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1159. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

S’il avait survécu à la Terreur, c’était bien différent : il est à croire que le côté politique, qui fait la moindre portion et comme un accident de son œuvre actuelle, se fût de beaucoup accru et développé ; que nous aurions eu de lui plus d’ïambes et de nobles invectives, des hymnes guerrières et tyrtéennes, quelque grande et romaine poésie du Consulat. […] Les plus grandes places de poëtes sont dues, à coup sûr, à ceux qui ont mis de puissantes facultés d’imagination, de sensibilité et d’intelligence, au service des intérêts et des sentiments d’un grand nombre de leurs concitoyens et de leurs contemporains ; qui les ont soutenus, animés, récréés, ennoblis ; qui les ont aidés à pleurer, à espérer, à croire, soit dans un ordre purement héroïque et humain, soit par rapport aux choses immortelles. […] Aujourd’hui cette école est dissoute ; on se montre, on s’est montré même autour de nous148 bien sévère pour elle, par des raisons judicieuses qu’il serait possible, je crois, d’atténuer plutôt que de détruire. […] La vérité est que Béranger, non-seulement n’a jamais goûté André Chénier, mais s’est obstiné jusqu’à la fin à croire que c’était en grande partie une invention de Latouche.

1160. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

Et quand on croit l’avoir bien aperçu et qu’on l’exprime avec assurance, pour ne point avoir à craindre de rencontrer des observateurs informés de plus près, est-on plus certain d’avoir pénétré par conjecture jusqu’à l’intime vérité ? […] Mais cette bienveillance, si l’on veut prendre la peine d’en peser l’expression et d’en démêler la pensée, ne semblera pas aussi complaisante qu’on le croirait à un premier coup d’œil, et elle ne va jamais, je l’ose dire, jusqu’à fausser et altérer la vérité. […] Un quatrième volume suivra plus tard les trois qui se trouvent publiés aujourd’hui, et suffira, nous le croyons, à compléter l’ouvrage. […] Mais, contre ce qu’on croyait prévu, la première édition, non épuisée, du premier volume a continué de se débiter de préférence à la seconde, qui n’a été mise qu’incomplètement en circulation, et que l’auteur signale aux gens du métier, parce que c’est en définitive sur elle que, pour ces débuts critiques, il aimerait à être jugé. »

1161. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Le Comte Walewski. L’École du Monde »

Une autre chose l’aurait pu frapper aussi, ce me semble, c’est le danger d’illusion et le travers auquel se trouve exposé un galant homme qui, jeté, jeune et riche, au milieu de l’éclat et des politesses du monde, et s’avisant un beau jour de s’y vouloir faire une réputation d’auteur, se met à croire à tous les compliments qui lui arrivent, et aux cartes de visites sur lesquelles on lui crayonne des bravos. […] J’admire et je vénère le talent d’un illustre poète, je crois aux grandes qualités de son cœur ; mais le cœur humain est là aussi, et je me risquerai à dire qu’une pièce de théâtre qui lui fera motiver au crayon un si chaleureux bravo, sera celle qui n’inquiétera jamais sa gloire. […] Je crois que l’un et l’autre existent plus qu’il ne l’a dit, et lui-même, il le sait aussi bien que moi. […] Dampré est vrai, je le crois volontiers ; nous savons tous une quantité de Dampré qui ne sont occupés, en effet, qu’à ce genre de séduction et à tendre leurs filets soir et matin.

1162. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

On réussit, on entre, on a échappé par ce coup hardi à l’escadre anglaise qui se croyait assurée de sa capture. […] Vous pouvez croire cependant qu’il ne s’en doute guère, car toutes mes lettres sont des querelles. […] Je l’ai jeté, exprès dans un commandement isolé et en chef, car je ne crois pas au proverbe que pour savoir commander il faut savoir obéir. » La campagne de Prusse donna au prince Jérôme une occasion de prouver la bonté naturelle de son cœur. […] Le jeune général en chef, qui ne l’était plus, crut qu’il y allait de son honneur de roi de se démettre.

1163. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Rêveries sur un empereur »

Si vous admettez ces trois propositions, qui n’ont, je crois, rien de téméraire, et si vous essayez d’en tirer les conséquences bravement, naïvement et dans un esprit d’optimisme, vous serez vous-même surpris du rêve que vous édifierez peu à peu et comme malgré vous. […] Je ne crois pas qu’un prince ait jamais affirmé plus hautement ses devoirs et, parmi ses devoirs, celui auquel les princes pensent généralement le moins. […] Ils ne croient plus à leur droit divin. […] Le bon tyran de nos rêves méditerait le désarmement de tous les États de l’Europe ; et comme il serait sincère, comme il serait assez fort pour le proposer et même pour le commencer, on le croirait.

