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2144. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

De là le premier problème que la nature avait à résoudre : traduire pour l’esprit les choses simultanées en choses successives, faire prendre à l’espace la forme du temps. […] Double merveille qui, si on parvenait à en découvrir le secret, nous livrerait sans doute le secret de l’esprit même. […] Puis nous rechercherons si ce mécanisme n’a point sa limite dans un élément qu’on n’y saurait réduire : non pas l’esprit pur, mais la sensation même, avec l’appétit qui en est inséparable. […] Les résidus des images successives se superposent ou se combinent ensemble dans notre esprit. […] Quand nous pensons à la faim après un bon dîner, nous n’avons guère que le mot dans l’esprit.

2145. (1908) Jean Racine pp. 1-325

C’est l’esprit modéré de Port-Royal. […] « Il a fait des pièces où il y a de l’esprit. […] Il avait beaucoup d’esprit. […] Quelques vers que j’avais faits alors tombèrent par hasard entre les mains de quelques personnes d’esprit. […] Cela, Racine l’a retranché, non par timidité d’esprit, mais par pudeur.

2146. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

tant d’indocilité dans l’esprit, au milieu de la ruine des sens ? […] Le méchant a-t-il de l’esprit ? […] « Le plus misérable des hommes, c’est le tyran. » Les deux faits qui suivent montrent que l’esprit des peuples s’écarte souvent de l’esprit des lois. […] Il en est de l’esprit comme de la gaîté naturelle : on en a toujours, et on l’a quelquefois déplacée. […] D’ailleurs, telle pensée, évidente pour un homme d’esprit, est inintelligible pour un autre.

2147. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Il n’y a pas de danger qu’on se méprenne sur ce mot Éloge : il ne saurait s’appliquer qu’au grand écrivain toujours debout et subsistant ; l’homme et le caractère sont dorénavant trop connus, trop percés et mis à jour pour que l’éloge puisse y prendre pied décidément, et quoique les appréciations de ce genre soient sujettes à de perpétuelles vicissitudes, quoiqu’il semble qu’en littérature et en morale les choses ne se passent point comme dans la science proprement dite et que ce soit toujours à recommencer, je pense toutefois qu’il y a, dans cet ordre d’observations aussi, de certaines conclusions acquises et démontrées sur lesquelles il n’y a pas lieu pour les bons esprits à revenir. […] « Je me suis convaincu depuis longtemps », m’écrivait à ce sujet un étranger qui sait à merveille notre littérature, « que, pour presque tout le monde, la vérité dans la critique a quelque chose de fort déplaisant ; elle leur paraît ironique et désobligeante ; on veut une vérité accommodée aux vues et aux passions des partis et des coteries. » Et, pour me consoler, cet étranger, qui est Anglais, ajoutait qu’une telle disposition à se révolter contre une entière vérité et sincérité de critique appliquée à de certains hommes et à de certains noms consacrés, était poussée plus loin encore en Angleterre qu’en France, où l’amour des choses de l’esprit est plus vif et fait pardonner en définitive plus de hardiesse et de nouveauté, quand on y sait mettre quelque façon. […] Cette vertu suppose un esprit de réflexion pratique, d’attention à autrui, d’occupation du sort des autres et de détachement de soi, qu’il n’a pas reçu, ce me semble, infus avec la vie, et qu’il a encore moins songé à se donner. […] Joubert, à propos de ce dernier dont il goûtait fort l’esprit et dont il avait si hautement préconisé les débuts et la jeunesse : « Je veux me brouiller avec tous les hommes, excepté avec deux ou trois. La politique a ôté aux autres la moitié de leur esprit, la moitié de leur droit sens, les trois quarts et demi de leur bonté, et certainement leur repos et leur bonheur tout entiers.

2148. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Jusque-là il avait été plus latiniste encore qu’helléniste ; mais, à ce nouveau travail et à tous ceux qu’il y joignit, il acquit bientôt une connaissance admirable de la langue grecque, non-seulement de son glossaire et de sa syntaxe, mais encore et surtout de son esprit. […] « Remercions aussi l’artiste distingué dont le ciseau a si bien servi cette pensée d’amitié et de justice, et a su figurer à nos yeux l’image et l’esprit de notre ami dans une composition heureuse. […] Lui étranger, il aurait manqué en cela du plus simple esprit de conduite. […] Que d’ailleurs la grammaire grecque de Dübner soit plus ou moins applicable à nos classes, qu’elle remplisse ou non les conditions qu’exigent l’esprit et le cerveau français, que l’auteur ait rencontré ou non dans ses exposés l’expression juste, précise et claire, c’est-à-dire française, ou qu’il ait trop retenu du jargon scolastique, je n’ai qualité, ni compétence, ni goût, pour traiter de pareilles questions. […] Un de nos hellénistes les plus distingués, et à la fois homme de beaucoup d’esprit, M. 

