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16. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Mais nous ne sommes pas à ces temps : le monde est jeune, car la pensée mesure encore une distance incommensurable entre l’état actuel de l’humanité et le but qu’elle peut atteindre ; la poésie aura d’ici là de nouvelles, de hautes destinées à remplir. […] Des hommes de génie tentent, en ce moment même, de faire violence à cette destinée du drame. […] Non, il n’y eut jamais autant de poètes et plus de poésie qu’il n’y en a en France et en Europe au moment où j’écris ces lignes, au moment où quelques esprits superficiels ou préoccupés s’écrient que la poésie a accompli ses destinées, et prophétisent la décadence de l’humanité. […]   À côté de cette destinée philosophique, rationnelle, politique, sociale de la poésie à venir, elle a une destinée nouvelle à accomplir ; elle doit suivre la pente des institutions et de la presse ; elle doit se faire peuple et devenir populaire comme la religion, la raison et la philosophie. […] Lui seul sait à quelle destinée il appelle ses créatures, et pénible ou douce, éclatante ou obscure, cette destinée est toujours parfaite, si elle est acceptée avec résignation et en inclinant la tête !

17. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Byron nous semblait porter le signe de deux destinées : d’une destinée qui s’achève, et d’une destinée qui commence ; d’un monde qui s’engloutit, et d’un monde qui surgit. […] Non, l’esprit de l’Allemagne, l’esprit religieux du Protestantisme, abandonné à lui-même, ne pourra conduire l’Humanité au but de ses destinées. […] Mais, réciproquement, non, l’esprit de la France, l’esprit irréligieux de la philosophie, livré à lui-même, ne pourra conduire l’Humanité au but de ses destinées. […] Ce qui a manqué aux artistes de notre époque, ce qui a manqué à Goethe, à Byron, et à tant d’autres, c’est de joindre, au sentiment de la nature, un sentiment également vif des destinées de l’Humanité. […] Montrez-nous, en un mot, dans toutes vos peintures, le salut de la destinée individuelle lié à celui de la destinée universelle.

18. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

La société ne repose plus sur les mêmes bases, et les peuples ont besoin d’institutions qui soient en rapport avec leurs destinées futures. […] Celui qui préside aux destinées humaines en sait plus que nous. […] Cependant l’arche d’alliance marche toujours devant le peuple : c’est le sentiment religieux, immortel comme nous ; c’est la certitude que Dieu ne cesse de veiller sur les destinées du genre humain. […] J’ai vu naguère la ville éternelle, la ville antique des souvenirs, la ville qu’un pauvre voyageur, venu de la Judée, seul, mais accompagné de la force de Dieu, rendit la ville des destinées nouvelles, la capitale du monde chrétien, comme elle avait été la ville des destinées anciennes, la capitale du monde païen. […] Notre antipathie pour le passé nous force à nous réfugier dans l’avenir ; mais nous sera-t-il permis de soulever le voile encore si imposant qui nous cache nos destinées futures ?

19. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Élève de Jean-Jacques pour l’impulsion première et le style, comme madame de Staël et M. de Chateaubriand, mais, comme eux, élève original et transformé, quoique demeuré plus fidèle, l’auteur des Rêveries, alors qu’il composait Oberman, ignorait que des collatéraux si brillants, et si marqués par la gloire, lui fussent déjà suscités ; il n’avait lu ni l’Influence des Passions sur le Bonheur, ni René ; il suivait sa ligne intérieure ; il s’absorbait dans ses pensées d’amertume, de désappointement aride, de destinée manquée et brisée, de petitesse et de stupeur en présence de la nature infinie.  […] Car la destinée d’Oberman, comme livre, fut parfaitement conforme à la destinée d’Oberman comme homme. […] Le livre, dans sa destinée matérielle, sembla lui-même atteint de cette espèce de malheur qu’il décrit. […] Cousin, alors dans sa nouveauté, occupait ces jeunes esprits ; les grands problèmes de la destinée humaine étaient leur passion ; Ossian, Byron, le songe de Jean-Paul, les partageaient tumultueusement.

20. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

La corruption est sans contredit le plus grand obstacle à la marche des destinées humaines. […] Nous l’essaierons cependant par la suite, mais avec une respectueuse circonspection ; car cet écrit, qui ne peut renfermer toutes les vérités sur lesquelles repose la société, est destiné du moins à en faire naître le sentiment, sentiment qui a quelque chose de religieux, et qu’on est trop parvenu à éteindre parmi les peuples. […] L’un avait d’antiques traditions qu’il était accoutumé à respecter ; l’autre avait l’ascendant qui ne manque jamais aux dépositaires de destinées nouvelles ; car, avant tout, il faut que la société marche. […] Puisse notre monarque, qui est venu régner aussi sur le peuple des souvenirs et sur le peuple des destinées nouvelles, consolider son ouvrage, en consommant parmi nous celui de Numa ! […] C’est toujours à cette mémorable époque du premier retour du roi qu’il faut remonter lorsque l’on veut étudier les destinées qui nous sont promises, parce que c’est là seulement que commence notre avenir.

21. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

Sous ce rapport, elles offrent à l’homme l’attrait si énergique d’un empire illimité à exercer sur le monde extérieur, envisagé comme entièrement destiné à notre usage, et comme présentant dans tous ses phénomènes des relations intimes et continues avec notre existence. […] Mais elles seront destinées à imprimer à cette dernière classe de nos connaissances ce caractère positif déjà pris par toutes les autres. […] À cette fin, ils ont imaginé, dans ces derniers temps, de distinguer, par une subtilité fort singulière, deux sortes d’observations d’égale importance, l’une extérieure, l’autre intérieure, et dont la dernière est uniquement destinée à l’étude des phénomènes intellectuels. […] On conçoit, relativement aux phénomènes moraux, que l’homme puisse s’observer lui-même sous le rapport des passions qui l’animent, par cette raison anatomique, que les organes qui en sont le siège sont distincts de ceux destinés aux fonctions observatrices. […] Mais cette condition n’est nullement nécessaire à sa formation systématique, non plus qu’à la réalisation des grandes et heureuses conséquences que nous l’avons vue destinée à produire.

22. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Les hommes ne sçauroient bien juger d’un objet dès qu’ils n’en sçauroient juger par le rapport du sens destiné pour le connoître. […] Or le poëme dont nous n’entendons point la langue, ne sçauroit nous être connu par le rapport du sens destiné pour en juger. […] C’est la destinée de la plûpart des images dont les poëtes anciens se sont servies judicieusement pour interesser leurs compatriotes et leurs contemporains. […] Ils se laissent abbatre enfin au génie de notre langue, et ils se soumettent à la destinée des traductions après avoir lutté contre durant un temps. […] Juger d’un poëme sur la traduction et sur les critiques, c’est donc juger d’une chose destinée à tomber sous un sens sans la connoître par ce sens-là.

23. (1864) Études sur Shakespeare

Elle fut, en naissant, destinée à ses plaisirs ; il prit même d’abord une part active à la fête ; aux premiers chants de Thespis s’unissait le chœur des assistants. […] La destinée humaine n’y est point connue sous ses traits les plus saillants et les plus généraux. […] Chez une nation ainsi homogène, et à travers les vicissitudes de sa destinée, le christianisme même ne joua point le rôle qui lui échut ailleurs. […] Quand on embrasse la destinée humaine sous tous ses aspects et la nature humaine dans toutes les conditions de l’homme sur la terre, on entre en possession d’un trésor inépuisable. […] La nature et la destinée de l’homme nous ont apparu sous les traits les plus énergiques comme les plus simples, dans toute leur étendue comme avec toute leur mobilité.

24. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

La révolution de 1830 a trouvé l’art en France à un certain état de développement qu’elle est venue du premier abord troubler et suspendre ; mais cette perturbation ne peut être que passagère : les destinées de l’art ne sont pas un accident qu’un autre accident supprime ; elles vont reprendre leur cours selon une pente nouvelle et se creuser un autre lit à travers la société plus magnifique et plus fertile. […] M. de Chateaubriand, plus fort, plus grand homme, et sachant mieux à quoi se prendre, frappa bien davantage ; lorsqu’il commença pourtant, il était moins que madame de Staël en harmonie avec l’esprit progressif et les destinées futures de la société, mais il s’adressait à une disposition plus actuelle et plus saisissable ; il s’était fait l’organe éclatant de tout ce parti nombreux que la réaction de 1800 ramenait vivement aux souvenirs et aux regrets du passé, aux magnificences du culte, aux prestiges de la vieille monarchie. […] Ballanche, le jeune homme, qui, plein de nobles et de sincères affections, repousse d’abord le temps présent, comme incomplet et aride, qui résiste aux destinées sociales encore incertaines, et se réfugie de désespoir dans un passé chimérique ; ce jeune homme, type fidèle de bien des âmes tendres de notre âge, finit par se réconcilier avec cette société nouvelle mieux comprise, et par reconnaître, à la voix du vieillard initiateur, c’est-à-dire à la voix de la philosophie et de l’expérience, que nous sommes dans une ère de crise et de renouvellement, que ce présent qui le choque, c’est une démolition qui s’achève, une ruine qui devient plus ruine encore ; que le passé finit de mourir, et que cette harmonie qu’il regrette dans les idées et dans les choses ne peut se retrouver qu’en avançant. […] Les destinées presque infinies de la société régénérée, le tourment religieux et obscur qui l’agite, l’émancipation absolue à laquelle elle aspire, tout invite l’art à s’unir étroitement à elle, à la charmer durant le voyage, à la soutenir contre l’ennui en se faisant l’écho harmonieux, l’organe prophétique de ses sombres et douteuses pensées. […] Juillet 1830 étant venu interrompre d’un coup le développement de poésie et de critique auquel tant de jeunes esprits se confiaient de plus en plus, nous qui acceptions cette révolution tout entière et qui la jugions alors d’une bien autre portée qu’on n’a vu depuis, nous tâchions, dès les premiers moments, de remettre l’art en accord avec les destinées nouvelles que nous supposions à la société, et de le rallier à elle dans une direction agrandie et encourageante.

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