orléans empruntait à Jean de Meung ses allégories, et à Pétrarque ses idées ; voilà pourquoi il est si rare d’y trouver un accent vrai et une expression forte. […] Cependant un assez grand nombre de pièces sont l’expression directe et sans allégorie de ses sentiments. […] Aucun événement publie ni personnel, ne le fit descendre en lui-même jusqu’à la source des accents virils et des expressions de génie. […] Le premier, Villon s’est affranchi de l’imitation des vieux romanciers ; le premier, il a tiré sa poésie de son cœur ; le premier, il a créé des expressions vives, originales, durables.
Voici une expression du mal de vivre plus intense que celle qu’on trouve dans Leopardi : « Vienne la mort, je la serre entre mes bras, je la couvre de baisers303. » Le deuxième trait de la littérature des déséquilibrés, c’est l’expression variée d’une vanité supérieure à la moyenne. […] Il n’en acheva pas moins son récit, où, par moment, l’ingéniosité de l’expression fait songer à Richepin, qui a fait des pastiches connus de ce genre de littérature. […] C’est ainsi, pour donner un exemple, que Baudelaire est l’expression de la peur irraisonnée et folle de la mort, — sentiment qui mérite qu’on y insiste. Baudelaire, empruntant à Job son expression fameuse, nous peint ainsi la grande peur qui le hante : — Hélas ! […] La vraie beauté artistique est par elle-même moralisatrice, et elle est une expression de la vraie sociabilité.
Il semble être né exprès pour justifier le mot de Cicéron : « Summa autem laus eloquentiae est, amplificare rem ornando… Le comble et la perfection de l’éloquence, c’est d’amplifier le sujet en l’ornant et le décorant. » Il est maître unique dans ce genre d’amplification que Quintilien a défini « un certain amas de pensées et d’expressions qui conspirent à faire sentir la même chose : car, encore que ni ces pensées ni ces expressions ne s’élèvent point par degrés, cependant l’objet se trouve grossi et comme haussé par l’assemblage même ». […] nous ne sommes que des comédiens. » N’oublions jamais que, dans cette éloquence si copieuse et si redoublée, chacun des auditeurs trouvait, à cause de cette diversité même d’expressions sur chaque point, la nuance de parole qui lui convenait, l’écho qui répondait à son cœur ; que ce qui nous paraît aujourd’hui prévu et monotone parce que notre œil, comme dans une grande allée, dans une longue avenue, court en un instant d’un bout de la page à l’autre, était alors d’un effet croissant et plus sûr par la continuité même, lorsque tout cela, du haut de la chaire, s’amassait, se suspendait avec lenteur, grossissait en se déroulant, et, ainsi qu’on l’a dit de la parole antique, tombait enfin comme des neiges. […] Les critiques que fait ce lecteur dont j’ignore le nom, un peu minutieuses parfois, sont la plupart d’une grande justesse : il y relève des inexactitudes et des irrégularités d’expression, des phrases embarrassées, des répétitions (le mot de goût, par exemple, répété à satiété) ; il y fait sentir les faiblesses et les incertitudes du plan, surtout vers la fin ; il y reconnaît aussi et y loue les belles parties, le tableau si vif du prince de Conti à la journée de Neerwinden, et surtout la peinture animée des grâces, de l’affabilité et du charme habituel qui le faisaient adorer dans la vie civile.
Qui prendrait la peine de lire plume en main Montaigne et d’y relever tout ce qui est dit sur les divers sujets et titres qui se rencontrent dans La Sagesse de Charron, trouverait non seulement le fond et la substance de ses pensées, mais encore la forme même et le détail de son expression. […] L’auteur a possédé sa matière et l’a tirée de son propre fonds (c’est le contraire), y mettant beaucoup de réflexions particulières ; donnant un tour singulier à celles qui sont communes, s’énonçant d’une manière propre à faire penser plus qu’il ne dit, et réveillant l’attention par la vivacité de ses expressions, quelque usées qu’elles commencent d’être… » Mais ce ne sont pas seulement les pensées, ce sont le plus souvent les expressions mêmes de Charron qui sont prises de Montaigne. […] Dans une bonne édition de Charron, à chaque passage un peu vif. à chaque expression pittoresque, il devrait y avoir une note indiquant l’endroit de Montaigne d’où c’est pris.
