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141. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

L’abbé de Pons avait sur les langues une théorie qu’il développera ailleurs ; il aimait à les concevoir philosophiquement, dans leur annotation finale, abstraite, exacte, dans leur tendance rationnelle à devenir une algèbre ; il oubliait qu’elles avaient été primordialement une musique et une peinture. […] L’ignorance, c’était de ne pas se douter que l’art prosodique, le talent et la science du chant pussent être des plus développés dans Homère et d’une maturité merveilleuse, même aux origines d’une civilisation. […] Je résumerai rapidement ses idées, qu’il développera encore dans ses Réflexions sur l’éloquence ; car dans la tête de l’abbé de Pons tout s’enchaîne, et s’il est exclusif, il reste du moins parfaitement conséquent. […] Son verbe ne manque pas de marcher derrière, suivi d’un adverbe, etc. » L’abbé de Pons rend la pareille de cette moquerie au latin et aux phrases à la Cicéron, « à ces périodes immenses dont le sens vaste, mais confus, ne commence à se développer que lorsqu’il plaît au verbe dominant de se montrer, verbe que l’orateur romain s’obstine à faire marcher à la suite de toutes les idées qu’il aurait dû précéder selon l’ordre de nos conceptions ».

142. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

» Quand on voit, au seul point de vue moral, de telles métamorphoses, on maudit les révolutions, on les redoute, non pas pour sa vie, mais pour son propre caractère ; on se demande si l’on n’aurait point en soi quelque travers, quelque fausse vue ou quelque passion maligne, quelque fanatisme caché, qu’elles se chargeraient de développer ensuite et de mettre en lumière pour notre abaissement et notre honte. […] Le système de Condorcet lui venait de Turgot, et il n’en fut nullement inventeur ; il le développa seulement, l’étendit et s’attacha de plus en plus à le réaliser, à le propager. […] Quelques patriotes pensent, il est vrai, qu’il importe de laisser l’esprit public développer toute son énergie… ; qu’il n’est pas temps encore de douter du pouvoir de la raison. » Dans ses attaques contre les ministres, il en est qu’il excepte avec un soin particulier et qu’il ménage, notamment M. de Narbonne. […] Condorcet restera, quoi qu’on fasse, le plus manifeste exemple de ce que peuvent engendrer de funeste un coin d’esprit faux et d’esprit de système opiniâtrement logé au sein des plus vastes connaissances et de ce qu’on appelle lumières, un germe de fanatisme et de malignité développé au cœur d’une nature primitivement bienveillante, l’application indiscrète et outrée des méthodes mathématiques transportées dans les sciences sociales et morales, l’abus de l’analyse et une crédulité, une superstition abstraite, d’un genre tout nouveau chez ceux même qui se proclament le plus affranchis de toute illusion et de toute croyance.

143. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Je passai là quelques jours heureux dans les montagnes de Franche-Comté ; et ses parents encourageaient honorablement la liaison… Gibbon, qui n’avait point encore acquis cette laideur grotesque qui s’est développée depuis, et qui joignait déjà « l’esprit le plus brillant et le plus varié au plus doux et au plus égal de tous les caractères », prétend que Mlle Curchod se laissa sincèrement toucher ; il s’avança lui-même jusqu’à parler de mariage, et ce ne fut qu’après son retour en Angleterre qu’ayant vu un obstacle à cette union dans la volonté de son père, il y renonça. […] Voltaire, en ce temps-là, revenu de Prusse, et avant de se fixer près de Genève, essayait de cette vie nouvelle à Lausanne, où il passa surtout les hivers de 1756, 1757 et 1758 ; il y trouvait avec étonnement un goût pour l’esprit qu’il contribuait à développer encore, mais qu’il n’avait pas eu à créer : On croit chez les badauds de Paris, écrivait-il, que toute la Suisse est un pays sauvage ; on serait bien étonné si l’on voyait jouer Zaïre à Lausanne mieux qu’on ne la joue à Paris : on serait plus surpris encore de voir deux cents spectateurs aussi bons juges qu’il y en ait en Europe… J’ai fait couler des larmes de tous les yeux suisses. […] Mme Du Deffand, juge si sévère et si redoutable, et qui se lia plus tard avec les Necker, goûtait fort le mari et reconnaissait à la femme de l’esprit et du mérite ; elle disait de lui pourtant qu’au milieu de toutes ses qualités il lui en manquait une, et celle qui rend le plus agréable, « une certaine facilité qui donne, pour ainsi dire, de l’esprit à ceux avec qui l’on cause ; il n’aide point à développer ce que l’on pense, et l’on est plus bête avec lui qu’on ne l’est tout seul ou avec d’autres ». […] Le premier ministère de son mari, ou, comme elle disait moins familièrement, de son ami, lui fournit l’occasion de développer et de pratiquer en grand ses vertus.

144. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Le critique qui, par définition doit être un esprit clair, méthodique, ami des dissociations d’idées, partisan de la différenciation, oublie, tout comme les autres, les limites propres au genre qu’il a choisi : 2º Accablé par la quantité d’œuvres qu’il doit examiner, il n’a plus la lucidité nécessaire, le temps et la place de développer ses idées, d’examiner l’ensemble d’un roman ou d’une comédie. […] Pour ce public, on a développé la critique anecdotique et la littérature de documents. […] Souriant, indulgent et précis, il a développé logiquement les tendances hésitantes de notre époque. […] Nul n’a plus sûrement que lui ni avec plus de franchise développé, une critique précise, basée sur des principes immuables, sur une connaissance approfondie des chefs-d’œuvre éternels.

145. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

On voulut y suppléer en les multipliant, en les répétant, en attachant un très grand nombre de phrases accessoires à la phrase principale, en créant un faux style périodique, qui marchait toujours escorté de détails et de choses incidentes, qui, au lieu de se développer avec netteté, offusquait la vue par des embarras, et dans sa lenteur n’avait qu’une fausse gravité sans noblesse. […] De ce mélange de chocs et de réflexions, de grands intérêts et de sentiments que ces intérêts font naître, se forme peu à peu chez un peuple un assemblage d’idées, qui tantôt se développent rapidement, et tantôt germent avec lenteur ; mais rien ne contribue tant à cette activité générale des esprits que les troubles civils et les agitations intérieures d’un pays : c’est alors que la nature est dans toute sa force, ou qu’elle tend à y parvenir ; alors elle a l’énergie des grandes passions, qui ne peuvent naître que dans l’état violent des sociétés, et elle n’est point assujettie à ce frein que les sociétés reçoivent des lois, et qui, pour le bien général, comprimant tout, affaiblit tout. […] Elle forma dans les premiers rangs des hommes d’état ; dans ces hommes à qui la puissance est interdite, et qui cependant, fatigués de leur obscurité, sentaient le besoin d’en sortir et d’occuper leur siècle d’eux-mêmes, elle développa et créa les talents des arts. […] Les esprits se trouvaient dans cette disposition, quand Louis XIV, à qui il fut enfin permis d’être roi, développa son caractère, et fit naître de grands événements.

146. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

La plupart en devenaient presque dignes : leur esprit n’acquérait aucune idée, et leur âme ne se développait point par de généreux sentiments. […] Revenons aux observations générales, aux idées littéraires, à tout ce qui peut distraire des sentiments personnels ; ils sont trop forts, ils sont trop douloureux pour être développés.

147. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Il y a toute une éducation de la sensibilité, qui met de l’ordre et des nuances dans le chaos des émotions, qui surtout rend nettes et perceptibles les impressions confuses et faibles, qui développe le tact de l’âme, et fait qu’au plus léger attouchement elle frémit de joie et de peine, enregistrant les moindres phénomènes comme un instrument délicat. […] Il faut inventer des difficultés et des obstacles, imposer à son activité des conditions restrictives, se lier par des conventions, sauter le fossé quand le pont est à deux pas, se hisser à la force du bras sans autre objet que de redescendre dès qu’on sera en haut : tout cela est artificiel, mais cela développe toutes les énergies physiques.

148. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Erckmann-Chatrian » pp. 95-105

Telles sont, au vrai, les facultés naturelles, premières, développées déjà, et qu’il doit développer davantage.

149. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

L’épanouissement des frondaisons de l’arbre n’est pas une « variation » du germe ; et ce n’est pas « changer », ce n’est pas devenir autre, que de développer le contenu de sa loi, puisque, au contraire, c’est achever de devenir soi-même17. […] Afin de se former une juste idée de ce que l’on apporte aujourd’hui de bonne foi dans la discussion ou dans la polémique, je crois devoir faire observer que j’avais eu soin d’indiquer moi-même dans cette page toutes les objections que l’on m’a faites au nom de la science, et mes adversaires n’ont eu qu’à les développer. […] Admettons que, depuis le troisième ou le quatrième siècle, le christianisme se soit propagé, développé, soutenu par des moyens purement humains. […] Voilà déjà longtemps que le point de vue que j’indique a été développé par saint Vincent de Lérins dans son Commomtorium. […] Sur ce mouvement « socialiste » dont il semble que Léon XIII, après y avoir mûrement réfléchi, se soit emparé dans la célèbre Encyclique : De conditione opificum, pour le contenir, le développer dans un sens conforme à la tradition catholique, et le diriger, le meilleur livre que je connaisse est celui de M. 

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