2149. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

Si vous l’ignorez, lecteur, le voici : « On avait cru jusqu’à ce jour en France, et depuis Gassendi jusqu’à MM. de Fontanes et Villemain, que Lucrèce, esprit rêveur et mélancolique, jeté dans le monde à une époque d’anarchie et de discordes civiles, troublé de doutes et de terreurs philosophiques à la manière de Pascal et de Boulanger, voyant l’État s’abîmer dans les crimes, et ne sachant où la destinée humaine poussait l’homme ; on avait cru que pour échapper au vertige et ne pas glisser misérablement de ces hauteurs où l’avait emporté sa pensée, il s’était jeté en désespoir sur la solution d’Épicure, s’y attachant avec une sorte de frénésie triomphante, et que de là, dans quelques intervalles de fixité et de repos, il avait voulu enseigner à ses contemporains la loi du monde, la raison de la vie, et leur montrer du doigt le sentier de la sagesse. […] Certains esprits amis de l’humanité, épouvantés de ses maux et de son délire, avaient eu recours aussi, comme le poète romain, à cette philosophie austère et sans larmes qui se pique de voir les choses comme elles sont, qui se console de la tristesse de ses résultats par l’idée de leur vérité, et qui, faisant l’homme si petit en face de la nature, et osant pourtant le maintenir dans tous ses droits, ne manque certes ni de générosité ni de grandeur. […] Mais nous avions probablement mal lu et mal compris le poète ; comme nous ne possédions pas encore la traduction de M. de Pongerville, il nous avait été impossible de saisir l’esprit de l’original et d’y découvrir ce que nul ne s’était avisé d’y voir : — quoi ? […] « Quand on a su vivre quinze ans avec Lucrèce sans se pénétrer de son esprit, il serait miraculeux qu’on eût réussi à rendre les innombrables beautés par lesquelles cet esprit se manifeste et transpire à chaque page, et presque à chaque vers.

2150. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — I »

Sans remonter si haut, si de nos jours le vénérable Goethe, dérogeant une fois à cet esprit de sagesse et d’à-propos qu’il sait porter en toutes choses, s’avisait sur la fin de sa carrière d’un effort malencontreux, qui de nous aurait le courage ou plutôt la lâcheté de relever sans pitié l’illusion du grand poëte, et de rompre par de rudes et inutiles vérités le calme religieux dans lequel il jouit de sa gloire ? […] Tout à l’heure les grandes dames leur souriaient par complaisance, et voilà que les grands seigneurs leur sourient par compassion : si les pauvres diables avaient eu tant soit peu d’esprit, il y avait là de quoi les faire mourir de rire. […] Certains de leur influence sur une société qui ne pouvait goûter que par eux les plaisirs de l’esprit, ils réunirent leurs communes prétentions à ce qu’on appelait dès lors la dignité d’un homme de lettres. […] Le tour de force n’était pas facile, et l’homme de génie n’a pas réussi à s’en tirer même en homme d’esprit. […] Si La Fayette eût attaqué franchement le club des jacobins, il n’eût pas éprouvé plus de résistance que ces jeunes gens exaltés, et il eût épargné au monde une longue suite d’horreurs. » Jusqu’à présent, on s’imaginait en France connaître passablement l’Assemblée constituante, l’esprit qui l’avait animée, et les partis divers qui s’y étaient combattus.

2151. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

La dominante de l’esprit public c’était, alors, un chauvinisme grossier mêlé de niaiserie sentimentale et d’ignorance satisfaite. […] Les esprits saturés de naturalisme sentaient naître un besoin d’idéal. […] Elle fut cela, et plus que cela, car, non contente de s’occuper de littérature, elle s’intéressa à tous les arts ; elle organisa des numéros spéciaux pour les groupes de poètes des provinces diverses, donnant ainsi une grande impulsion au mouvement décentralisateur qui occupe tant, à l’heure actuelle, les bons esprits. […] On vit à ses soirées fraterniser devant les soucoupes, des esprits aussi disparates que Jean Moréas, Charles Morice, Rachilde, Félix Fénéon, Fernand Clerget, Paul Roinard, Alexandre Boutique, Albert Samain, Paul Adam, Pierre Louÿs, Camille Lemonnier, Lugné-Poë, Jules de Marthold, Stuart Merrill, Albert Boissière, André Lebey, Paul Souchon, Georges Pioch, Maurice Magre, etc. […] De là cette inquiétude d’esprit qui fait que les meilleurs d’entre vous ne cessent pas d’évoluer et de changer de manière ! 

2152. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

La persuasion qu’il ferait régner Dieu s’empara de son esprit d’une manière absolue. […] Parfois des tentations étranges traversaient son esprit. […] C’est bien le royaume de Dieu, en effet, je veux dire le royaume de l’esprit, qu’il fondait, et si Jésus, du sein de son Père, voit son œuvre fructifier dans l’histoire, il peut bien dire avec vérité : Voilà ce que j’ai voulu. […] Le pouvoir de l’État a été borné aux choses de la terre ; l’esprit a été affranchi, ou du moins le faisceau terrible de l’omnipotence romaine a été brisé pour jamais. […] Toujours le contraste de l’idéal avec la triste réalité produira dans l’humanité ces révoltes contre la froide raison que les esprits médiocres taxent de folie, jusqu’au jour où elles triomphent et où ceux qui les ont combattues sont les premiers à en reconnaître la haute raison.

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