1164. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

Or, cette docilité vaniteuse, cette fausse hardiesse d’esprits médiocres et vides, cette ardeur pour les nouveautés uniquement parce qu’elles sont des nouveautés ou que l’on croit qu’elles en sont, tout cela est très humain ; et c’est pourquoi, si le mot de snobisme est récent dans le sens où nous l’employons, la chose elle-même est de tous les temps. […] Je crois vraiment que quelques-uns des événements les plus heureux de notre littérature, et par exemple l’épuration et l’affinement de la langue dans la première moitié du dix-septième siècle, l’entrée des sciences politiques et naturelles dans le domaine littéraire au dix-huitième, le mouvement sentimental et naturiste provoqué par Jean-Jacques, et l’évolution romantique suivie de l’évolution réaliste qu’a suivie la réaction idéaliste, un peu trouble, à laquelle nous assistons, ne se seraient point accomplis aussi vite sans les snobs. […] Les bons esprits se méfient ; ils sont tentés de croire que « tout a été dit depuis qu’il y a des hommes et qui pensent. » Ils ont la manie de reconnaître des choses très anciennes dans ce qu’on leur présente comme nouveau. […] Il n’y aurait pas d’histoire littéraire possible, ni même concevable, si la multitude n’en croyait quelques-uns sur parole.

1165. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Nous connaissons mieux encore, par ses lettres, le cœur inquiet et hospitalier de George, sa prodigieuse facilité à croire, quand elle aimait, qu’elle aimait uniquement avec son âme (et cela, au fort des démonstrations les plus concrètes) et à se figurer qu’elle souffrait le martyre quand elle n’aimait plus. Nous y voyons (et cela est neuf) que la multiplicité de ses amours vint de ce qu’elle se croyait d’un tempérament froid, et que c’était cette persuasion, un peu humiliante, qui l’incitait à plus d’expériences qu’elle n’eût voulu… Nous y découvrons aussi qu’elle ne commença à aimer Musset « pour de bon » qu’à partir du jour où, l’ayant trompé, elle le congédia : et ce nous est une nouvelle preuve qu’elle fut une personne d’une extraordinaire imagination. […] Et cela nous avertit de ne pas croire trop ingénument à leur souffrance, et de réserver notre pitié pour les vrais malheureux. […] Car enfin il est difficile de croire que cet esprit si complexe, si délicat et généreux à quelques égards, ait été, en cette occasion, purement et simplement abominable.

1166. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VII. L’Histoire de la Physique mathématique. »

Ils auraient cru être hardis dans leurs prédictions, et combien, après l’événement, nous les trouverions timides. […] Plus récemment, Briot croit avoir pénétré le dernier secret de l’Optique quand il a démontré que les atomes d’éther s’attirent en raison inverse de la 6e puissance de la distance ; et Maxwell, Maxwell lui-même, ne dit-il pas quelque part que les atomes des gaz se repoussent en raison inverse de la 5e puissance de la distance. […] Cette conception n’était pas sans grandeur ; elle était séduisante, et beaucoup d’entre nous n’y ont pas définitivement renoncé ; ils savent qu’on n’atteindra les éléments ultimes des choses qu’en débrouillant patiemment l’écheveau compliqué que nous donnent nos sens ; qu’il faut avancer pas à pas en ne négligeant aucun intermédiaire, que nos pères ont eu tort de vouloir brûler les étapes, mais ils croient que quand on arrivera à ces éléments ultimes, on y retrouvera la simplicité majestueuse de la Mécanique Céleste. […] Croyez-vous que la seconde phase aurait pu exister sans la première ?

1167. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

Notre fête serait plus complète, si vos maîtres attristés par de récents désordres2 avec lesquels vous n’avez aucune solidarité, n’avaient cru devoir manquer à cette réunion. […] Ne vous croyez pas obligés de prendre des airs consternés, parce que les choses ne vont pas de la façon que vous croyez la meilleure. […] Ne croyons jamais être nécessaires à la partie ; il suffit qu’à un jour donné nous puissions lui être utiles.

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