Je pourrais dire aussi de quelles émotions et de quelles craintes est remplie pour moi l’heure d’aujourd’hui : vous voudrez bien me dispenser de traduire un sentiment dont l’expression serait nécessairement banale, mais dont vous comprenez, j’en suis sûr, la sincérité, vous qui avez connu l’homme éminent qui m’a précédé dans cette chaire. […] Marc Monnier a signalé — après les avoir résolues — les difficultés d’un enseignement aussi vaste que celui de la littérature comparée : « Mener toutes les littératures de front, a-t-il dit ; montrer à chaque pas l’action des unes sur les autres ; suivre ainsi, non plus seulement en deçà ou au-delà de telle frontière, mais partout à la fois, les mouvements de la pensée et de l’art, cela paraît ambitieux et difficile... » Il a pu ajouter : « On y arrive cependant, à force de vivre dans son sujet qui petit à petit se débrouille, s’allège, s’égaie... » Mais ce qu’il n’a pas dit, ce sont les rares qualités d’esprit qui lui ont permis d’accomplir un tel travail et de le perfectionner d’année en année : une érudition qui s’élargissait sans cesse ; un sens critique habile à choisir entre la masse des documents les plus propres à marquer la physionomie d’un homme ou d’une époque, ou à dégager les caractères essentiels d’une œuvre ; une intelligence si enjouée qu’elle a pu, pour conserver son expression, « égayer » cette grave étude de l’histoire littéraire, si alerte, que d’heureuses échappées dans tous les domaines, elle a su rapporter des œuvres également distinguées. […] Et à chaque instant, quand nous voulons exprimer dans toute sa force quelque sentiment qui nous préoccupe, ne le trouvons-nous pas formulé tel que nous l’éprouvons par un de ces hommes de génie qui ont possédé le don si rare de l’expression ?... […] Ce sont ces règles de la végétation humaine que l’histoire à présent doit chercher ; c’est cette psychologie spéciale de chaque formation qu’il faut faire ; c’est le tableau complet de ces conditions propres qu’il faut aujourd’hui travailler à composer. » Je voudrais pouvoir, Messieurs, vous montrer comment l’illustre critique a poursuivi son programme, comment il a développé et élargi sa méthode dans sa Philosophie de l’art, comment il a osé aborder les problèmes les plus compliqués de l’esthétique, ceux de la production de l’œuvre d’art et de l’idéal dans l’art, en « naturaliste », selon sa propre expression, et « méthodiquement », en vue « d’arriver non à une mode, mais à une loi ».
Jetez les yeux sur telle œuvre de Burne-Jones ou de Watts32 et voyez si l’un ou l’autre de ces artistes semble avoir, un seul instant, possédé la notion de ce que peut valoir l’atmosphère dans une œuvre d’art, de ce que signifient la lumière et la couleur, un être vivant au plein air, un visage humain, de ce qu’est en un mot la vie dans son essence et sa réalité, dans sa multiple et permanente expression. […] Par réaliste, j’entends, dans un sens large, celui qui, ne méprisant aucun fragment, aucun aspect de la nature, en respectant la vie réelle des choses, de la communion même de ce monde extérieur avec son être propre, fait jaillir une expression vivante. Par idéaliste, je désigne celui qui, détournant son regard des choses et des êtres du monde extérieur, du monde sensuel qui nous enveloppe en un perpétuel contact, ne daigne employer les formes de la nature qu’à l’expression de ses conceptions intellectuelles. […] S’il a pour but le mensonge, j’avoue le mépriser malgré les plus admirables artifices dont il puisse entourer le mensonge ; s’il doit être au contraire l’expression d’une vérité plus profonde et plus réelle que la vérité courante, comme je le crois, il nous faut avouer que l’artiste doit, en ce cas particulier, céder le pas à l’humble photographe.
Ainsi métamorphosé, il a réfuté par une équivoque le scepticisme, doctrine immorale ; réduit la psychologie à l’étude de la raison et de la liberté, seules facultés qui aient rapport à la morale ; défini la raison et la liberté de manière à servir la morale ; prescrit à l’art l’expression de la beauté morale ; institué Dieu comme gardien de la morale, et fondé l’immortalité de l’âme comme sanction de la morale. […] Composé d’expressions vagues, il convient au « besoin d’idéal » et au rêve. Composé d’expressions élevées et grandioses, il contente le besoin d’élévation et de grandeur. Composé d’expressions philosophiques, il semble introduire partout la philosophie.
Quant à la grossièreté de certaines expressions prétendues naïves, qui n’auraient point trop révolté l’incontinence de la cour, on peut dire qu’elles y étaient ignorée. Ce qui distingue le langage des femmes du grand monde et de la cour, du langage commun, c’est moins l’usage de certains tours, de certaines formes et de certaines expressions réputées nobles et élégantes, que l’ignorance parfaite des paroles et des locutions grossières, qui ont pris naissance dans le peuple.
Platon a l’imagination vive, abondante, fertile en inventions, en idées, en expressions, en figures ; donnant mille tours différens, mille couleurs nouvelles, & toutes agréables, à chaque chose : mais, après tout, ce n’est souvent que de l’imagination. […] Quelle gloire pour l’un & l’autre Philippe, en parlant de son fils, écrivoit au philosophe : « Je rends moins grace aux dieux de me l’avoir donné, que de l’avoir fait naître pendant votre vie. » Paroles bien remarquables, ainsi que celles d’Alexandre, qui sont l’expression de la reconnoissance la plus vive : « Je dois le jour à mon père : mais, je dois à mon précepteur l’art de me conduire.