Il n’a fallu rien moins, pour m’apaiser, que la supériorité absolue du Mémoire (car c’en est un) de Barthélemy Saint-Hilaire ; de ce chef-d’œuvre de critique impartiale, juste et presque généreuse, dont le double caractère est d’augmenter, par la manière dont il les expose et par le parti qu’il en tire, le désir de lire ces histoires, et de pouvoir en dispenser. Pour ma part, je ne crois pas du tout que le livre de Barthélemy Saint-Hilaire ait été simplement inspiré par les recherches et les travaux de Muir, Sprenger et Caussin de Perceval, les modernes historiens de Mahomet, rencontrés au courant des vastes lectures de l’auteur, dans une flânerie critique ou historique quelconque. […] II C’est le dernier siècle, surtout, — ce charmant xviiie siècle, dont la Critique historique d’aujourd’hui ose bien se vanter d’être la fille, — qui a été dur pour ce pauvre Mahomet jusqu’à la calomnie, et jusqu’à la caricature dans la calomnie !
Jannet, — lequel, par parenthèse, respecte sa fonction d’éditeur et la fait respecter, — nous n’avons guère, en fait de livres, que des choses laides et fragiles, contre lesquelles la Critique, au nom même de l’esprit, doit s’élever avec vigilance. […] Excepté donc le Premier soleil, La Ville enchantée et quelques fragments des Satires où le rythme et la langue se remettent à jaillir, en plusieurs reprises étincelantes et trop courtes, à travers d’horribles et d’insensés jargons d’atelier, d’estaminet et de coulisses, il n’y a rien pour la Critique que des sujets d’étonnement douloureux et de pitié dans ce volume, dont tout le mérite appartiendra à l’éditeur. […] Seulement, la Critique doit-elle le souffrir ?
Peut-être cette fidélité historique a-t-elle causé la froideur des critiques de Shakespeare sur la tragédie de Jules César. […] Plusieurs critiques ont même prétendu qu’elle n’avait été que retouchée par lui. […] Cette intention de satire se remarque surtout dans le choix des caractères, qu’on pourrait appeler une véritable critique du cœur de l’homme eu général dans toutes les conditions de la vie. […] Un critique moderne ne voit qu’une froide vertu dans la conduite de cette jeune novice : il l’eût préférée plus touchée du sort de son frère, et prête à faire le sacrifice d’elle-même. […] Que les critiques comparent, s’ils le veulent, cette pièce à un édifice irrégulier et informe, mais qu’ils conviennent qu’Imogène est une divinité digne d’orner un temple de la plus noble architecture.
— L’Essai sur la critique. […] Cette forme régnante de pensée s’impose à tous les écrivains, depuis Waller jusqu’à Johnson, depuis Hobbes et Temple jusqu’à Robertson et Hume ; il y a un art auquel ils aspirent tous ; le travail de cent cinquante années, pratique et théorie, inventions et imitations, exemples et critique, s’emploie à l’atteindre. […] Walsh déclarait que « ce n’était point flatterie de dire qu’à cet âge Virgile n’avait rien fait d’aussi bon. » Quand plus tard elles parurent en volume1102, le public fut ébloui. « Vous avez déplu aux critiques, écrivait Wycherley, en leur plaisant trop bien. » La même année, le poëte de vingt et un ans achevait son Essay on Criticism, sorte d’art poétique ; c’est le poëme qu’on fait à la fin de sa carrière, quand on a manié tous les procédés et qu’on a blanchi dans la critique ; et dans ce sujet qui réclame, pour être traité, l’expérience de toute une vie littéraire, il se trouvait d’emblée aussi mûr que Boileau. […] L’Essai sur la critique ressemble aux Épîtres et à l’Art poétique de Boileau, excellents ouvrages qui ne sont plus lus que dans les classes. […] Maintenant qu’il est à terre, les critiques le ramassent, le pendent à la vue de tous dans leur musée de curiosités antiques, le secouent et tâchent de conjecturer d’après lui les sentiments des beaux seigneurs et des beaux parleurs qui le portaient.
« Il s’efforce d’aimer et de croire, parce que c’est là-dedans qu’est le poète : mais sa marche vers ce sentiment est critique et logique, si je puis ainsi dire. […] Ceux qui veulent bien me juger aujourd’hui avec une faveur relativement égale à celle de mes juges d’autrefois, trouveront une explication toute simple, et ils l’ont trouvée : « Je suis critique, disent-ils, je devais l’être avant tout et après tout ; le critique devait tuer le poète, et celui-ci n’était là que pour préparer l’autre. » Mais cette explication n’était pas, à mes yeux, suffisante. […] J’étais poète avant tout en 1829, et je suis resté obstinément fidèle à ma chimère pendant quelques années, la critique n’étant guère alors pour moi qu’un prétexte à analyse et à portrait. […] Vous changeâtes de nature et d’existence comme nous avions fait tous, et vous devîntes ce que vous êtes resté depuis, un prosateur toujours grandissant, le premier des critiques. […] Votre critique ne s’est plus bornée au mot, comme celle de La Harpe, ce pédant estimable de la jeunesse ; la pédagogie n’est pas votre fait ; vous allez aux choses ; vous êtes moraliste plus que critique dans vos considérations, vous êtes le Quintilien des idées ; votre littérature est une histoire de l’esprit humain dans ces derniers temps ; votre Cours est le cours du siècle, et les anecdotes personnelles dont vous l’enrichissez le rendent aussi intéressant pour l’esprit qu’instructif.
