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757. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Puis, doctoral et bonhomme à la fois, il poursuivit : — Il ne s’agit plus de créer une belle œuvre, il faut savoir s’organiser une belle réclame. […] Elle eut cette chance de n’avoir été contrariée ni dirigée par une famille qui comprît que l’on ne recommence pas une œuvre, si glorieuse soit-elle, et qu’il importe que l’œuvre appartienne à qui la crée. […] Il offre à la nature, non comme un sacrifice, mais comme une joie, l’effort de son âme et de son corps, vit, crée, agit enfin, en beauté et en simplesse… Et c’est l’ensemencement de la terre et de la femme ; c’est la récolte. […] Au dire de Remy de Gourmont, ce brave Jéhovah venait de créer l’homme. […] … Et créons la femme !

758. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

On sent, en lisant ces pages, que la grandeur pourrait exister dans le monde qu’elles créent : mais malheureusement les personnages sont si faiblement inventés, qu’elle passe rapidement après avoir empreint au hasard la trace de ses pas sur quelques vers. […] Voilà seulement comme la nature a voulu que le désespoir se mêlât à la vie, et en décidant que cette stérilité de l’âme ne devait jamais se perpétuer longtemps, elle a créé une règle dont nous ne voyons pas que l’art puisse jamais avoir de bonnes raisons de s’écarter. […] Plusieurs s’en firent gloire et créèrent des types admissibles seulement pour leur auteur. […] On conçoit que, dans un tel système, un livre précieux aujourd’hui, peut demain ne plus rien valoir ; et si, fortuitement, on s’est laissé devancer par un autre écrivain, on risque fort, en venant parler malais ou malabare au lecteur, de ne lui causer qu’une très médiocre surprise, et d’avoir créé une œuvre pourvue de beaucoup moins de caractère qu’on ne l’avait espéré. […] Dans le système qu’il s’agissait de créer, Ronsard, du reste, n’était pas le seul mort qu’il fallut tirer du cimetière.

759. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Ce ne sont point les grands, les princes, c’est la nature qui crée les émules d’Homère. […] Ils ont créé des héros dans l’espoir d’enfanter l’héroïsme. […] Les règles se déduisent du beau créé par le génie : nous ne risquons rien de convertir en loi l’exemple de l’Arioste. […] C’est lui qui créa les harpies, les magiciennes, les monstres, dans l’antiquité ; et les fées, les nécromants, les hippogriffes, chez les modernes. […] Ces rapides fantômes qui s’entre-détruisent à l’instant, avertissent trop tôt de l’artifice qui les a créés ; c’est le tort du chimérique : dès qu’il cesse d’éblouir, on ne s’attache plus à son erreur.

760. (1927) Des romantiques à nous

Il ne se créa entre eux et lui aucun lien. […] On n’a guère la curiosité de les y chercher, tant ce qu’il crée de son fond est de même venue, de même famille. […] Il a fallu qu’il se créât sa facture et son métier. […] La passion créait l’organe. […] Créer, pour lui, c’est proprement cela.

761. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Elle a créé une littérature de l’art. […] A la littérature grecque, elle dut sa culture classique, mais l’Italie moderne créa sa passion humaine pour la Liberté. […] Toutefois il fallait un stimulus nouveau pour créer, pour révéler réellement cette personnalité, sentie d’abord d’une façon très vague. […] Elle crée le volereau et l’enferme dans une cage de bambou. Elle crée le gros voleur et le met sur un trône de jade blanc.

762. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

C’est durant cette période qu’il écrit ses tragédies, si douces et si violentes, et qu’il crée ses délicieuses femmes damnées. […] Cela, à la lettre : « Pour créer le monde, un grain de matière a suffi… Cette masse qui nous effraye n’est rien qu’un grain que l’Éternel a créé et mis en œuvre. […] Coppée a recommencé si souvent ; il y est revenu avec une si évidente complaisance qu’il faut bien qu’il y ait mis son coeur et qu’il ait trouvé, dans ces peintures en vers de la vie, des mœurs, des souffrances et des mérites des « humbles », — et non point des « humbles » pittoresques : bergers, pêcheurs, vagabonds, gueux de Richepin, mais des « humbles » incolores : épiciers, employés, vieilles filles  une autre douceur, plus intime, plus humaine, que celle d’accomplir des séries de tours de force  En somme, Coppée, dans ses Humbles, a presque créé un genre ; il a presque réalisé un rêve de Sainte-Beuve.

763. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

C’est, en définitive, la volonté qui crée en nous le temps. […] William James suppose que, semblablement, le Créateur fasse naître tout d’un coup un homme avec un cerveau contenant des processus analogues à ces processus d’images évanouissantes qui existent dans un cerveau ordinaire après une certaine expérience de la vie ; le premier stimulus réel qui agirait après la création sur le cerveau d’Adam serait donc accompagné d’un processus évanouissant additionnel : ces deux processus s’envelopperaient l’un l’autre, « et l’homme nouvellement créé aurait sans aucun doute, juste au premier instant de sa vie, le sentiment d’avoir existé déjà depuis un certain espace de temps ». — L’hypothèse est ingénieuse, la solution nous semble inexacte. […] Pour qu’Adam acquît le sentiment de la durée, il faudrait qu’il désirât, qu’il eût faim, qu’il fit un effort quelconque pour porter la pomme à sa bouche ; alors, et alors seulement, il créerait le temps en lui, le réaliserait et le sentirait en le réalisant. […] De même pour le temps : il faut désirer, il faut vouloir, il faut étendre la main et marcher pour créer l’avenir.

764. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Depuis tant de siècles, elle ne s’est pas encore familiarisée avec elle-même, elle ne se connaît pas, elle se fait peur ; elle est également exposée aux vapeurs de l’orgueil et aux orages de l’envie ; elle se hait, elle se méprise, elle se vante, elle s’adore, elle est la comédie universelle, elle est le drame sans fin ; elle a l’Univers pour témoin, et le genre humain pour complice ; elle réunit au génie et à l’expression des idées créées, la paresse et la lâcheté des plagiaires ; elle invente avec bonheur, elle copie avec rage ; elle est sublime et elle rampe ! […] Ces grandeurs passagères, un rien les crée, un rien les tue ; — aujourd’hui a disparu le héros de la veille, et le lendemain (décoration nouvelle !) […] ), avait créé, chez nous, toute une série de mœurs nouvelles, étranges, incroyables, dont les salons du siècle passé ne pouvaient avoir aucune idée, pas plus que nous n’avons l’idée aujourd’hui des salons du vieux Paris, dans lesquels les moralistes ont trouvé les héros de leurs comédies : Alceste, Orgon, Tartuffe et Célimène, M. et madame Jourdain, Sganarelle, Élise, Valère, Marianne ; le distrait Ménalque, Argyre la coquette, Gnathon le glouton, Ruffin le jovial, Antagoras le plaideur, Adraste le libertin et dévot, Tryphile le bel esprit, « bel esprit comme tant d’autres sont charpentiers ou maçons ». […] Les feuilles nombreuses du chêne et du laurier portaient le nom de tous les rôles créés jusqu’à ce moment, par mademoiselle Mars ; une grande quantité de feuillage attendait les noms qui devaient compléter le couronnement de cette belle vie.

765. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Ils créaient, organisaient, transformaient l’industrie. […] Louis-le-Grand, le Roi-soleil, apparaît à la lumière de l’histoire, bien différent du monarque idéal que la légende et la flatterie se plurent à créer. […] Pour parer à l’éventualité des reproches que pourraient peut-être adresser à la mémoire de leur héros, quelques « mauvais esprits » fâcheusement soucieux de cette vérité, ils ont fait des efforts touchants et créé de délicieux euphémismes pour nous donner toute confiance en sa douceur, sa modération et sa charité. […] Si, par-delà le protestantisme, par-delà les Bibles et les formalismes, par-delà toutes les traditions judeo-chrétiennes et spiritualistes, elle parvenait un jour à se créer une foi vraiment moderne, uniquement basée sur la nature et sur la vie, une foi dont tout homme serait le prêtre, le fidèle et le dieu, dont l’Univers serait le temple, avec l’infinie liberté comme dogme, nul rôle plus glorieux ne pourrait être rempli sous le soleil.‌

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