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257. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Je dis que Satan, conservant de la force jusque dans sa damnation, se ressent encore par là du divin et s’y rattache. […] Soyez sûrs que s’il n’avait pas toujours le même but, il ne blasphémerait pas avec tant d’audace ; c’est la passion qu’il a pour ce but divin qui le rend si impie. […] Et n’a-t-on pas vu d’ailleurs le poète de l’action, quand la méditation des grands problèmes l’a pris, incliner son front sous la force divine, et aspirer vers l’avenir avec autant de verve et d’audace que les plus hardis penseurs ? […] L’harmonie donc entre ces trois choses, la Nature, l’Humanité, la Famille, n’existe pas pour Werther ; et la plus grande de ces trois révélations divines, l’Humanité, est aussi celle qui brille le plus faiblement et le plus rarement à ses yeux. […] Tout au plus pourrait-on dire qu’un tel caractère, peint dans toute sa vérité, est immoral à cause de ce qui lui manque, c’est-à-dire parce que Werther ne sait pas transformer en amour plus grand et plus divin cet amour qui le fait mourir.

258. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Aujourd’hui, nous avons ce choix : — ou bien un théâtre, des décors, des acteurs : des demi trompe-l’œil, l’apparence d’une forêt et les planches, ni convention pure, ni représentation artistique complète de la nature ; et les acteurs, des hommes nécessairement difformes, incapables de faire admettre qu’ils sont les dieux qu’ils singent, et ne nous laissant plus qu’ils sont simplement des porte-parole ; avec les décors de notre Opéra et les acteurs de Meiningen, un compromis entre une convention et une réalité, le faux par définition ; — ou bien le concert, c’est-à-dire nulle prétention de représentation, mais le champ libre à la conception, l’espace grand ouvert à la réalité supérieure des forêts et des hôtes divins qu’en nous suscitera l’imagination : car cette musique c’est un décor, la nuit est dans la musique où Siegmund solitaire contemple le foyer éteint, et cette musique c’est encore les personnages, je vois (et combien plus beau que M.  […]   L’œil ne pouvait l’endurer, mais l’oreille et le cœur, avec une extase de délices ténébreuses, Avec une terreur et un émerveillement dont les racines étaient la joie et la force de la pensée mise en liberté, Percevait le surgissement d’un arrêt divin, comme une aube ensoleillée surgissante aux regards,       Des profondeurs de la Mer. […] Le principe qui dans les vieux temps avec cette divine force Aryenne conquérait les pays et versait le sang, — un sang qui produit la vie, non la mort, — ce même principe, dans ces hommes, conquit l’esprit des peuples et fit couler à travers les âmes des peuples frères, historiquement séparés, le fleuve de l’humanité idéale. […] Mais cet appui de la religion la plus pure, la plus divine, ce pouvait être seulement la plus noble des races humaines ; ainsi le pur Christianisme affranchi devint nécessairement la propriété des Aryens, qui en ces temps dominaient l’Europe : dès ce moment il y avait une ère chrétienne, bien qu’il n’y eût pas encore des peuples vraiment chrétiens. […] Et cette représentation devait être un drame, car dans un drame seulement peuvent vivre les idéals ; et ce drame devait naître de la musique, car la musique seule peut exprimer l’âme profonde de l’homme, de la nature, et le Divin.

259. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Sa main du feu divin leur fut trop libérale. […] Ce sont les exclamations de La Fontaine sur le bonheur de ces deux amants, j’allais dire divins  il n’y en a qu’un qui soit divin  mais sur le bonheur de ces deux amants élyséens. […] Voilà les vers véritablement divins, pour un sujet divin, que La Fontaine a trouvés dans le poème d’Adonis.

260. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

La raison est distincte des sens ; elle surpasse la connaissance imparfaite dont ils sont capables ; elle atteint l’universel, parce qu’elle possède quelque chose d’universel elle-même ; elle participe de la raison divine, mais elle n’est pas la raison divine ; elle est éclairée par elle, elle vient d’elle : elle n’est pas elle. […] Tant que la nôtre ne les a point rapportées à l’intelligence divine, elles lui sont un effet sans cause, un phénomène sans substance. […] Ainsi la vraie unité divine n’est pas l’unité abstraite, c’est l’unité précise de l’être parfait, en qui tout est achevé. […] On ne désire guère une couleur plus vive, et l’expression est divine. […] Elle a compris le divin bienfait de la rédemption du genre humain, et sa douleur, soutenue par cette pensée, est calme et résignée.

261. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Si on lui arrache l’aveu vague qu’il a pû faire quelques fautes, elle n’a garde d’appliquer cet aveu à rien en particulier ; au contraire, elle justifie tout en détail ; et c’est peu de justifier, elle se récrie toûjours : cela est inimitable, cela est divin ! […] On leur crie d’un côté : cela est divin, et de l’autre on les reprend quand ils viennent à l’imiter ; ne vaudroit-il pas mieux leur donner du beau, des idées fixes et uniformes, sur lesquelles ils pussent régler également leur estime et leur travail ? […] Voilà le divin Platon qui proscrit le divin Homere ; c’est autel contre autel. […] Voilà une belle idée de la justice divine. […] Me D sans égard pour le divin Platon, cherche à m’accabler de ces allégories triomphantes, devant qui la raison ne tient point.

262. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

La théologie et le surnaturel n’occupent aucune place dans l’esprit de ce peuple, et Confucius n’a fait que se conformer à l’esprit de sa nation en détournant ses disciples de l’étude des choses divines 95. […] Non ; c’est que, dans tous les replis de ce que fait l’homme, est caché le rayon divin ; l’observateur attentif sait l’y retrouver. […] Presque toujours, l’admirable, le céleste, le divin reviennent de droit à l’humanité. […] Car ils ne voient pas la force divine qui végète dans toutes les créations de l’esprit humain. […] Tout ce qui est œuvre de l’esprit humain est divin, et d’autant plus divin qu’il est plus primitif M. 

263. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Il faut citer ce passage d’une souveraine beauté : Qui voit Pythagore ravi d’avoir trouvé les carrés des côtés d’un certain triangle, avec le carré de sa base, sacrifier une hécatombe en actions de grâces ; qui voit Archimède attentif à quelque nouvelle découverte, en oublier le boire et le manger ; qui voit Platon célébrer la félicité de ceux qui contemplent le beau et le bon, premièrement dans les arts, secondement dans la nature, et enfin dans leur source et dans leur principe, qui est Dieu ; qui voit Aristote louer ces heureux moments où l’âme n’est possédée que de l’intelligence de la vérité, et juger une telle vie seule digne d’être éternelle, et d’être la vie de Dieu ; mais (surtout) qui voit les saints tellement ravis de ce divin exercice de connaître, d’aimer et de louer Dieu, qu’ils ne le quittent jamais, et qu’ils éteignent, pour le continuer durant tout le cours de leur vie, tous les désirs sensuels : qui voit, dis-je, toutes ces choses, reconnaît dans les opérations intellectuelles un principe et un exercice de vie éternellement heureuse. […] Il suppose tout d’un coup un dialogue où le divin agonisant prend la parole et s’adresse à son disciple, en lui disant : Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé […] C’est par de telles pages, brûlantes, passionnées, et où respire dans l’amour divin la charité humaine, que Pascal a prise sur nous aujourd’hui plus qu’aucun apologiste de son temps.

264. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Ces âmes tourmentées de l’amour divin en inventèrent d’extraordinaires, et qui finirent bientôt par atteindre le ridicule et l’absurde. […] Citons enfin les Allumettes du feu divin, par le frère Pierre Doré, Cordelier. […] Boissière ; Aventures d’Édouard Ducoté ; Départ à l’Aventure, par Achille Segard ; l’Aventure, roman ironique de Jean Veber ; la Divine Aventure, par Pierre d’Espagnat ; et j’en passe.

265. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

C’est à travers le flot des puériles légendes, des naïves ignorances, des obscures allégories, charrié par le moyen âge, — et qui sont pour l’humanité comme ces jeux de la première enfance dont l’individu conserve un souvenir confus, — c’est, orné de cette végétation mystique, qu’il entrevoit le monument où l’humanité d’hier pétrifia son rêve du divin, et qu’il en exalte la signification tout à la fois d’orgueil et d’humilité. […] Ici, la forteresse de la foi médiévale surgit isolée de l’univers, surnaturelle, divine, solitaire ; là, elle apparaît liée à l’univers, naturelle, terrestre, solidaire. […] Elle sort du fond même de l’humanité, sans qu’il ait été besoin d’aucune révélation divine pour l’imposer.

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