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293. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Prenons notre revanche alternativement au profit des deux arts, sans les mélanger, sans les forcer et en observant une limite que d’autres plus hardis, plus aventureux, plus singulièrement doués, ne craignent pas de franchir, mais qu’il me paraît bon, à moi, de maintenir et de respecter. » — Distinguant donc entre les idées visuelles ou plastiques et les idées littéraires, il rend les premières sur ses toiles, réservant les secondes pour ses pages écrites, attentif à se servir en chaque chose de l’art le plus approprié. […] Tout à coup il se repent et craint qu’on ne voie dans sa comparaison une adhésion indirecte au système qui consisterait à rendre en peinture aux personnages de la Bible le costume des Arabes modernes. […] La retraite sonne, comme ailleurs à l’entrée de la nuit ; c’est midi qui commence : « A cette heure-là, je n’ai plus à craindre aucune visite ; car personne autre que moi n’aurait l’idée de s’aventurer là-haut.

294. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

La flotte qu’on craignait, dans le grand fleuve entrée, Vient surprendre la ville et piller la contrée. […] « Je crains qu’on ait beau faire, disait un plaisant de ma connaissance, et qu’il n’y en ait eu vingt-cinq. » Le plus grave inconvénient moral, et qui saute aux yeux, c’est d’obliger Chimène, dans ce court espace, à des revirements incroyables de sentiments. […] … Celui qui n’a pas craint les Maures ni mon père Va combattre don Sanche, et déjà désespère ? 

295. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Tessé écrivait à Barbezieux, à la fin de janvier 1694 : « L’important, c’est de cacher sur cette frontière l’indigence d’argent ; il y a six mois que nous vivons d’emprunt. » Cet état de pénurie se prolongea ; au mois de mai suivant il y avait tout à craindre du manque de payement des troupes ; dans une apostille de lettre au ministre. Tessé se risquait à glisser ces mots significatifs : « Il n’y a aucun bon serviteur du roi qui ne doive tout craindre du non-payement des troupes assemblées, et c’est tromper Sa Majesté que de ne lui pas faire connaître à quelle extrémité ce désordre peut aller, et nous y sommes actuellement. » Catinat, témoin de cette misère et de ce dénuement dont son armée et lui étaient victimes, s’abstenait délicatement d’insister auprès de M. de Pontchartrain pour le payement d’une gratification qui lui avait été accordée. […] M. le maréchal de Catinat craint toujours qu’il ne se trouve en nécessité de marchander, pour ainsi dire, avec le roi, sur le plus ou sur le moins, et que ne voulant pas décider avec Sa Majesté en lui disant : Il me faut tant de bataillons et tant d’escadrons, Sa Majesté ne décide de son côté et ne retranche despotiquement.

296. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Il ne craint pas même l’odeur du fumier. […] Craignez, Romains, craignez que le Ciel quelque jour Ne transporte chez vous les pleurs et la misère.

297. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

— « Je ne crains pas les Dieux de cette terre ; ils n’ont point nourri mon enfance, et je ne leur dois pas l’âge auquel je suis parvenu. » La lutte s’engage à outrance entre les ravisseurs et les vierges. […] Celles qui craignent se séparent de celles qui espèrent, des mois funestes s’échappent de leurs lèvres : on dirait qu’elles sentent déjà le démon du meurtre remuer dans leur âme — « Grand Zeus ! […] » — « Crains de scruter les choses divines. » — La transition est ainsi tracée entre le salut apparent et la catastrophe.

298. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

D’un seul mot : Voilà qui est bien, elle arrête à point les conversations qui s’égarent sur des sujets hasardeux et les esprits qui s’échauffent : ils la craignent, et vont faire leur sabbat ailleurs. […] Elle craignait les mouvements trop brusques et les changements trop prompts : « Il ne faut pas, disait-elle, abattre la vieille maison avant de s’en être bâti une nouvelle. » Elle tempérait tant qu’elle pouvait l’époque, déjà ardente, et tâchait de la discipliner. […] À la suite d’un jubilé qu’elle suivit trop exactement dans l’été de 1776, elle tomba en paralysie, et sa fille, profitant de cet état, ferma la porte aux philosophes, dont elle craignait l’influence sur sa mère.

299. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Lui si affable et si ouvert à tous, il craignait le monde, le beau monde ; il ne put jamais s’acclimater aux salons de Mme Geoffrin, de Mme Du Deffand, de Mme Necker et autres belles dames. […] La tête de Psyché devrait être penchée vers l’Amour, le reste de son corps porté en arrière, comme il est lorsqu’on s’avance vers un lieu où l’on craint d’entrer, et dont on est prêt à s’enfuir ; un pied posé, et l’autre effleurant la terre. […] Ces gens-là ne savent pas que les paupières ont une espèce de transparence ; ils n’ont jamais vu une mère qui vient, la nuit, voir son enfant au berceau une lampe à la main, et qui craint de l’éveiller.

300. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Pourtant, réduite et entendue dans un certain sens, cette idée a sa justesse : « Je ne crains pas de vous dire, écrit-il pour son fils, que plus la place est élevée, plus elle a d’objets qu’on ne peut ni voir ni connaître qu’en l’occupant. » Saint-Simon, que j’oserai ici contredire et réfuter, a dit de Louis XIV : Né avec un esprit au-dessous du médiocre, mais un esprit capable de se former, de se limer, de se raffiner, d’emprunter d’autrui sans imitation et sans gêne, il profita infiniment d’avoir toute sa vie vécu avec les personnes du monde qui toutes en avaient le plus, et des plus différentes sortes, en hommes et en femmes de tout âge, de tout genre et de tous personnages. […] Il est des princes qui ont raison de craindre de se laisser aborder de trop près et de se communiquer aux autres : il ne croit pas être de ceux-là, et, sûr qu’il est de lui-même, et de ne prêter jamais à aucune surprise, il gagne à cette communication aisée de pénétrer plus à fond ceux à qui il parle, et de connaître par lui-même les plus honnêtes gens de son royaume. […] Tout y est simple et digne de celui qui a dit : On remarque presque toujours quelque différence entre les lettres que nous nous donnons la peine d’écrire nous-mêmes et celles que nos secrétaires les plus habiles écrivent pour nous, découvrant en ces dernières je ne sais quoi de moins naturel, et l’inquiétude d’une plume qui craint éternellement d’en faire trop ou trop peu.

301. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

J’y vois comme une espèce de geste d’un homme vif qui est plein de son sujet, qui craint en causant d’en laisser échapper quelque chose, et qui prend le bras de celui qui l’écoute. […] Et parlant du grand ouvrage que Montesquieu préparait depuis vingt ans, M. d’Argenson ajoutait : J’en connais déjà quelques morceaux qui, soutenus par la réputation de l’auteur, ne peuvent que l’augmenter ; mais je crains bien que l’ensemble n’y manque, et qu’il n’y ait plus de chapitres agréables à lire, plus d’idées ingénieuses et séduisantes, que de véritables et utiles instructions sur la façon dont on devrait rédiger les lois et les entendre… Je lui connais tout l’esprit possible ; il a acquis les connaissances les plus vastes, tant dans ses voyages que dans ses retraites à la campagne ; mais je prédis encore une fois qu’il ne nous donnera pas le livre qui nous manque, quoique l’on doive trouver dans celui qu’il prépare beaucoup d’idées profondes, de pensées neuves, d’images frappantes, de saillies d’esprit et de génie, et une multitude de faits curieux, dont l’application suppose encore plus de goût que d’étude. […] Jean-Jacques Rousseau, qui ne craint pas une révolution, ne sera que hardi et téméraire : mais Montesquieu, qui n’en veut pas, est-il prévoyant ?

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