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570. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Sa critique de l’art de ses devanciers n’est qu’une apologie indirecte du sien. […] Certains héros de la Grèce primitive, certains saints du moyen âge, en qui la critique s’évertue à chercher des mythes, sont historiques, parce que nous nous reconnaissons dans leurs pensées, dans leurs actions, dans leur grandeur même, pour peu qu’elle ne soit pas inaccessible. […] J’admire la Harpe de juger du même style doctrinal les pièces romanesques de Voltaire et les tragédies de Corneille et de Racine, et d’appliquer la même critique à d’aimables jeux de société et à des œuvres de marbre et d’airain ! […] Mais quand il se charge lui- même de faire la comparaison, il se traite plus durement que ses critiques, et dans la façon dont il plaisante ses pièces je sens une généreuse inquiétude. […] Piron disait d’une pièce de Voltaire qui n’avait pas réussi : « Il voudrait bien que j’en fusse l’auteur » ; mot charmant, parce qu’il contient à la fois une épigramme contre le poète tombé et un hommage au goût du critique.

571. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

C’est elle que la Critique, qui est une alchimiste aussi, doit, comme l’alchimiste de Rembrandt, montrer d’abord dans son œuvre, à travers ce flacon rose et noir taillé et orné par sa main d’artiste ; plus précieuse qu’elle est à elle seule, l’originalité, que tous les détails charmants du flacon, puisqu’elle en est la vie et l’âme ! […] La petite flamme bleue des génies capricieux et charmants qu’il a dans l’esprit, cet homme de délicate fantaisie la promène et la fait ramper sur des sujets abjects et répugnants, sous prétexte de mœurs contemporaines à reproduire, — car son roman de Jack porte le sous-titre de Mœurs contemporaines ; et la Critique, en voyant cette application à contresens de facultés destinées à des sphères d’observation plus hautes, la Critique, qui n’est pas impassible comme Daudet voudrait l’être, a toute la tristesse du regret. […] À quelque moment que ce fût la Critique compterait avec Alphonse Daudet ; mais, cette fois, elle a une autre raison pour s’occuper de son Nabab que le mérite prouvé de l’auteur de tant de choses charmantes, et le mérite à prouver du roman qu’il publie. […] Il n’appartient plus, et nous espérons qu’il n’y retournera jamais, au Réalisme, dont son nouveau livre n’est ni entiché ni maculé… La Critique, heureuse de ce retour, tuerait le veau gras — si elle en avait un !  […] La Critique ne serait pas la Critique si parfois elle ne risquait un conseil.

572. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Ce roi redouté ou ce tyran de la critique, Samuel Johnson, au terme de sa carrière, garda le silence, et Cowper s’en félicita. […] Pourtant, dans ces suffrages des critiques, auxquels il n’était que médiocrement attentif et sensible, il en était un que le poète avait fort à cœur d’obtenir, c’était celui du Monthly Review, le plus répandu des recueils littéraires d’alors et qui tardait à se prononcer : Que dira de moi ce Rhadamanthe de la critique, écrivait Cowper à un ami (12 juin 1782), lorsque mon génie tout tremblant comparaîtra devant lui ? […] Tous ces gens-là lisent le Monthly Review, et tous me tiendront pour une bête si ces terribles critiques leur en montrent l’exemple. […] Littérairement, son goût était sain et sûr : Elle est si bon critique, non par théorie, mais par nature, disait Cowper, et elle a un sentiment si net de ce qui est bon ou mauvais dans une composition, que lorsque dans le doute je lui soumets (ce qu’en pareil cas je ne manque jamais de faire) deux sortes d’expression qui semblent avoir également droit à ma préférence, elle se décide, sans que je l’aie jamais vue se tromper, pour la plus droite et la meilleure. Tout le temps que Cowper fut entre ces deux femmes (car bientôt lady Austen devint leur proche voisine, et leur journée était en commun), il eut tout ce qu’il pouvait désirer pour son talent de poète, à savoir, l’impulsion et la critique. « Sans Mme Unwin, il est probable qu’il ne fût jamais devenu auteur, et sans lady Austen, il ne fût jamais devenu un auteur populaire », a dit très judicieusement Southey.

573. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

Le goût attique avait été, lui aussi, vaincu à Chéronée : la critique instituée par Aristote n’était pas suffisamment armée contre les influences de l’Asie, et elle allait se trouver au dépourvu devant ce débordement du merveilleux dans l’époque alexandrine. […] Quand l’esprit d’un temps n’est pas très-sévère en matière de critique et qu’il n’en a pas pris l’habitude, il n’est pas non plus très-rigoureux moralement sur ce chapitre des fabrications plus ou moins ingénieuses : il ne les appelle pas des falsifications67. […] Certainement non ; mais je voudrais bien avoir de ces lettres une traduction élégante et fidèle, avec un travail critique qui m’y introduirait et qui traiterait à fond du genre. […] Il ne tarde pas à engager l’affaire qui marche vivement ; et ici se trouvent des scènes d’amour telles que les Anciens osaient les peindre ; les savants et les critiques érudits modernes qui ont à en parler font d’ordinaire les dégoûtés en public, et ils s’en donnent à lèche-doigt dans le cabinet. […] La narration d’Apulée reste tout agréable et vive ; sachons-lui-en gré, et de ce qu’il n’est pas l’inventeur, n’allons pas en profiter pour dire, comme ce critique moderne70, qu’on s’en aperçoit bien, et que cette fable est « trop délicate et trop gracieuse pour qu’on puisse l’attribuer à une plume aussi malhabile. » Singulière manière de remercier celui qui nous apporte un présent sur lequel on ne comptait pas !

574. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Mais alors, fût-on même Boileau et le critique par excellence, on ne s’en avisait pas. […] Toutes les critiques qu’il mérite d’ailleurs, Marie-Joseph Chénier les lui a faites : on lui pardonne volontiers d’avoir abrégé, chez son auteur, les parties poétiques langoureuses ou languissantes ; « mais, par malheur, ce sont souvent les beautés qu’il abrège, c’est le génie qu’il supprime. […] De tous les morceaux de l’ancienne critique, le plus vrai et le plus juste sur les mérites de Don Quichotte est peut-être encore certain article de M. de Feletz. — Aujourd’hui tout cela est dépassé, sinon surpassé. […] Cela est vrai pour les peintres comme pour les critiques. […] Mais nous tous, critiques ou peintres, en revenant si tard sur le sincère et gai chef-d’œuvre, n’oublions jamais ce qu’il est à la source.

575. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Mais ces Matinées royales ou prétendus Conseils de Frédéric à son neveu et à son héritier sont des moins authentiques, et les hommes les plus versés dans la critique des Œuvres du grand Frédéric les considèrent comme un pamphlet, un pamphlet habilement rédigé, mais d’une fabrique ennemie, et d’un esprit tout à fait indigne du monarque auquel la malice les a attribuées. […] » Avant que la critique allemande ait protesté contre de pareilles plaisanteries mises sur le compte d’un des souverains qui ont eu le plus à cœur leur métier de roi, il y avait longtemps que la critique française, dans une vue de simple bon sens, avait dit : « Nous ignorons si Frédéric était capable de se servir des moyens indiqués ici ; mais nous croyons pouvoir affirmer que, s’il avait assez d’immoralité pour employer des médecins et des serruriers politiques, il avait en même temps trop d’adresse pour l’avouer à qui que ce soit, même à son successeur75. » Il y avait peut-être à introduire Frédéric dans cette Étude où Louis XV tient le premier rôle, mais c’aurait dû être alors pour opposer les deux esprits, la mollesse et la force, l’abandon et l’infatigable vigilance, le laisser aller de tout, après quelque velléité d’action passagère, et l’héroïque et constant labeur, tant civil que guerrier, qui occupa toutes les heures d’une longue vie. […] Je me hasarde peut-être un peu trop dans les circonstances critiques où nous sommes ; mais si vous ne croyez pas la chose possible, mandez-le-moi avec votre franchise ordinaire. […] si tout le monde était comme vous et moi, et le bon Dieu surtout, cela irait bien ; la volonté est très grande, mais les moments sont bien critiques… » Ce n’est là certes ni la langue de Louis XIV ni celle de Henri IV, ni leurs sentiments non plus. […] Malgré tant de remarques critiques auxquelles j’ai peut-être trop paru me complaire, cette publication qui éclairera désormais plus d’un point d’histoire resté jusqu’ici obscur ou caché, et pour laquelle on doit des remerciements à M. 

576. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Mais il y a encore en littérature la part critique, celle de l’étude et du savoir mis en œuvre avec plus ou moins d’utilité et d’agrément. […] Au milieu des jugements divers et contradictoires, plus souvent rigoureux qu’indulgents, qu’a provoqués la littérature de l’ancien Empire, la critique d’alors a toujours été exceptée, et elle a laissé une tradition de haute estime. Tâchons du moins que la critique littéraire, sous le jeune et nouvel Empire, ne paraisse pas trop au-dessous de ce qu’elle était sous l’ancien. […] La critique littéraire, qui doit être heureuse et fière de s’élever toutes les fois qu’elle rencontre de grands sujets, se plaît pourtant, par sa nature, à ces sujets moyens qui ne sont point pour cela médiocres, et qui permettent à la morale sociale d’y pénétrer. […] Dans mes dernières années, j’ai été plus hardi à l’égard des ouvrages relatifs à la critique et à l’antiquité ; j’avais, par de longs travaux, acquis des droits à ma confiance.

577. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Nous maintenons cette étiquette, Vers libre ; d’abord parce que ce fut celle qui s’imposa d’elle-même, spontanée, à nos premiers efforts ; elle dit mieux le sens de notre essai de rajeunissement que cet affreux mot, vers polymorphe, inventé par la critique hostile, et qui fait penser à quelque terme d’une nomenclature scientifique, déplacé d’ailleurs en matière d’esthétique du vers. […] Que Banville a raison dans son texte contre Malherbe et Boileau : les règles draconiennes édictées par le seul Boileau ne se fondent sur rien de sérieux, c’est du pur arbitraire, c’est la volonté d’un critique gâté, s’imposant sans raison ; et Banville dit encore mille fois plus juste quand il déclare, que seule la lâcheté humaine fit qu’on déféra à cette loi, que c’est de par cette lâcheté et cet amour de la servitude qu’après Lamartine, Hugo, Gautier, Leconte de l’Isle, on en discutait encore. […] De très habiles dissonances sur la métrique ancienne donnaient l’apparence qu’un instrument nouveau chantait, mais apparence illusoire ; c’était, avec bien du charme et de la ductilité en plus, avec un sens très critique, l’ancienne rythmique : je dis bien rythmique et non poésie, car je m’occupe ici de la forme et non de la gamme toute neuve d’idées qui frissonnait en ces deux poètes. […] Parmi les éléments du vers libre, celui-ci existe, il en contient d’autres, et bien d’autres ambitions, car quel est le novateur qui, tout en sachant ses origines (sans cela il ne serait point conscient), ne rêve une totale reconstruction de tout, d’autant que tout critique sérieux se rend compte qu’en ébranlant un pan de la façade artistique on touche à toute la façade sociale ; c’est ce qui explique que, lorsque les revendications d’art se présentent, elles rencontrent d’aussi agressives résistances. […] C’était bien l’avis de la grosse critique ; la plus fine, M. 

578. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

Nos critiques mettent les poëmes et les autres ouvrages à une épreuve où l’on ne les mit jamais. […] Les armes des anciens critiques n’étoient pas aussi acerées que celles des nôtres. […] Un des défauts de nos critiques, c’est de raisonner avant que d’avoir refléchi. […] Les critiques n’intentent souvent des accusations contre les anciens que par ignorance. […] J’en conclus que les ouvrages, dont la réputation s’est bien soutenuë contre les remarques des critiques passez, la conserveront toujours nonobstant les remarques subtiles de tous les critiques à venir.

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