C’est donc de Regnier, c’est de Rabelais que Saint-Amant relève, et il se rattache à eux par le côté qui n’est certes pas le plus délicat ; mais il ne déshonore pourtant point la parenté par l’entrain et l’espèce de fureur poétique qu’il porte en ces sujets de goinfrerie et de débauche. […] Et sans être un Poussin en gravité, Saint-Évremond, cet esprit délicat, n’a-t-il pas dit dans un écrit sur la vraie et la fausse beauté des ouvrages d’esprit, et en traitant de l’honnêteté des expressions : Je m’avise peut-être trop tard de faire ces réflexions ; mais c’est ordinairement lorsque l’on est arrivé où l’on voulait aller, et que l’on parle du chemin que l’on a fait et de la route que l’on a tenue, que l’on s’aperçoit de ses égarements. […] Ubicini, tome I, p. 65) ; mais cette Mme de Saint-Amand n’est autre que l’abbesse de Saint-Amand de Rouen, une Souvré, sœur de Mme de Sablé, et n’a rien de commun avec notre poète qui hantait peu ces délicate.
Vers 1817, âgé de cinquante ans, délicat et maladif, mêlé malgré lui aux agitations de la politique alors si ardente, Maine de Biran s’en, isolait le plus qu’il pouvait ; homme de recueillement, il habitait en lui, n’était heureux que là, les jours où la pensée lui était plus facile. […] Ici je me récuse ; je demande à ne pas entrer dans ces guerres de méthode, dans ces dissections délicates qui pénètrent jusqu’au vif, et à rappeler simplement que, à quelque point de vue qu’on se place pour le juger, M. […] Si l’impression qui en reste est celle de la force, la qualité qui jusqu’ici lui a le plus manqué est la douceur, la grâce : un des derniers articles qu’il a écrits, et qui a pour sujet ou pour prétexte La Princesse de Clèves, de Mme de La Fayette, montre pourtant qu’il sait toucher, quand il le veut, les cordes délicates et qu’il a en lui bien des tons.
Viguier, l’helléniste délicat de l’École normale ; et c’était chez le père de ce dernier, je le crois bien, que le dîner avait lieu. […] Le souvenir même de ces séances, racontés par des témoins judicieux et délicats, deviennent infidèles et se transforment, se dénaturent, tellement qu’on ne retrouve plus dans la notice lue ce que les auditeurs croient y avoir entendu d’excessif et presque de ridicule. […] si l’on est d’un art particulier, tout en restant le confrère et l’ami des artistes, savoir s’élever cependant peu à peu jusqu’à devenir un juge ; si l’on a commencé, au contraire, par être un théoricien pur, un critique, un esthéticien, comme ils disent là-bas, de l’autre côté du Rhin, et si l’on n’est l’homme d’aucun art en particulier, arriver pourtant à comprendre tous les arts dont on est devenu l’organe, non-seulement dans leur lien et leur ensemble, mais de près, un à un, les toucher, les manier jusque dans leurs procédés et leurs moyens, les pratiquer même, en amateur du moins, tellement qu’on semble ensuite par l’intelligence et la sympathie un vrai confrère ; en un mot, conquérir l’autorité sur ses égaux, si l’on a commencé par être confrère et camarade ; ou bien justifier cette autorité, si l’on vient de loin, en montrant bientôt dans le juge un connaisseur initié et familier ; — tout en restant l’homme de la tradition et des grands principes posés dans les œuvres premières des maîtres immortels, tenir compte des changements de mœurs et d’habitudes sociales qui influent profondément sur les formes de l’art lui-même ; unir l’élévation et la souplesse ; avoir en soi la haute mesure et le type toujours présent du grand et du beau, sans prétendre l’immobiliser ; graduer la bienveillance dans l’éloge ; ne pas surfaire, ne jamais laisser indécise la portée vraie et la juste limite des talents ; ne pas seulement écouter et suivre son Académie, la devancer quelquefois (ceci est plus délicat, mais les artistes arrivés aux honneurs académiques et au sommet de leurs vœux, tout occupés qu’ils sont d’ailleurs, et penchés tout le long du jour sur leur toile ou autour de leur marbre, ont besoin parfois d’être avertis) ; être donc l’un des premiers à sentir venir l’air du dehors ; deviner l’innovation féconde, celle qui sera demain le fait avoué et’reconnu ; ne pas chercher à lui complaire avant le temps et avant l’épreuve, mais se bien garder, du haut du pupitre, de lui lancer annuellement l’anathème ; ne pas adorer l’antique jusqu’à repousser le moderne ; admettre ce dernier dans toutes ses variétés, si elles ont leur raison d’être et leur motif légitime ; se tenir dans un rapport continuel avec le vivant, qui monte, s’agite et se renouvelle sans cesse en regard des augustes, mais un peu froides images ; et sans faire fléchir le haut style ni abaisser les colonnes du temple, savoir reconnaître, goûter, nommer au besoin en public tout ce qui est dans le vestibule ou sur les degrés, les genres même et les hommes que l’Académie n’adoptera peut-être jamais pour siens, mais qu’elle n’a pas le droit d’ignorer et qu’elle peut même encourager utilement ou surveiller au dehors ; enfin, si l’on part invariablement des grands dieux, de Phidias et d’Apelle et de Beethoven, ne jamais s’arrêter et s’enchaîner à ce qui y ressemble le moins, qui est le faux noble et le convenu, et savoir atteindre, s’il le faut, sans croire descendre, jusqu’aux genres et aux talents les plus légers et les plus contemporains, pourvu qu’ils soient vrais et qu’un souffle sincère les anime.
Il ne faut pas que le secrétaire se presse et empiète sur son chef, qu’il devance d’une minute son moment, qu’il commence par en faire à sa tête et par se poser en personnage, sur un pied à lui, comme Chateaubriand prétendit faire à Rome avec le cardinal Fesch ; il ne faut pas qu’il laisse soupçonner ni percer, comme on l’a vu récemment chez un secrétaire revêtu d’un nom illustre (Bellune), une inclination politique différente de celle de son ministre : cela est élémentaire ; il faut qu’il vive en parfaite harmonie et ne fasse qu’un avec lui, qu’il s’efface soigneusement et qu’il s’éclipse, et en même temps toutefois qu’il se tienne tout prêt, le cas échéant, à le remplacer, à le suppléer, à faire même, s’il y a urgence, un pas décisif sans lui ; il peut, sous ce titre secondaire, être chargé par intérim de missions délicates et d’une haute importance. […] Celui-ci, interpellé soudainement sur un sujet aussi délicat, répondit avec un peu d’embarras qu’aucune instruction de sa Cour ne l’autorisait à traiter d’un mariage entre une princesse de Naples et le fils de l’Impératrice : « Il ne pouvait donc soumettre à la reine que ses opinions personnelles ; il lui semblait que, dans l’intérêt de sa maison et de ses peuples, elle devrait favoriser une semblable union ; Eugène de Beauharnais avait toute l’affection de l’Empereur, et de grandes destinées semblaient promises à ce jeune homme. » La reine demeura quelque temps sans répondre : un sourire amer parut un moment sur ses lèvres ; elle semblait agitée intérieurement par des réflexions pénibles ; enfin elle rompit le silence et dit, comme avec effort, qu’elle n’avait aucune objection à élever contre la personne du jeune Beauharnais : « Mais il n’avait pas encore de rang dans le monde ; si, plus tard, la Providence l’élevait à la dignité de prince, les obstacles qui s’opposaient aujourd’hui à une pareille alliance pourraient être écartés. » Le moment une fois manqué ne revint pas. […] Alquier qu’il eût fallu laisser la tâche si délicate d’opérer un rapprochement ; cet ambassadeur avait porté dans sa mission trop de violence et de fiel.
