Pour compléter sa théorie, l’auteur des Odes funambulesques eût pu ajouter que le véritable écrivain pense en style littéraire, et conçoit par un seul effort cérébral le fond et la forme de son œuvre ; sinon il exécute sur sa propre donnée le travail d’un enfant sur la matière de narration ou de discours que lui a fournie son maître ; il se réduit, comme MM. de Goncourt, à n’être qu’un traducteur, un rhéteur plus ou moins habile ; et sa rhétorique, si belle qu’on la suppose, ne saurait jamais atteindre de résultat plus haut que de faire illusion pour un moment et d’éblouir par son brillant superficiel.
Il sentait si bien lui-même qu’il distribuait une doctrine au lieu d’offrir un amusement, que, malgré les grâces de son imagination, les charmes de son langage, dont la douceur attirerait les plus simples des hommes, il modérait d’avance l’empressement de la foule qui aurait pu envahir l’entrée du temple, et troubler par des applaudissements la majesté sereine des discours du pontife. […] Si Rome a préparé, de son côté, la terre à l’avènement du Verbe et de son Église, comme l’a proclamé le plus grand docteur français dans ce merveilleux discours qui a fondé la philosophie de l’histoire, ce fut d’une préparation politique, administrative, en un mot toute matérielle.
Écoutez plutôt le ton de mon discours : « “Puisse notre voix être entendue des générations présentes comme autrefois elle le fut de la sérieuse jeunesse de la Restauration.
» Il proclame, à la façon de Platon, et comme chose légitime, l’antipathie entre les philosophes et les poètes il appelle saint Thomas un homme peu habile d’avoir pris la défense des histrions ; il en veut à saint Antonin d’avoir fait comme saint Thomas ; et en lui-même, mais sans en rien dire, il ne comprend pas comment Molière est si bien instruit des discours de saint Thomas et de saint Antonin.
Il y a un mot biblique qui revient souvent dans leurs livres et dans leurs discours et qui exprime bien le fond de leur caractère : « Son amour et sa haine étaient tenaces comme le sépulcre et forts comme la mort. » L’Anglais ne se soumet donc aux faits que proportionnellement pour ainsi dire, selon qu’ils répondent plus ou moins à ses instincts ; mais, comme tous les faits qui se produisent dans le milieu ambiant où il respire n’ont rien qui lui soit essentiellement contraire, la soumission se trouve plus forte que la résistance, et l’indépendance anglaise, au lieu d’avoir à s’attaquer à des ennemis véritables, n’a plus qu’à s’attaquer à des détails.
Henri Heine raconte que s’étant proposé de voir le grand Goethe, il avait longtemps préparé dans sa tête les superbes discours qu’il lui tiendrait, mais qu’arrivé devant lui, il n’avait trouvé rien à lui dire sinon « que les pruniers sur la route d’Iéna à Weimar portent des prunes excellentes contrôla soif » ; ce qui avait fait sourire doucement le Jupiter-Mansuetus de la poésie allemande, plus flatté peut-être de cette ânerie éperdue que d’un éloge ingénieusement et froidement tourné. […] Théodore Rousseau répondit : « Cela est bien difficile. » Nous allâmes, tout en continuant le discours, au Cours la Reine, à l’Élysée et aux Tuileries : différents groupes d’arbres de la disposition la plus heureuse et d’une beauté de formes qu’on aurait pas trouvée plus grande dans une forêt vierge, mais toujours avec un cachet aristocratique reconnaissable.
Bourget quand on veut établir une division dans sa production, et sans vouloir chercher s’il y a dans sa vie de conscience de quoi justifier cette distinction, il faut reconnaître que les préoccupations qui remplissent ceux de ses ouvrages qui ressortissent à ce que, pour la commodité du discours, nous appelons sa deuxième manière, sont déjà présentes dans les autres, fussent les plus anciens : sa conception du monde ni ses idées n’ont varié, mais certaines d’entre elles ont passé du second au premier plan.
Le style, pour avoir une véritable valeur, doit relever directement de la pensée ; toutes les fois qu’il n’a pas cette origine unique et souveraine, il manque de force et de vie, il interprète incomplètement les sentiments et les idées dont se compose le discours, il ne sait porter ni l’évidence dans l’esprit, ni l’émotion dans le cœur.
Pascal, qui a si bien connu toutes les faiblesses et toutes les illusions de l’esprit humain, fait remarquer qu’en réalité les vraies définitions ne sont que des créations de notre esprit, c’est-à-dire des définitions de noms ou > des conventions pour abréger le discours ; mais il reconnaît des mots primitifs que l’on comprend sans qu’il soit besoin de les définir.