Ses livres sont des plus suggestifs que je connaisse ; ils traitent, avec une égale compétence, d’économie politique, d’histoire, de critique littéraire, d’esthétique, de philosophie pure. […] Les artistes et, avec eux, les critiques, les amateurs d’art, ne sont-ils pas soumis à des modes qui les trompent sur la valeur réelle de l’expression choisie par eux ? […] Croce pour D’Annunzio, mais je n’en recommande pas moins vivement la lecture de son étude, où d’ailleurs les critiques ne manquent pas. […] C’est surtout contre la règle des trois unités que la critique s’est acharnée. […] Je soumets à la critique une autre explication encore.
Il ferma les commentateurs et les critiques, et se mit à étudier les originaux, comme on l’avait fait à la renaissance des lettres. […] Il abandonna les critiques, les commentateurs, et ferma même les dictionnaires. […] Il lut les auteurs dans des éditions sans notes, en cherchant à pénétrer dans leur esprit avec une critique philosophique. […] Ajoutons à cette critique, que, dans la première édition, il conçoit pour l’humanité l’espoir d’une perfection stationnaire. […] Le critique bienveillant rappelle à cette occasion l’hérésie d’un Alméricus (p. 139), dont on jeta, les cendres au vent.
S’il regrette que le public « ou ceux qui le gouvernent sous une autorité suprême », les grands critiques d’alors, ne traitent pas plus favorablement ce qu’il n’a cessé de leur offrir, il se dit qu’il y a des destinées contre lesquelles on ne se défend pas : « Tant il est aisé de voir, conclut-il avec un accent de componction, que, par une certaine fatalité inviolable, les uns sont choisis et les autres sont délaissés ! […] Tenez à bonheur de n’être pas à son goût, c’est pour vous le meilleur signe du monde28… En est-ce assez pour ruiner et anéantir la page de Sorel, lequel, comme critique, n’a jamais compté ? […] Boileau n’a jamais nommé Marolles, et il n’y a rien d’étonnant : Marolles était au-dessous de la critique de Boileau. […] — Marolles vérifie, à la lettre, ce qu’Horace a dit, à la fin de son Art poétique, et que des critiques, gens de goût, ont trouvé un peu, exagéré : Ut mala quem scabies, aut morbus regius urget, Aut fanaticus error et iracunda Diana, Vesanum tetigisse timent fugiuntque poetam Qui sapiunt… Il en est le vivant commentaire, avec cette seule différence qu’il n’est pas un fou furieux qui poursuit de ses vers les passants dans la rue, mais un fou débile, atteint d’une des variétés du delirium senile, opiniâtre de politesse, qui désole et afflige les gens de ses envois et cadeaux à domicile. […] [NdA] Dans un écrit de Furetière, Nouvelle Allégorique, ou histoire des derniers troubles arrivés au royaume d’Éloquence (1659), on lit : « Il y vint (à l’armée du Bon Sens) un illustre abbé de Marolles, qui poussa ses conquêtes jusques dans les terres de Tibulle, Catulle, Properce, Stace, Lucrèce, Piaule, Térence et Martial ; terres auparavant inconnues à tous ceux de sa nation ; cependant il les dompta, et les mit sous le joug de ses sévères versions, et il les traita avec telle exactitude et rigueur, que de tous les mots qu’il y trouva, il n’y eut ni petit ni grand qu’il ne fît passer au fil de sa plume, et qu’il n’obligeât à parler français et à lui demander la vie… » Ce jugement ne ferait guère d’honneur à la critique de Furetière qui était d’ailleurs un homme d’esprit, mais il est à croire qu’il ne parlait pas sérieusement quand il écrivait cela.
Le Français est à la fois très-susceptible d’entraînement et très-enclin à la critique. Tant que la scène dure, ne laissez pas à la critique le temps de naître ; ne donnez pas aux spectateurs le temps d’aller au foyer se refroidir dans un entr’acte. […] Notre critique, à nous, est nécessairement plus extérieure : nous ne notons que ce qui éclate aux yeux de tous. […] Et l’Académie donc, et cette fameuse critique du Cid ? […] Richelieu, jaloux comme un auteur et impérieux comme un maître, exigea que l’Académie lui fit un Rapport critique au sujet du Cid et que les nouveaux académiciens gagnassent leurs jetons aux dépens de Corneille.