On remarquera pourtant dans son poëme En Médoc une veine poétique amoureuse assez délicate, un talent de description harmonieux et nuancé ; voulez-vous, par exemple, une charmante aurore ? […] La Harpe, dans sa chétive personne, presque aussi exiguë que celle de Pope, sous cette enveloppe petite et frêle, que tous ces hommes gros et gras lui reprochaient grossièrement, avait des qualités vives, des susceptibilités fines, des nerfs délicats ; il sentait en lui un principe supérieur, une flamme, ce qui est devenu à certain jour un flambeau, ce qui lui a fait entreprendre et mener à bien les belles parties de son Cours de Littérature. […] Monselet l’a traité avec amour, j’allais dire avec appétit, en homme qui aurait voulu être de ces fameux soupers de février 1783, dans cette maison du coin des Champs-Elysées (aujourd’hui le Cercle impérial), avec les Trudaine, André Chénier, Fontanes, et même le délicat M.
Ayant épousé en secondes noces une Béthune, veuve elle-même du marquis de Grancey, il avait trouvé en elle une compagne aimable, une auxiliaire active et habile autant que délicate, la grâce jointe à de la vertu. […] Assez délicat de complexion, on n’avait rien négligé pour le fortifier de bonne heure et l’aguerrir. […] Le comte de Gisors y fit l’apprentissage de l’une et de l’autre ; et il semble que, s’il eût vécu davantage, c’est à cette seconde carrière, la diplomatie, que sa délicate santé comme ses goûts l’eussent définitivement porté.
C’est là une délicate question, sur laquelle on ne peut exprimer que des conjectures : j’ai hasardé la mienne ; elle n’a rien d’irrévérent pour le génie de Racine. […] Le procédé en est d’ordinaire analytique et abstrait ; chaque personnage principal, au lieu de répandre sa passion au dehors en ne faisant qu’un avec elle, regarde le plus souvent cette passion au dedans de lui-même, et la raconte par ses paroles telle qu’il la voit au sein de ce monde intérieur, au sein de ce moi, comme disent les philosophes : de là une manière générale d’exposition et de récit qui suppose toujours dans chaque héros ou chaque héroïne un certain loisir pour s’examiner préalablement ; de là encore tout un ordre d’images délicates, et un tendre coloris de demi-jour, emprunté à une savante métaphysique du cœur ; mais peu ou point de réalité, et aucun de ces détails qui nous ramènent à l’aspect humain de cette vie. […] Quoi qu’il en soit, il énonçait à coup sûr, dans cette lettre à l’Académie, l’opinion de plus d’un esprit délicat, de plus d’un académicien de son temps, et Racine lui-même se serait probablement entendu avec lui pour critiquer sur beaucoup de points la diction de Molière.
Beaucoup de pensées de cette espèce commencent ainsi : Il y a une douceur secrète… Il y a je ne sais quel charme… Il y a un plaisir délicat… Par exemple : Il y a un plaisir délicat, pour un bel homme, à respecter la femme de son ami. […] Une femme dont presque toute la vie se passe dans le monde, en réceptions et en conversations, une femme entourée et courtisée et dont la présence seule met les vanités en éveil et aussi les désirs et les tendresses, ne doit-elle pas, avec son intelligence plus rapide et sa sensibilité plus délicate, recueillir dans la comédie mondaine de plus fines impressions que nous, mieux saisir certaines faiblesses ou certains ridicules, démêler en elle et autour d’elle, de plus rares complications ou de plus subtiles nuances de sentiments ?
Le frêle et délicat Henri Degron y susurrait des airs mièvres avec indolence et semblait un jeune prince annamite, privé de soleil, s’étiolant sous la rigueur de nos climats. […] Fier de servir un homme illustre dont le nom emplissait les journaux, il s’était laissé aller à cette inspiration délicate. […] Je connais le prix d’un beau vers, mais aussi d’une rose, d’un vin de cru, d’une cravate adaptée et d’un mets délicat. » Je résume ainsi les propos d’Oscar Wilde, mais ce que je n’en puis rendre c’est le tour et l’expression.