Quand on est critique à ce degré, c’est qu’on est poète22. […] On ne sent pas le beau à ce degré de vivacité et de délicatesse, sans être terriblement choqué du mauvais et du laid. […] Aussi personne peut-être n’a-t-il eu, à un aussi haut degré que Pope, le sentiment et la souffrance de la sottise littéraire.
Saint-Simon n’était fait, à aucun degré, pour être ni ministre, ni général, ni homme de finance et de budget ; il est, pour un homme d’esprit, singulièrement court, j’allais dire inepte, sur tous ces divers objets qui font les branches principales du gouvernement des États ; il n’est pas, même dans l’ordre philosophique, un esprit supérieur ; il reste soumis et astreint aux croyances les plus étroites de son temps ; s’il lui arrive de varier en religion, c’est pour passer par les préventions des sectes et des opinions particulières, plus porté dans le principe qu’il ne l’a dit pour les Jésuites et leurs adhérents, puis tournant plus tard et avec une sorte d’âpreté au Jansénisme et à l’anti-Constitutionnalisme. […] Il est, je le répéterai à satiété, un moraliste et un peintre ; mais il est l’un et l’autre à un degré qui constitue le prodige, la merveille, et qui révèle le génie. […] Chéruel : Saint-Simon, qui n’était à aucun degré militaire, n’a pas su reconnaître ce qui a fait, bien avant Denain, le mérite et la distinction de Villars, ce qu’il avait de hardi dans les conceptions, et aussi d’habile et de prudent au besoin dans les manœuvres.
Juste image du degré d’attention de sa part et d’indifférence ! […] D’autres fois, tu t’attaques lentement et d’une ruine continue à l’enveloppe en même temps qu’au fond, tu opères degré par degré l’œuvre de destruction dans les plus florissantes natures, tu y ravages tout avec un art cruel avant de frapper le dernier coup au cœur : une vieillesse comme centenaire est empreinte sur des visages de vingt ans.
Mais il y a des degrés dans l’impuissance à construire avec des matériaux étrangers une harmonie personnelle. […] Les personnages antipathiques ont d’ailleurs chez Henry Bordeaux quelque diversité et les degrés de leur laideur disent avec précision depuis quel temps ils sont déracinés. […] Voici une de ses meilleures phrases, une des vingt qui paraîtront belles à la lecture sommeillante d’un voyageur de sleeping-car : « Comme les conquérants qui agrandissent leurs conquêtes par l’imagination, il faisait du présent victorieux le piédestal d’un avenir de gloire. » Il n’est pas besoin d’un psychologue profond (Paul Bourget lui-même suffirait à la tâche) pour remarquer qu’aux yeux d’un jeune ambitieux l’avenir n’est pas une statue précise, mais une succession de degrés qu’une lumière de féerie soulève l’un après l’autre et où monte un vertige joyeux.
L’éloquence, à ce degré, est une grande puissance ; mais n’est-ce pas aussi une de ces puissances trompeuses dont a parlé Pascal ? […] Dire en général aux gouvernants qu’il ne faut être à aucun degré révolutionnaire, ce n’est nullement leur indiquer les voies et moyens, les inventions nécessaires pour conserver ; car c’est dans le détail de chaque situation que gît la difficulté et qu’il y a lieu à l’art. […] Pour un homme toutefois qui en a, à ce degré, le respect et la religion, il se sert trop fréquemment selon moi, trop familièrement, de cette intervention mystérieuse : On a attribué, dit-il, la chute de Clarendon aux défauts de son caractère, et à quelques fautes ou à quelques échecs de sa politique, au-dedans et au-dehors.
J’aime mieux dire que, dans le cadre flatteur et sous le demi-jour enchanté où l’on nous dévoilait alors par degrés ces pages naissantes, nos impressions, les miennes comme celles de beaucoup d’autres, étaient jusqu’à un certain point commandées et adoucies par une influence aimable, à laquelle on n’était pas accoutumé de résister. […] Mais, à l’égard de Mme de Staël, l’oubli est poussé à un degré plus incroyable et qui passe tout. […] La vanité d’abord et surtout, inimaginable à ce degré dans un aussi noble esprit, une vanité d’enfant ou de sauvage ; une personnalité qui se pique d’être désabusée et qui se fait centre de toute chose, que l’univers englouti n’assouvirait pas, que tout gêne, que Bonaparte surtout importune ; qui se compare, chemin faisant, atout ce qu’elle rencontre de grand pour s’y mesurer et s’y égaler ; qui se pose à tout moment cette question, qu’il faudrait laisser agiter aux autres : « Mes écrits de moins dans le siècle, qu’aurait-il été sans moi ?
Saint-Simon était doué d’un double génie qu’on unit rarement à ce degré : il avait reçu de la nature ce don de pénétration et presque d’intuition, ce don de lire dans les esprits et dans les cœurs à travers les physionomies et les visages, et d’y saisir le jeu caché des motifs et des intentions ; il portait, dans cette observation perçante des masques et des acteurs sans nombre qui se pressaient autour de lui, une verve, une ardeur de curiosité qui semble par moments insatiable et presque cruelle : l’anatomiste avide n’est pas plus prompt à ouvrir la poitrine encore palpitante, et à y fouiller en tous sens pour y étaler la plaie cachée. À ce premier don de pénétration instinctive et irrésistible, Saint-Simon en joignait un autre qui ne se trouve pas souvent non plus à ce degré de puissance, et dont le tour hardi le constitue unique en son genre : ce qu’il avait comme arraché avec cette curiosité acharnée, il le rendait par écrit avec le même feu, avec la même ardeur et presque la même fureur de pinceau. […] Peu s’en faut qu’il n’ait fait aussi de Fénelon une de ses victimes ; car, au milieu des charmantes et délicieuses qualités qu’il lui reconnaît, il insiste perpétuellement sur une veine secrète d’ambition qui, au degré où il la suppose, ferait de Fénelon un tout autre homme que ce qu’on aime à le voir en réalité.
Ce que je dis de Venise se reproduit à des degrés divers en différents lieux. […] Mais d’autres caractères du roman sont vrais, profondément vrais, et avant tout le baron Hulot, avec cet amour effréné des femmes qui mène de degré en degré l’honnête homme au déshonneur et le vieillard à l’avilissement ; et Crevel, excellent de tout point, de ton, de geste, de plaisanterie, le vice bourgeois dans toute sa tenue et son importance.
Au plus bas degré, le cerveau peut lier des impressions indépendamment de l’intelligence, sinon indépendamment d’une sourde sensibilité et appétition diffuse. Nous pouvons ensuite nous souvenir et prendre conscience d’une coïncidence qui s’était marquée dans le cerveau mécaniquement et, à quelque degré, émotionnellement, mais sans avoir été alors remarquée par l’intelligence. […] Si les idées ou images survivent dans la lutte et se conservent, la vraie et radicale raison, c’est qu’elles enveloppent à des degrés divers des sentiments tendant à se satisfaire par tels mouvements ; les idées sont des forces parce qu’elles recouvrent des appétits plus ou moins vagues ou précis.