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201. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

L’effet de douleur que lui causa la mort de Louis XVI fut le premier coup porté à cette sensibilité profonde ; la mort de M. de Kersaint suivit de près25. […] C’est qu’au fond tout était lutte, souffrance, obstacle et désir dans cette belle âme, ardente comme les climats des tropiques où avait mûri sa jeunesse, orageuse comme les mers sillonnées par Kersaint ; c’est qu’elle était une de celles qui ont des instincts infinis, des essors violents, impétueux, et qui demandent en toute chose à la terre ce qu’elle ne tient pas ; qui, ingénument immodérées qu’elles sont, se portent, comme a dit quelque part l’abbé Prévost, d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure ; en qui chaque douleur trouve une proie facile ; une de ces âmes gênées qui se heurtent sans cesse aux barreaux de la cage dans cette prison de chair. […] Dans la première, qui a pour titre Veillez et priez, on lit31 : « Presque toutes ces douleurs morales, ces déchirements de cœur qui bouleversent notre vie, auraient été prévenus, si nous eussions veillé ; alors nous n’aurions pas donné entrée dans notre âme à ces passions qui toutes, même les plus légitimes, sont la mort du corps et de l’âme. […] Le pardon de Jésus-Christ est le vrai pardon chrétien : « Ils ne savent ce qu’ils font. » Il y a, dans ces touchantes paroles, l’excuse de l’offenseur et la consolation de l’offensé, la seule consolation possible de ces douleurs morales, où le mal qu’on nous a fait n’est, pour ainsi dire, que secondaire.

202. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

. — Lorsqu’un instrument tranchant s’enfonce dans notre chair, nous souffrons, et cette douleur, prise en elle-même et toute seule, est une sensation proprement dite. […] Quand nous éprouvons une sensation, nous la situons ; nous rapportons telle douleur, telle impression de chaleur, telle sensation de contact à la main, à la jambe, à tel ou tel endroit du corps, telle sensation d’odeur à l’intérieur du nez, telle sensation de saveur au palais, à la langue, ou à l’arrière-bouche. […] Depuis longtemps, selon la méthode ordinaire, on a distribué les sensations en classes et sous-classes, plus ou moins heureusement, d’abord d’après le genre de service qu’elles nous rendent, ensuite d’après les circonstances particulières où elles naissent et d’après l’endroit où les images associées les situent, enfin, d’après les ressemblances assez grossières que l’observation intérieure trouve en elles67. — On a fait une première famille avec celles qui dénotent les divers états du corps sain ou malade, et qui sont moins des éléments de connaissance que des stimulants d’action ; on les a nommées sensations de la vie organique, et, d’après l’appareil ou la fonction qui les provoque, on les a divisées en genres et en espèces : ici l’effort, la fatigue, et diverses douleurs déterminées par l’état des muscles, des os et des tendons ; un peu plus loin, l’épuisement nerveux et les souffrances nerveuses déterminées par l’état propre des nerfs ; ailleurs les angoisses de la soif et de la faim déterminées par l’état de la circulation et de la nutrition ; là-bas, la suffocation et un certain état tout opposé de bien-être déterminés par l’état de la respiration ; ailleurs encore, les sensations de froid et de chaud, déterminées par un état général de tous les organes ; ailleurs enfin, d’autres, comme les sensations digestives, déterminées par l’état du canal alimentaire. — À côté de cette famille, on en a formé une seconde dont les premiers genres touchent aux derniers de la précédente ; elle comprend les sensations qui ne nous renseignent point sur la santé ou sur la maladie de notre corps, et qui sont moins des stimulants d’action que des éléments de connaissance. […] La chose est bien plus visible encore si l’on compare entre elles, non plus deux sensations différentes du même sens, mais les sensations de deux sens différents, même lorsqu’elles sont produites par la même cause extérieure, par exemple le chatouillement de la peau et le son produit par les mêmes vibrations de l’air, la sensation de douleur et le cercle lumineux produit par la même compression de l’œil, les sensations de lumière éclatante, de son sifflant, de choc ou de picotement, produites par la même électricité appliquée aux différents sens.

203. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Je me sentais toute froide, mais ferme encore sur mes jambes ; je me remis dans leurs mains comme un agneau qu’on mène à la boucherie ; ils me firent sortir au milieu des sanglots du piccinino, du bargello et de sa femme ; je leur serrai la main comme pour les remercier de leur service et de leur douleur. […] Un soir, cependant, le chagrin me saisit tellement dans la nuit, que les douleurs me prirent. […] …………………………………………………………………………………………………………… J’aurais voulu assister à cette scène de retour et de l’amour dans cette solitude ; puis, je réfléchis que le bonheur suprême a ses mystères comme les extrêmes douleurs que rien ne doit profaner à de tels moments et à de tels retours que l’œil de Dieu ; que je gênerais involontairement, malgré moi, l’échange de sentiments et de pensées qui allaient précipiter ce beau jeune homme des bras de sa sposa aux bras de son oncle et de sa mère dans des paroles et dans des silences que ma présence intimiderait et qui ne retrouveraient plus jamais l’occasion de se rencontrer dans la vie. […] Les caresses de ce pauvre animal m’attestèrent une fois de plus combien il prend part aux douleurs et aux joies de l’homme.

204. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

La douleur de la haine est amère ; la joie d’aimer est douce ; la tristesse est sombre ; le souci est noir ; le regret est cuisant. […] Il n’est donc pas étonnant que la douleur et le plaisir soient associés de fait. […] Enfin, c’est déjà jouir que se souvenir, car c’est contempler des semblables et doubler sans effort le présent avec le passé ; de là cette volupté secrète qui se retrouve jusque dans le souvenir de la douleur. […] La contiguïté même devient toujours, pour la conscience, une certaine similarité : le seul fait de s’apercevoir que des choses disparates coïncident, comme une vive lumière, un son, une douleur, est déjà une conscience de similitude au sein de la différence.

205. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Nul, maintenant qu’Émile Augier est mort, ne tentera plus de raconter les douleurs, les joies, les défaillances, les passions et les préjugés d’une classe, d’une caste qui disparaîtra un jour dans l’affairement compliqué, le fracas et l’instabilité de nos sociétés modernes. […] Aussi, pour lui épargner toute angoisse, pour ne pas troubler les derniers moments de leur parent par le spectacle de leur immense douleur, tous les membres de la famille s’étaient scrupuleusement abstenus de se montrer au chevet du mourant, tant qu’on avait pu supposer qu’il pouvait entendre et voir ce qui se passait autour de lui. […] [Lytton] J’apprends avec la plus grande douleur la mort de cet illustre écrivain et vrai poète, qui a doté le théâtre français de tant de chefs-d’œuvre, et dont le souvenir sera conservé en Angleterre aussi fidèlement qu’en France. […] Lorsque la maladie est venue le clouer sur son lit de douleur, l’illustre écrivain mettait la dernière main à une pièce en cinq actes, qui eût ajouté, nul n’en doutera, un fleuron glorieux à sa couronne déjà si glorieuse.

206. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

Il en sort des malédictions et des plaintes, des chants extatiques, des blasphèmes, des cris d’angoisse et de douleur. […] Sa Joie et sa Douleur le gardent, accroupies. […] Depuis, au long des jours de désir et de haine Dont les soleils couchants meurent au fond du cœur, Celles que tu créas rêvent d’une douleur Étrangement nouvelle et fervemment humaine, Et crient au loin ton nom qui rayonne d’un feu Céleste et souterrain comme une pierre ardente, Ô poète, qui retourna l’œuvre de Dante Et mis en haut Satan et descendis vers Dieu.

207. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Des sensations de douleur et de plaisir affectant le moi, transformées par le moi en perceptions, situées par le moi dans l’espace et dans le temps, voici toute la substance de l’univers. La douleur et le plaisir déterminent ici et fixent le sujet qui disperse hors de lui, parmi les perspectives de l’espace et du temps, les causes de ses douleurs et de son plaisir.

208. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

« Il a conçu la douleur et enfanté l’iniquité 103. » Quand le même Job veut relever la grandeur de Dieu, il s’écrie : « L’enfer est nu devant ses yeux104  : — c’est lui qui lie les eaux dans les nuées 105  : — il ôte le baudrier aux rois, et ceint leurs reins d’une corde 106. » Le devin Théoclymène, au festin de Pénélope, est frappé des présages sinistres qui les menacent. […] La reconnaissance est mieux amenée dans la Genèse : une coupe est mise, par la plus innocente vengeance, dans le sac d’un jeune frère innocent ; des frères coupables se désolent, en pensant à l’affliction de leur père ; l’image de la douleur de Jacob brise tout à coup le cœur de Joseph, et le force à se découvrir plus tôt qu’il ne l’avait résolu. […] « Isaac fit entrer Rébecca dans la tente de Sara, sa mère, et il la prit pour épouse ; et il eut tant de joie en elle, que la douleur qu’il avait ressentie de la mort de sa mère fut tempérée121. » Nous terminerons ce parallèle et notre poétique chrétienne par un essai qui fera comprendre dans un instant la différence qui existe entre le style de la Bible et celui d’Homère ; nous prendrons un morceau de la première pour la peindre des couleurs du second.

209. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

épargnez une âme plus timide ; Mesurez vos malheurs aux forces d’Atalide ; Et ne m’exposez point aux plus vives douleurs, Qui jamais d’une amante épuisèrent les pleurs. […] A ma douleur je chercherai des charmes ; Je songerai peut-être, au milieu de mes larmes, Qu’à vous perdre pour moi vous étiez résolu, Que vous vivez, qu’enfin c’est moi qui l’ai voulu. […] Ce qui met le comble à sa douleur, c’est qu’il faut qu’il dispose lui-même, et sa fille, et sa femme, et Achille amant d’Iphigénie, à consentir au sacrifice qu’il redoute encore plus qu’eux tous. […] Idamé, dans l’Orphelin de la Chine, Mérope et Andromaque, sont trois mères sensibles et tendres, toutes alarmées sur le sort de leurs fils : cependant que de nuances de tendresse et de douleurs entre elles ! […] Est-elle bien placée dans le personnage accablé de douleur ?

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